Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

Comme disait Joffre, je les grignote !
Ça c'est
balot...
Ces temps-ci, Dieu assassine parfaitement l'art. C'est ainsi que le temps s'enrichit en évitant l'au-delà de l'indifférence
Lao Meuh ::
Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

27 Décembre 2007 ::

« Blacas le Preux & l'étoile de Moustiers »

:: Histoire médiévale, 1249

Le voeu d'un chevalier en péril

En 1248, le roi de France Louis IX, futur Saint Louis, entreprend de partir pour la septième croisade, avec la bénédiction du pape Innocent IV. Les croisés partent d'Aigues-Mortes (actuel département du Gard), passent l'hiver à Chypre, puis reprennent la mer pour aller combattre les « infidèles », syriens et égyptiens en particulier. En 1249, l'armée sainte assiège la ville de Damiette (actuelle Egypte) ; parmi les croisés qui suivent le roi, on trouve les frères Blacas, des chevaliers provençaux. Ils sont originaires de Moustiers, un village situé au coeur d'un paysage de pierre, au fond d'une vallée magnifique, près des gorges du Verdon.

Comme souvent en cette époque de guerre sainte, les chevaliers ont tendance à implorer Dieu à leur secours dans les épreuves difficiles : afin d'attirer l'attention du Créateur, de nombreux chevaliers font le voeu d'accomplir un acte extravagant si jamais ils se tirent du péril qu'ils encourent. Et, tandis que le siège de Damiette traîne en longueur, l'aîné des frères Blacas propose une issue : il fait réunir quatre navires de guerre francs en les attachant par leurs ancres, fait construire sur les ponts des bateaux des tours de bois aussi hautes que les remparts de la ville, et place des échelles aux sommets des tours pour passer les fortifications et conquérir Damiette[1].

Avant l'assaut, les frères s'agenouillent et jurent solennellement que s'ils reviennent en leur pays, ils consacreront à leur protectrice, la Vierge du Moustiers, une chaîne en or avec une étoile en son centre, qui reliera les deux rochers surplombant leur village. Puis, la bataille s'engage, les croisés se ruent à l'assaut, et sont finalement victorieux : le 8 juin, Damiette est conquise par les croisés[2].


Saint Louis arrivant à Damiette

Le retour au pays

En 1253, la septième croisade va vers son achèvement, après que Louis IX ait appris la mort de sa mère et régente du royaume, Blanche de Castille. Les croisés rentrent en France, un voyage au cours duquel le roi de France change profondément, pour se muer en un homme dont la piété est celle que l'Histoire a retenu pour faire de Louis IX le roi Saint-Louis. En 1254, les croisés sont de retour en France, et Blacas le preux rentre en son village pour tenir sa promesse.

Mais la mise en pratique de ce voeu est une gageure : les deux rochers qui surplombent le village sont distants de 227 mètres ! Comment faire pour trouver l'argent nécessaire à la confection d'une chaîne en or de plus de 200 mètres, qui pèserait plusieurs tonnes ? Même si l'on se contente d'une chaîne d'argent, le prix demeure totalement invraisemblable, et Blacas est face à un grave cas de conscience. Il consulte le prieur de Moustiers, qui, avec un grand bon sens, lui dit qu'une chaîne en fer avec une étoile d'argent suffira amplement, puisqu'une chaîne en or attirerait trop les convoitises des brigands. Le chevalier acquiesce, mais reste pris d'un doute : la Sainte Vierge du Moustiers n'y verra-t-elle point d'offense ? Et le prieur le rassure : « Point d'offense, mon fils ! A condition bien sûr que tu consacres une partie de la différence entre le fer et l'or à la construction d'un hospice, près de ma chapelle. Nos pauvres ont plus besoin de pain que les montagnes n'ont besoin d'or. »

Et, aujourd'hui encore, l'étoile de Moustiers-Sainte-Marie (actuel département des Alpes-de-Haute-Provence) est tendue entre les deux rochers surplombant le village : remplacée plusieurs fois au cours de l'Histoire, au fil des ravages du temps, elle rappelle le voeu pieu d'un jeune chevalier revenu sain et sauf d'Orient.


Le village de Moustiers-Sainte-Marie, aujourd'hui, et son étoile dorée,
suspendue à la chaine reliant les deux rochers.



Détail de l'étoile, qui aujourd'hui mesure 1,15 mètres de large



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1. Cette histoire est, dans d'autres sources, située lors du siège de Corfou en 1353 par l'armée de Robert de Tarente, empereur de Constantinople.

2. Le grand écrivain occitan Frédéric Mistral raconte une autre version de cette histoire : l'aîné des Blacas aurait fait ce serment alors qu'il était prisonnier des Sarrasins. Le calife de Damiette aurait fait défiler devant lui de magnifiques blondes d'Istrie et de superbes brunes de Chypre, et lui aurait dit pour le corrompre : « Choisis, Chrétien, prends la plus belle. Mais naturellement, il faut aussi que tu coiffes le turban ». Le valeureux chevalier provençal, incorruptible, aurait alors répondu : « Dieu engloutisse le renégat », et le Calife, impressionné par tant de droiture, l'aurait libéré.

finipe, 20h05 :: :: :: [2 soupirs de satisfaction]

20 Décembre 2007 ::

« Le concours du lion : résultats »

:: Les aventures du lion

Bravo et merci à tous les participants d'avoir fait raconter n'importe quoi à ce malheureux lion : il m'en a beaucoup voulu, et boude actuellement dans sa cage tapissée de moumoute violette, en attendant sa prochaine séance avec le zoopsychothérapeute. Mais laissons là ce sympathique félin griffu pour annoncer la très officielle remise des prix. Les trophées sont décernés après délibération du jury et vote au scrutin majoritaire partiel semi tempéré à voix médiane dégressive entubatoire.

Une fois l'urne remplie avec tous les bulletins de vote, le grand jugissime suprême, à savoir moi, en a brûlé le contenu et dispersé les cendres sur ses pots de bégonias : il a ensuite scotché chacune des oeuvres proposées sur le poster géant de Michèle Torr qui orne la porte de ses toilettes, et a lancé une grenade à plâtre au pied de la porte. Les oeuvres récompensées sont celles ayant survécu à ce traitement (les autres sont restées dans les toilettes, en raison d'une involontaire et temporaire carrence du jury en papier toilette).





~ 1er prix ~



Le premier prix, la très convoitée PAPATTE D'OR, est attribuée à... DRALEUQ, pour « Grève de la faim », à égalité avec « Procès existentiel » : ce sont les deux planches qui ont semblé au jury les plus proches de l' « esprit » du lion, autant sur le fond que la forme.

Bravo à Draleuq, il gagne le livre suivant :




~ 2ème prix ~



Le deuxième prix, la très enviée PAPATTE D'ARGENT, est attribuée à... FAUST, pour « Rome TV » : le jury y a aimé le cynisme détaché du lion.

Bravo à Faust, il gagne le livre suivant :




~ 3ème prix ~



Le troisième prix, la très jalousée PAPATTE DE BRONZE, est attribuée à... LABELMER, pour « Le repos du guerrier » : le jury y a apprécié la subtilité biscornue du jeu de mot final.

Bravo à Labelmer, elle gagne ce superbe badge à l'effigie du lion :




~ 4ème prix ~



Le quatrième prix, la très sucrée PAPATTE DE CHOCOLAT, est attribuée à... GEORGES, pour l'ensemble de son oeuvre : le jury a apprécié le sympathique investissement du candidat, et s'est incliné devant son incroyable talent pour former des jeux de mots douteux ;)

Bravo à Georges, il gagne cette savoureuse tablette de chocolat :





Les gagnants sont invités à se manifester électroniquement pour donner leur adresse postale, afin qu'ils puissent recevoir leur lot. Encore un grand bravo à tous les participants ! Le jury hautement impartial se dissout (dans un verre de coca) par la présente annonce, prend quelques jours de vacances, et vous souhaite à tous un :

JOYEUX NOËL !!

finipe, 00h07 :: :: :: [6 provocations]

17 Décembre 2007 ::

« L'assassinat du Duc de Guise »

:: Histoire moderne, 1588

La journée des barricades

L'année 1588. 16 ans après le massacre de la Saint-Barthélemy, l'opposition entre catholiques et protestants en France est toujours aussi vive : le roi Henri III, dernier des fils encore vivant de Catherine de Médicis et lui-même sans descendance, a désigné comme successeur son beau-frère et cousin Henri de Navarre, un protestant. La Sainte Ligue, parti ultra-catholique soutenu par le Pape et le roi Philippe II d'Espagne, n'a de cesse de manifester son opposition à cette succession. Son chef en particulier, Henri Ier de Guise, surnommé le Balafré, voue une haine inextinguible aux protestants depuis l'assassinat de son père par l'un d'entre eux en 1563. Lors de la Saint-Barthélémy, il avait d'ailleurs activement participé aux massacres. Depuis 3 ans, cet homme, solide et rude gaillard de plus de deux mètres, livre plusieurs batailles à travers le pays contre les armées protestantes.


Henri III, roi de France, et Henri, duc de Guise

A Paris, malgré l'interdiction qui lui a été faite de rentrer, les bourgeois soutenant la Sainte Ligue appellent le duc de Guise à revenir dans la capitale pour faire pression sur le roi. Philippe II d'Espagne soutient activement cette initiative : il s'apprête en effet à envahir l'Angleterre, un autre bastion du protestantisme, avec son Invincible Armada, une flotte gigantesque de 130 vaisseaux et 30.000 hommes !

Dans les rues de Paris, des rumeurs inquiétantes circulent : on parle d'une Saint-Barthélémy à l'envers, on dit qu'Henri III a prévu de faire assassiner les agitateurs ultra-catholiques, on constate que plusieurs milliers de gardes suisses ont été appelés au Louvre et aux abords de l'île de la Cité, malgré la loi qui veut qu'aucun soldat étranger ne séjourne dans la capitale...

Au petit matin du 12 mai, des centaines de personnes excédées, bourgeois, étudiants, parlementaires, se réunissent à divers endroits clefs de la ville, et érigent, pour la première fois dans l'histoire de Paris, des barricades. Après une journée d'émeutes qui se solde par la mort de quelques dizaines de soldats, massacrés par la foule en colère, le duc de Guise devient maître de Paris, et Henri III se voit contraint de chercher asile dans son château de Blois. La Ligue est bel et bien toute puissante.

L'Edit d'union, un camouflet de trop

Le 15 juillet, Henri III n'a d'autre choix que de signer l' « Edit d'Union », par lequel il épouse les objectifs de la Saint Ligue Catholique, et déclare ne jamais devoir signer quelque trêve ou paix que ce soit avec les « hérétiques ». Dans la foulée, il nomme le duc de Guise lieutenant général du royaume, ce qui, étant donné son influence déjà considérable, fait de lui un homme quasiment plus puissant que le roi lui-même. Qu'importe, Henri III ravale sa fierté et supporte l'insolence des ligueurs. Au mois d'août, sa position s'affermit cependant quelque peu avec la défaite cuisante de l'Invincible Armada espagnole, mise en déroute par l'Angleterre[1], mais la Ligue est toujours majoritaire et très influente.

Au début du mois d'octobre débutent des Etats Généraux, à Blois, convoqués par Henri III afin, entre autres, de débattre de l'application effective de l'Edit d'Union : les Guise (le duc lui-même et son frère Louis de Lorraine, cardinal de Guise) n'ont de cesse d'intriguer pour prendre le contrôle du Conseil du roi, et saper la succession prévue avec Henri de Navarre. Le 17 décembre, le cardinal de Guise prononce le mot de trop ; il porte un toast en direction de son frère et déclare : « Je bois à la santé du roi de France » !

Au matin du 23 décembre, Henri III en personne distribue des poignards à une douzaine de fidèles de la garde royale, puis convoque le duc de Guise dans sa propre chambre en prétextant quelques affaires à régler : de Guise pénètre dans la chambre du roi, et se fait immédiatement larder de coups de couteaux par les gardes qui surgissent de derrière les tentures. Le lendemain, le cardinal de Guise est arrêté et exécuté, tandis que le corps du duc est brûlé, et ses cendres jetées dans la Loire.


Henri III, contemplant le cadavre du duc de Guise, aurait déclaré :
« Mon Dieu qu'il est grand ! Il paraît même plus grand mort que vivant ! ».

La fin des Valois

Dans les mois suivants, devant l'insurrection ultra-catholique provoquée par l'assassinat du chef de la Sainte Ligue, Henri III établit une alliance objective avec Henri de Navarre pour ramener l'ordre dans le pays et battre les armées des ligueurs. A Paris, la cité est fanatiquement catholique et activement soutenue par Philippe II d'Espagne : un peu partout, des prêcheurs appellent au régicide. Et, le 1er août 1589, alors que les armées royales alliées aux armées protestantes vont pour assiéger la capitale acquise à la Ligue, le moine Jacques Clément, ligueur fanatique, poignarde à mort Henri III. « Méchant moine, tu m'as tué ! », s'exclame-t-il...

Le lendemain matin, après une lente et douloureuse agonie, Henri III meurt, et la dynastie des Valois s'éteint avec lui. Henri de Navarre devient Henri IV, premier des rois Bourbons : il devra littéralement conquérir son royaume, qui ne le reconnaît pas encore comme roi, jusqu'à sa conversion au catholicisme et la signature de l'Edit de Nantes, le 13 avril 1598.


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1. Dans les rangs de la flotte anglaise, on trouve notamment le très renommé Sir Francis Drake.

finipe, 00h49 :: :: :: [2 poignants panégyriques]

16 Décembre 2007 ::

« Salauds de patrons »

:: Métroboulododo

De la Bohème...

Autrefois, j'étais artiste. Un vrai de vrai, vivant aux crochets de la société sur des fonds publics dispendieusement distribués par diverses collectivités à grands coups de subventions, et inféodé aux tergiversations journalistiques locales, véritable rebut de Presse. Pendant une année et demi, je touchai le fond du parasitisme en obtenant le statut tant décrié d' « intermittent du spectacle ». Comme son nom l'indique, l'artiste jouissant de ce statut crée et participe à des spectacles, et ce par intermittence. Car, soyons sérieux, il n'est pas possible de créer ou participer à des spectacles 35 heures par semaine. Bref, je fus l'un de ces rares élus, grâce à la magie des combines bureaucratiques d'une grande association nantaise notamment. Pendant ces mois de bohème, je pus voir combien ceux qui méritaient vraiment le statut peinaient à l'obtenir et le conserver (puisqu'il est chaque année remis en cause, pas de CDI chez les artistes !), et surtout combien une petite partie de fumistes qui ne le méritaient pas du tout trichait, profitait et parasitait le système.

Puis, ô miracle, j'eus l'insigne honneur de signer un CONTRAT. Un vrai, avec un nombre d'heures fixe, des défraiements de déplacement et de repas. Consécration suprême, je commençai dès lors ma lente et périlleuse remontée vers la respectabilité ! C'est ainsi que, cumulant dans ma plus folle année jusqu'à sept emplois à temps partiels dans diverses associations, écoles de musique et conservatoires, je parvins péniblement à me hisser vers une hypothétique berge sèche, hors du marais infect de la marginalité artistique. Mais la fange reste longtemps collée à la semelle du plus volontaire des hommes de bien, et jamais je ne pus me départir de cette pénible étiquette d'artiste.

— Vous faites quoi dans la vie ?
— Je suis musicien, ma bonne dame.
— Ah, c'est bien, ça. Et sinon, votre vrai métier c'est quoi ?

...à la respectabilité

C'est alors que la grâce divine me toucha, un beau matin, alors que je venais de me gratter une fesse : accompagné par l'autre moitié de mon couple, je co-créai une entreprise. Pari fou, idée insensée, motivée principalement par la possibilité de pouvoir travailler chez soi, et ainsi éviter de devoir patauger dans la boue avec les autres, les gens, ceux qui remplissent toujours maladroitement et péniblement chaque espace qu'on tente paisiblement d'occuper seul. Ainsi fîmes nous, et, bon gré mal gré, les choses avancèrent petitement. Aujourd'hui, nous ne sommes certes pas riches, loin de là, mais avons de quoi manger, nous loger, et même parfois de quoi acheter la dernière compil' de Tecktonik en regardant la Star Academy.

Dans ma vie antérieure, je ne savais pas d'où venait l'argent de mon salaire. Enfin si, je savais que c'était des histoires de subventions, untel du Conseil Général qui faisait partie du bureau de l'association, et qui était copain avec unetelle de la direction. Mais cela m'était égal. En outre, personne dans ma famille n'avait d'expérience similaire à celle dans laquelle je me lançais : ils étaient fonctionnaires ou employés d'entreprises gigantesques quasi-assimilables à des administrations. Il nous fallut donc tout découvrir seuls, mais nous ne tardâmes pas à comprendre l'essence même d'une petite entreprise : l'ARGENT. Moi qui suis tout sauf vénal, je fus contraint de parler d'argent, souvent, et beaucoup.

Je m'aperçus que gagner de l'argent, pour de vrai, en allant chercher soi-même le travail, pour le faire ensuite le mieux possible, puis devoir pleurer pour obtenir son paiement, c'était difficile. Je m'aperçus en outre qu'une fois cet argent difficilement gagné, il fallait en redonner la moitié à l'Etat, pour qu'il en distribue ensuite une partie à des collectivités, afin qu'une poignée d'artistes véritables vivote difficilement et qu'une louchée de parasites en profite. Et surtout, je m'aperçus que, comme quand j'étais intermittent, j'étais condamné au CDD perpétuel : si un jour les affaires devaient connaître une petite baisse, alors l'argent n'arriverait plus, et je devrais cependant toujours en donner la moitié et même plus à l'Etat et aux banques, sans délai, sans contrepartie, sans faute, sans me plaindre et sans faire la grève.

Aujourd'hui, je fulmine quand j'entends le discours simpliste et affligeant de la LCR. Je peste contre les « grands patrons » qui empochent des millions, simplement parce qu'ils ont été licenciés. Je conchie les journalistes qui continuent d'entretenir le mythe délirant du jeune patron dynamique qui gagne forcément beaucoup d'argent, qui prend des cours privés de tennis le soir et qui participe à des cocktails, un verre de champagne dans la main gauche, et un contrat prêt à être signé dans la main droite.

Car après avoir bu dans les deux verres, je peux affirmer qu'être patron ou artiste, c'est presque pareil : dans les deux cas, une petite poignée de parasites fait du tort à ceux qui ont du mérite. La seule différence, c'est que les artistes passent pour être du côté de Cosette, quand les patrons passent pour être du côté des Thénardier.

C'est une erreur grave de croire que le socialisme ne s'intéresse qu'à une classe, la classe des ouvriers, des producteurs manuels. S'il en était ainsi, il remplacerait simplement une tyrannie par une tyrannie, une oppression par une oppression. [...] Le socialisme vrai ne veut pas renverser l'ordre des classes ; il veut fondre les classes dans une organisation du travail qui sera meilleure pour tous que l'organisation actuelle. Je sais bien que les meneurs du socialisme le réduisent trop souvent, par des déclamations violentes et creuses, à un socialisme de classe, d'agression, de convoitise ; mais je sais aussi que la vraie doctrine socialiste, telle que les esprits les plus divers l'ont formulée, les Louis Blanc, les Proudhon, les Fourier, est bien plus large et vraiment humaine : c'est le bien de la nation tout entière, dans tous ses éléments sains et honnêtes, qu'elle veut réaliser.

En fait, si l'on va au fond des choses, le système d'individualisme à outrance, d'âpre concurrence, de lutte sans merci qui régit aujourd'hui la production, fait presque autant de mal à la classe bourgeoise dans son ensemble qu'à la classe ouvrière. Le patronnat a ses misères qui ne sont pas les mêmes que celles de l'ouvrier, qui sont moins apparentes, moins étalées, mais qui souvent sont poignantes aussi.

Jean Jaurès, dans le journal La Dépêche, 28 mai 1890.

finipe, 00h56 :: :: :: [17 soupirs de satisfaction]

12 Décembre 2007 ::

« A dormir debout »

:: En vrac

Ce matin, tandis que je me levai, encore tout ouaté des duveteuses réminiscences du sommeil, je fus soudain foudroyé par l'inspiration divine : un éclair éthéré me frappa, et j'eus une idée. Une idée fantastique ! Tout d'abord peu convaincu par pareille fulgurance, je filai prestement me passer le crâne sous l'eau froide, afin d'être sûr et certain que cette idée m'était bien chevillée à l'occiput, et n'était pas loufoque tant elle était géniale. Chose fut ainsi faite, mais la diablesse s'accrochait à mes synapses, plus fort qu'un morpion au pubis d'une catin de bordel médiéval. « Diantre ! » me dis-je. « Il me faut saisir cette occasion pour léguer un chef d'oeuvre à mes pairs, et peut-être laisser ma modeste empreinte dans ce branlant édifice qu'est la Littérature ! ». J'entrepris donc aussitôt de coucher cette idée sur le papier, avec une stimulante frénésie.

L'histoire racontait ainsi le destin d'un homme honnête, travailleur ordinaire sur un quai marseillais, au début du XIXème siècle. Il était amoureux d'une belle femme, qui l'aimait en retour, et leur avenir paraissait radieux. Mais, par vengeance et goût du lucre, un homme jaloux et amoureux de la belle Mercedes (ce fut un nom que je trouvai idéal pour cette belle jeune femme), s'acoquinait avec un comptable véreux et faisait faussement accuser le héros (nommé Edmond) de bonapartisme.

A cause d'un juge sans scrupule et aux grandes ambitions politiques, le pauvre Edmond passait ensuite près de quinze ans dans une cellule humide, dans un château au milieu d'une petite île, avec pour seule compagnie celle d'un abbé à la figure paternelle, qui lui révélait l'emplacement d'un fabuleux trésor. Après toutes ces années, Edmond s'enfuyait en prenant la place d'un mort dans un sac, puis il trouvait le trésor et devenait riche au-delà de tout et de tous, et revenait se venger implacablement : il découvrait alors que la belle Mercedes était mariée à l'homme jaloux, le comptable véreux était devenu un banquier richissime, et le juge était procureur général du roi...

J'écrivis donc fiévreusement pendant quelques minutes, puis fus subrepticement saisi d'un doute. Quelque chose me contrariait dans cette histoire : admettons que ce pauvre garçon, faussement accusé et enfermé dans un château sordide, parvienne à s'enfuir (ce qui est déjà très improbable). Une fois riche à milliards, pourquoi serait-il stupide au point de revenir là où autrefois il fut trahi ? Pourquoi ne pas rester à se la couler douce sur une île paradisiaque, entouré de belles amazones, en buvant les plus suaves ambroisies ? Non, décidément, cela n'allait pas. Et puis Mercedes, finalement, ça sonnait plutôt « grosse bagnole » que « belle espagnole ». En plus, cette imbécile se serait mariée avec un salaud. Non, non et non, pas de quoi en faire 2000 pages : je me décidai donc à abandonner cette histoire, qui n'était que trop loufoque.

J'appris quelques jours plus tard qu'un type m'avait pourtant volé mon idée, presque trait pour trait. Enfin, à quelques différences près : il s'agissait de l'histoire d'une princesse endormie après s'être piqué le doigt sur un fuseau, et qui ne se réveillerait qu'après qu'une espèce de prince charmant l'ait embrassée. Complètement débile, décidément !

finipe, 01h56 :: :: :: [4 interventions abstruses]

9 Décembre 2007 ::

« Louis XVII, roi deux fois mort - 2ème partie »

:: Histoire contemporaine, 1833

Ce billet fait partie d'un sujet composé de deux parties :

1. Louis XVII, roi deux fois mort - 1ère partie
2. Louis XVII, roi deux fois mort - 2ème partie



Le cachot

Après les exécutions de Louis XVI et Marie-Antoinette, le jeune Louis-Charles n'a plus grand monde sur qui compter dans sa famille : son oncle, le comte de Provence et futur Louis XVIII, s'est exhilé en Westphalie, et sa soeur aînée Marie-Thérèse (surnommée Madame Royale), âgée de 15 ans[1], est elle aussi retenue captive à la prison du Temple. Le 5 janvier 1794, alors que débute la Grande Terreur, pendant laquelle Robespierre tente de réduire au silence les députés montagnards de tout bord, le cordonnier Simon abandonne son rôle de précepteur, et Louis-Charles est enfermé quelques jours plus tard dans une pièce sordide et sans lumière de la prison du Temple. Le temps d'en faire un bon citoyen est fini : son cachot est infect, il ne reçoit aucune visite et ne parle pas même à ses geôliers. Son état de santé devient vite préoccupant : amaigri, amoindri, il est en particulier très atteint par la gale.

Le 9 Thermidor an II (27 juillet 1794), Robespierre est arrêté sur ordre de la Convention, qui le fait guillotiner le lendemain et proclame la fin de la Terreur. Les députés Girondins, plus modérés, sont rappelés au pouvoir. Dès lors, les conditions de détentions de Louis XVII s'améliorent un peu. Plusieurs personnes se succèdent auprès de lui, des médecins viennent le voir, mais son état de santé est médiocre : dès le début de l'année 1795, il apparaît que l'enfant souffre de tuberculose. Il vit prostré, ne pouvant plus déplier l'un de ses genoux rongé par la gale, et plusieurs des geôliers signalent au « Comité de Sûreté Générale » l'état de santé du jeune garçon. On envoie des chirurgiens auprès de l'enfant, mais il est trop tard : le 22 prairial an III (10 juin 1795), Louis-Charles de France meurt, dans les bras de son geôlier. Le jour même, son corps est inhumé dans une fosse commune du cimetière Sainte-Marguerite.

Naundorff, troublant imposteur

En 1833, 38 ans après la mort officielle de Louis XVII, des événements historiques majeurs ont marqué la France et l'Europe. Napoléon Bonaparte a tenu l'Empire et fait trembler l'Europe jusqu'en 1814, date à laquelle Louis XVIII est monté sur le trône lors de la Restauration. En 1824, Charles X a succédé à son frère, avant d'abdiquer après la « Révolution de juillet », les journées des 27, 28 et 29 juillet 1830, dites les Trois Glorieuses. Depuis, le roi est Louis-Philippe Ier, duc d'Orléans, soutenu par les orléanistes, au grand dam d'Henri d'Artois, petit-fils de Charles X qui réclame le trône, soutenu par les légitimistes.

Le 28 mars, un homme arrive à Paris, après avoir fait courir le message qu'il était en réalité Louis-Charles de France. Il s'appelle Karl-Wilhelm Naundorff, et n'est pas le premier a prétendre pareille chose : des dizaines de prétendants s'étaient déjà fait connaître, mais aucun n'avait pu réellement convaincre. Naundorff semble plus habile : il fait croire qu'une substitution a été opérée à la prison du temple, près de 40 ans plus tôt. Il faut bien dire que tant de braves gens, le légitimisme chevillé à l'âme, rêvent d'un providentiel retour du descendant de Louis XVI, que Naundorff n'a pas même besoin de dire quoique ce soit : ses admirateurs bâtissent son succès à sa place. On souligne son étonnante ressemblance (la couleur de ses yeux en particulier) avec le jeune Louis-Charles, on s'étonne de la précision de ses connaissances sur la jeunesse du prince, sur le château de Versailles et sur le palais des Tuileries. C'est bientôt toute une petite Cour qui se forme autour de lui, des satellites qui pourvoient à ses besoins, financiers en particuliers, bien entendu !


Karl-Wilhelm Naundorff en 1845

Naundorff est un individu excentrique, qui se prend pour un mystique : il fait des prédictions, prétend qu'il communique avec les anges... Mais le masque ne tient guère, et ses motivations réelles apparaissent finalement : il intente un procès contre la duchesse d'Angoulême pour récupérer l'héritage paternel, demandant la restitution des 300 millions de francs qui lui auraient été confisqués. Le régime ne peut en supporter davantage, et exhile Naundorff, qui se retrouve en Angleterre. Là-bas, son délire mystique devient des plus farfelus : il converse directement avec le Christ, devient prophétique, et finit par créer une secte qu'il baptise Eglise catholique évangélique. Mais après bien des années de bouffonneries, ses plus fervents admirateurs se lassent, et les ennuis financiers commencent pour Naundorff : il passe quelques mois en prison, poursuivi par des créanciers, puis prend la poudre d'escampette vers la Hollande.

Il réussit à obtenir un passeport au nom de Monsieur de Bourbon, et tente de prendre un nouveau départ. Mais il meurt finalement du typhus, le 10 août 1845, dans la ville de Delft. Aujourd'hui encore, sa tombe se trouve là-bas, et l'on peut y lire :

Ici repose Louis XVII
Charles Louis Duc de Normandie
Roi de France & de Navarre
Né à Versailles le 27 mars 1785
Décédé à Delft le 10 août 1845

La fin du mystère

En 2000, après 150 années de controverse sur l'identité réelle de Naundorff, au cours desquelles les descendants de ce dernier (il avait eu 8 enfants) n'ont cessé de clamer leur légitimité à prétendre au trône de France, le mystère s'est enfin éclairci : une enquête historique menée par l'historien et écrivain Philippe Delorme, alliée à des analyses ADN comparant les restes du coeur embaumé du jeune garçon mort au temple avec un cheveu de Marie-Antoinette, a prouvé que ce jeune garçon mort le 10 juin 1795 avait bien un lien de parenté avec Marie-Antoinette. Dès lors, l'usurpation de Naundorff n'a plus fait de doute. Ses descendants ont fait effectuer de nouvelles analyses en 2004, mais refusent depuis d'en publier les résultats. Etonnant, non ?


Le coeur de Louis XVII, relique placée dans la chapelle
des Bourbons de la basilique Saint-Denis, le 8 juin 2004


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1. Louis XVI et Marie Antoinette avaient également eu un autre fils (Louis), né en 1781 : il mourut à l'âge de 8 ans des suites d'une tuberculose, après une très pénible agonie. Le royal couple, qui aimait vraiment cet enfant intelligent et rieur malgré sa santé fragile, en fut totalement anéanti. Le peuple, quant à lui, n'en eut cure, alors qu'il s'était pourtant réjoui à la naissance du dauphin.

finipe, 01h08 :: :: :: [2 injures]

6 Décembre 2007 ::

« Louis XVII, roi deux fois mort - 1ère partie »

:: Histoire contemporaine, 1793

Ce billet fait partie d'un sujet composé de deux parties :

1. Louis XVII, roi deux fois mort - 1ère partie
2. Louis XVII, roi deux fois mort - 2ème partie



Voici le récit de ce qui a longtemps été considéré comme un des plus grands mystères de l'Histoire de France. C'est au passage un excellent prétexte pour quelques révisions rapides de la révolution française : j'avais pour ma part vraiment tout oublié (pour peu que j'en aie jamais su quelque chose de bien consistant !).



Révolution & fin de la monarchie en France

Après le serment du jeu de Paume (20 juin 1789) et l'avènement de la première Assemblée Nationale Constituante, les événements qui marqueront durablement l'Histoire s'enchaînent : Prise de la Bastille (14 juillet), suppression de la dîme (11 août), Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen (26 août), Constitution civile du Clergé (12 juillet 1790), etc. Louis XVI essaye, bon gré mal gré, de conserver autant de pouvoir qu'il le peut et de ménager les susceptibilités de tous, mais ses prérogatives sont battues en brèche les unes après les autres. Les 20 et 21 juin 1791, le roi et sa famille tentent de s'enfuir, mais on les arrête à Varennes. Il s'agit clairement d'un aveu d'hostilité au projet de 1789, et l'événement crée un drame : malgré l'instauration de la loi martiale, des milliers de personnes se réunissent sur le Champs-de-Mars pour manifester leur hostilité à la monarchie constitutionnelle, et les soldats, hors de contrôle, tirent dans la foule. La fusillade du Champ-de-Mars fait des dizaines de morts, femmes et enfants essentiellement.

Dès lors, Louis XVI n'a plus aucun crédit, et les événements s'enchaînent de plus belle : le 3 septembre 1791 est voté une Constitution, instituant l'Assemblée Législative, qui défait encore un peu plus l'autorité du roi. Dans la nuit du 9 au 10 août 1792 à lieu la Commune insurrectionnelle de Paris, et la prise du palais des Tuileries par le peuple, qui craint plus que jamais une trahison de Louis XVI. Le 21 septembre, l'Assemblée législative n'est plus, et c'est désormais la Convention nationale et ses comités de salut public qui gouvernent le pays. Entre temps, la France était entrée en guerre contre la Prusse et l'Autriche, et, après plusieurs sévères défaites dues à la désorganisation et la fuite des officiers nobles à l'étranger, l'armée française a remporté une victoire inespérée à la bataille de Valmy, le 20 septembre 1792.

Après la découverte de documents compromettants dans une fameuse armoire de fer des Tuileries, Louis XVI est finalement jugé pour trahison, condamné à mort, puis guillotiné le 21 janvier 1793, sur la place de la Révolution[1].


Exécution de Louis XVI, le 21 janvier 1793 (anonyme)

La prison du Temple

Après la prise du palais des Tuileries, le 10 août 1792, la famille royale est retenue captive à la prison du Temple. Après l'exécution de Louis XVI, son frère cadet (futur Louis XVIII) se déclare régent du royaume, et reconnaît le jeune Louis-Charles, âgé de seulement 8 ans, comme le nouveau roi de France, Louis XVII. Le 3 juillet 1793, le jeune Louis XVII est arraché des bras de sa mère et de sa soeur aînée pour être confié à un couple de révolutionnaires fervents, le cordonnier Simon et sa femme, afin de faire du petit garçon un citoyen ordinaire. Simon est un personnage plutôt grossier, qui apprend au jeune garçon des chansons révolutionnaires, le fait jurer dans la cour même de la prison du Temple, le fait même boire diront certains, mais pendant les mois où lui et sa femme s'occupent du petit Louis-Charles, ce dernier est relativement bien traité, et se prend même d'affection pour sa tutrice.


Louis-Charles de France à l'âge de 8 ans,
peint par Alexandre Kurchaski

Le 17 septembre, la Convention nationale vote la terrible « loi des suspects », et la Terreur plonge la France dans une avalanche de procès sommaires et d'exécutions. Le jeune Louis XVII est semble-t-il manipulé, sans aucun doute brisé par les traumatismes successifs qu'il a déjà vécu : le 6 octobre, il signe des aveux accusant Marie-Antoinette d'inceste, déclarant qu'il « dormait parfois entre sa mère et sa tante ». Au cours de son procès, Marie-Antoinette se montre d'un courage et d'une dignité exemplaires : face aux accusations de l'ultra révolutionnaire Jacques Hébert, elle nie farouchement et lance un célèbre « J'en appelle à toutes les mères » qui émeut toute l'assistance, pourtant très hostile. Rien n'y fait cependant : Marie-Antoinette est guillotinée le 16 octobre 1793.


Exécution de Marie-Antoinette, le 16 octobre 1793 (anonyme)


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1. Actuelle place de la Concorde

finipe, 17h52 :: :: :: [6 haineuses invectives]

3 Décembre 2007 ::

« Lopettes rhétoriques »

:: Misanthropie

Qu'on se le dise, en tant que propos liminaires à cette haineuse diatribe, je n'ai aucune aversion envers les points de suspension en tant que tels. Non, en vérité je suis même plutôt friand de cette gaudriole syntaxique, qui émoustille bien volontiers les textes, les plus abscons soient-ils. Malheureusement, cet artifice n'est que trop dévoyé, dans la multitude — que dis-je — dans l'orgie de textes, articles, nouvelles, reportages, journaux, précis, et autres déclarations d'opinions qui polluent Internet, orgie à laquelle je participe présentement. Comme le dit avec brio Umberto Eco dans son excellent Comment voyager avec un saumon, les points de suspension sont le critère infaillible qui permet de distinguer le bon écrivain du médiocre scribouillard (qui risque tout autant de devenir célèbre : c'est bien arrivé à Dan Brown !).

Tentons tout d'abord de recenser les diverses utilisations des points de suspension généralement admises :

  • Mise en suspens : comme son nom l'indique, ils mettent dans ce cas précis les propos du locuteur en suspension. Exemple : « Oliver l'équarrisseur avait sorti un jambon de cinq kilos, mais... »

  • Coupure de parole : utilisés dans ce cas plutôt comme élément visuel signifiant que la phrase n'a pu être achevée, l'interlocuteur ayant été coupé dans ses propos avant d'avoir terminé. Exemple :
    — Tu connais la dernière chanson de Vincent Del...
    — Ta gueule.

  • Ersatz de et caetera : souvent utilisés à cette fin, les points de suspension viennent même la plupart du temps doubler l'abréviation de rigueur « etc. », grâce au très redondant « etc... ». A peu près aussi absurde que l'inusable et très agaçant « Au jour d'aujourd'hui ».

  • Moment de silence : de même que pour la coupure de parole, le moment de silence est parfois représenté par des points de suspension signifiant un vide dans la conversation, voire une gêne. Exemple :
    — Toi aussi tu aimes t'enduire de crême fouettée ?
    — ...

  • Discours tronqué : utilisé lors de citation, et adjoint de crochets [...] les points de suspensions indiquent un discours tronqué, que l'écrivain précise cependant par respect des sources et pour éviter tout détournement de sens.

Nous pourrions très certainement en citer bien d'autres, mais attardons nous un instant sur la première utilisation, qui demeure de loin la plus courante : l'écrivain signifie, grâce aux points de suspension, que le discours pourrait continuer. Généralement, ceux qui usent et abusent de cet expédient grouillent sur les innombrables forums et lieux de discussion, mouchetant chacune de leur intervention par une constellation de points de suspension : cet artifice leur permet de ne pas s'embarrasser avec de fastidieux développements qui requerraient des idées (qu'ils n'ont pas), laissant ainsi le soin au lecteur de remplir l'insondale vacuité des propos présentés. L'auteur prend d'ailleurs souvent la peine d'adjoindre à ses points de suspension une locution typique telle que « enfin bon, ce n'est que mon avis... », ou encore « ceci dit, c'est mon opinion, hein... ». C'est ainsi qu'on peut lire des phrases comme « Mais bon... Vincent Delerm moi j'aime pas trop... mais c'est mon avis hein... ». Alors qu'il serait si simple, si clair, et tellement plus économique d'écrire avec conviction : « Vincent Delerm, il me fout de l'urticaire tellement il est à chier ».

Dès lors, on peut distinguer toute la veulerie compassée des ardents utilisateurs de points de suspension : par exemple, ces lopettes assument plutôt mal les quelques rares hardiesses rhétoriques dont ils pourraient se fendre. Ainsi, le médiocre scribouillard écrira, comme pour s'excuser de son affligeante médiocrité : « Ses résultats étaient brillants, et pourtant ce n'était pas une... lumière ! ». En agissant ainsi, le scribouillard prend tacitement le lecteur pour un abruti : il justifie sa figure de style par des points de suspension, et signifie au lecteur « Regardez, c'est ici qu'il y a un procédé rhétorique ! ».

On peut donc conclure succinctement que les bons écrivains écrivent pour leurs pairs, pour les générations futures, pour le patrimoine et pour le plaisir, tandis que les scribouillards, inusables et névrotiques pointeurs, timides et n'assumant rien de leurs propos, n'écrivent tout au plus que pour... leurs collègues de bureau !

Ou bien... pour leurs lecteurs de blog ! Enfin... c'est mon avis hein...

finipe, 00h43 :: :: :: [12 déclarations infondées]