Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

Le boulot,
ça me
réussit pas
Non mais
quel con !
Malheureusement, l'Homme écrase atrocement le respect. Par là même, l'Histoire se distingue en atteignant l'extase de l'individualisme
Sacrote ::
Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

8 Mai 2007 ::

« Les miraculés de la Montagne Pelée »

:: Histoire contemporaine, 1902

Un cataclysme annoncé

La Martinique, avril 1902. Saint-Pierre, une des plus belles villes des Antilles, est inhabituellement agitée : depuis plusieurs mois en effet, la Montagne Pelée, le volcan surplombant la ville, est la proie de diverses fumerolles et courtes secousses sismiques. Surnommé "Montagne Pelée" en raison de son aspect dénudé au moment de l'arrivée des colons français en 1635, le volcan est pourtant calme, et personne ne se préoccupe réellement de ces événements : la dernière éruption remonte à 1851, et n'avait guère impressionné. A la fin du mois d'avril, plusieurs épisodes de pluies de cendres et de projections de débris rocheux apparaissent, et une odeur soufrée très puissante émane d'un cône de cendres surplombant un lac d'eaux bouillonnantes qui s'est formé, curieusement, là où il n'y a d'habitude pas une goutte d'eau... Les cendres et les débris se multiplient, et l'odeur de soufre devient particulièrement suffocante à des lieues à la ronde.

Le 2 mai, une première grosse explosion secoue l'île en fin de matinée : une colonne de fumée noire s'échappe maintenant du sommet de la montagne, et d'importantes secousses sismiques se succèdent. Les journaux répètent inlassablement qu'il n'y a pas de danger, mais certains mouvements de panique se font néanmoins sentir tandis que des lueurs et des éclairs surréalistes parcourent le ciel obscurci : le lendemain, le gouverneur de l'île, Louis Moutet, convoque une commission chargée d'évaluer le danger. Le 4 mai, de nouvelles explosions et de nouvelles chutes de cendres obscurcissent les alentours, à tel point que les navires ne peuvent plus accoster, et qu'une partie de la foule commence à fuir sur les navires qui quittent le port : la pluie de cendres recouvre toute la ville d'une pellicule blanche immaculée...

Le 5, en début d'après-midi, alors que la montagne s'est un pau apaisée, la mer recule brusquemment de plus de cent mètres ! L'instant d'après, un énorme raz-de-marée submerge le port, et dans le même temps, une énorme explosion secoue le cône de cendre, et toute l'eau bouillonnante qui s'était accumulée s'échappe dans un torrent de boue qui fait plusieurs centaines de victimes dans les villages situés en hauteur. De partout, on afflue vers Saint-Pierre pour y trouver une hypothétique sécurité. Les 6 et 7, des grondements sourdent des profondeurs du sol, des épisodes de pluies de cendres se poursuivent, et la nuit, on voit le sommet de la Montagne zébré d'éclairs, et le rougeoiement de la roche qui s'agite...

Le 7 mai, le rapport de la commission affirme qu'il n'y a rien à craindre, et les journaux relayent largement l'information : pour autant, beaucoup de gens fuient l'île, tandis que d'autres se regroupent à Saint-Pierre pour s'abriter. Le gouvereur Moutet, afin de montrer l'exemple et de prouver qu'il n'y a pas de crainte à avoir, s'installe aussi à Saint-Pierre avec toute sa famille.

Enfin, le jeudi 8 mai à 8h02, c'est le cataclysme définitif : une explosion inouïe déchire le volcan, et un immense, démesuré, incroyable nuage noir s'élève dans le ciel. Une nuée ardente dévale la pente de la montagne déchaînée, pleine de poussières et de gaz brûlants à plus de 1000°C : l'onde de choc qui la précède détruit tout sur son passage. Puis, en une poignée de secondes, le nuage incandescent atteint la ville et embrase tout sur son passage, hommes, femmes, animaux, bâtiments... Des torrents de boue déferlent enfin, se chargeant de détruire le peu de choses qui avaient été encore épargnées.


La ville de Saint-Pierre, avant et après la catastrophe

Les miraculés de l'éruption

Au moment de l'explosion du 8 mai, Saint-Pierre comptait environ 28000 personnes : toutes ont trouvé une mort atroce dans le cataclysme, généralement due à l'onde de choc ayant précédé la nuée, puis si cela n'avait pas été suffisant, à la brusque et incroyable montée de température. Parmi ces milliers de victimes, deux personnes ont toutefois miraculeusement survécu :

  • Léon Compère-Léandre, cordonnier de son état, habitait une maison légèrement protégée par la topographie environnante : lorsque l'explosion eut lieu à 8 heures, il ressentit tout d'abord l'onde de choc, qui déracina les arbres instantanément. L'instant d'après, il était gravement brûlé aux mains, au visage, sur le torse... Il se précipita dans sa maison et se réfugia sous une table pour se protéger des chutes de débris. Après une vingtaine d'interminables minutes, l'obscurité commença enfin à se lever un peu, et tout autour de lui s'enflamma. Il prit la fuite sur un boulevard parsemé de cadavres et de cendres encore brûlantes, et finit par échapper à la mort : gravement brûlé, mais sauf.

  • Louis-Auguste Cyparis, un ouvrier de 27 ans, était en prison après avoir blessé un homme au cours d'une bagarre dans un bar, alors qu'il était totalement ivre. Il avait écopé d'un mois de prison, mais, apprenant qu'une fête devait se dérouler dans un village voisin, et ne voulant la rater pour rien au monde, il s'était tout bonnement échappé ! Le lendemain, très civique, il était revenu se constituer prisonnier, et avait tout de même reçu une semaine supplémentaire de détention... La catastrophe survint alors, avec les conséquences que l'on sait.

    Les murs de sa cellule étaient très épais, et seule une petite ouverture lui donnait accès à l'air extérieur : lorsqu'on le découvrit gémissant dans sa geôle, plusieurs jours après la catastrophe, il était très gravement brûlé. Il survécut cependant, puis partit en Amérique, et fut engagé par le cirque Barnum & Bailey's, grâce auquel il devint célèbre en racontant ce jour funeste, et son expérience de survivant au « jour du jugement dernier ». Voici le récit de l'éruption que fit Cyparis :

Il était 8 heures. On n'était pas encore venu m'apporter la ration du jour, quand tout à coup un bruit formidable se fit entendre. Tout le monde criait « Au secours ! Je brûle ! Je meurs ! ». Au bout de cinq minutes personne ne criait plus excepté moi, lorsqu'une fumée se précipita avec violence par la petite fenêtre de ma porte. Cette fumée brûlait tellement que pendant un quart d'heure, je sautais à droite, à gauche, en l'air, tout partout pour l'éviter ! Après un quart d'heure, c'était un silence affreux. J'écoutais, criant de venir me sauver. Personne me répondait. Alors tout Saint-Pierre doit être écrasé sous le tremblement de terre, dans du feu.



Louis Auguste Cyparis, et la cellule qui lui sauva la vie

finipe, 14h53 :: :: :: [6 confessions honteuses]