Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

Je suis
fait comme
un rat !
C'est ce qu'on dit
Ces temps-ci, l'ignorance ignore amoureusement son destin. C'est ainsi que la vie s'enrichit, immobile depuis le silence du rationalisme
Confunius ::
Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

17 Juin 2007 ::

« L'affaire des Bacchanales - 1ère partie »

:: Histoire antique, -186

Ce billet fait partie d'un sujet composé de deux parties :

1. L'affaire des Bacchanales - 1ère partie
2. L'affaire des Bacchanales - 2ème partie



Débauche au coeur d'une république moraliste

En ce début de deuxième siècle av. JC, la république romaine est sans cesse sur le sentier de la guerre : après une brillante victoire sur Carthage et Hannibal lors de la bataille de Zama, Rome doit maintenir la paix, notamment en Hispanie où Caton l'ancien[1] mène une répression brutale contre les soulèvements des peuplades Celtibères. La puissante république envoie également de nombreuses troupes en Grèce et jusqu'en Asie mineure, pour lutter contre les appétits expansionnistes du roi de Syrie et de Mésopotamie, Antiochos III, qui a pour prétention de reconstituer l'empire déchu d'Alexandre le Grand. Au cours de ces batailles, le vainqueur de Carthage, Scipion l'Africain, se distingue une nouvelle fois en emmenant Rome de victoire en victoire, aux côtés de son frère, qui obtient le surnom de Scipion l'Asiatique.

C'est dans ce contexte qu'une mystérieuse pratique religieuse se développe au sein de Rome. Venues d'Etrurie[2] et transmises par un obscur prêtre d'origine grecque, ces pratiques — au début bien innocentes — ont graduellement dérivé vers de singulières orgies, durant lesquelles la débauche s'exprime, entre hommes et femmes indifféremment, et sous l'empire du vin et du vice. En parallèle à ce licencieux commerce, les pires infamies se commettent : mensonges éhontés, faux témoignages, dénonciations calomnieuses, empoisonnements et meurtres sortent de ces agissements comme d'un creuset de stupre !

La découverte du culte orgiaque

Nous sommes en -186. Aebutius, fils d'un défunt chevalier romain, est élevé par sa mère Duronia, et sous tutelle de son beau père Rutilus, second mari de sa mère : Rutilus et Duronia sont tous deux membres de ce culte du vice qui s'étend à Rome. Un jour, alors que son fils est malade, Duronia jure de l'initier au culte de Bacchus s'il guérit : les dieux exaucent sa volonté, et Aebutius guérit. Duronia lui déclare alors qu'il doit observer dix jours de chasteté, après lesquels il sera conduit au temple et initié.

Durant cette période, Aebutius parle avec sa maîtresse de cette initiation au culte de Bacchus. Cette femme nommée Hipsala Faecénia, une courtisane célèbre, ancienne esclave et affranchie, s'est prise d'une grande affection pour Aebutius, à tel point qu'elle en a fait son légataire universel, et qu'elle subvient très largement à ses besoins. A l'écoute de cette confession faite par son amant, Hipsala pousse un gémissement d'horreur, et raconte son passé auprès de son ancien maître, du temps où elle était encore esclave. Elle avait en effet assisté aux horreurs qui se trament dans les réunions orgiaques des cultistes, et les décrit à Aebutius en ces termes :

Je sais que c'est une école d'abominations de toute sorte, et il est constant que depuis deux années on n'a initié personne au-dessus de l'âge de vingt ans. Dès qu'on y est introduit, on est livré comme une victime aux mains des prêtres et ils vous conduisent en un lieu où des hurlements affreux, le son des instruments, le bruit des cymbales et des tambours étouffent les cris de la pudeur outragée !

Hipsala, après ces aveux, obtient de son amant la promesse qu'il ne se fera pas initier, et Aebutius refuse en effet cette initiation peu de temps après : furieux, Duronia et Rutilus le chassent de leur demeure avec quatre esclaves. Aebutius se réfugie chez sa tante paternelle, Aebutia, qui lui conseille de parler du culte aux autorités de Rome : dès le lendemain, Aebutius raconte toute l'histoire au consul Postumius.

Enquête & révélations

Postumius commence par s'informer auprès de sa belle-mère Sulpicia sur la crédibilité d'Aebutius. Puis, convaincu de son honnêteté, il fait venir Hipsala pour entendre son témoignage. Celle-ci, très impressionnée par l'importance du personnage qui la demande, se rend chez le consul toute tremblante : Postumius lui demande alors de raconter ce qu'elle sait sur le culte des Bacchanales. Terrorisée, elle commence par affirmer qu'elle avait autrefois été initiée contre son gré, alors qu'elle était esclave, et que depuis son affranchissement, elle ne participe plus à ces débauches. Postumius lui assure que nul ne lui tiendra rigueur de ces excès du passé si elle est sincère et qu'elle raconte toute la vérité : Hipsala, après de nombreuses jérémiades et protestations, craignant autant l'ire des dieux que celle des cultistes, raconte finalement tout ce qu'elle a vu.

[...] Les hommes paraissaient avoir perdu la raison et prophétisaient l'avenir en se livrant à des contorsions fanatiques ; les femmes, vêtues en bacchantes et les cheveux épars, descendaient au Tibre en courant, avec des torches ardentes qu'elles plongeaient dans l'eau et qu'elles retiraient tout allumées, parce que ces torches renfermaient un mélange de chaux vive et de soufre naturel. Les dieux étaient supposés enlever des malheureux, qu'on attachait à une machine et qu'on faisait disparaître en les précipitant dans de sombres cavernes. [...] La secte était déjà si nombreuse qu'elle formait presque un peuple ; des hommes et des femmes de nobles familles en faisaient partie. Depuis deux ans il avait été décidé qu'on n'admettrait personne au-dessus de vingt ans ; on voulait avoir des initiés dont l'âge se prêtât facilement à la séduction et au déshonneur.

Après ce terrible récit, Postumius prend soin de placer ses deux témoins en sureté : Hipsala, terrorisée par une éventuelle vengeance à son encontre, est placée chez Sulpicia, la belle mère du consul, tandis qu'un client de ce dernier accueille Aebutius. Puis, Postumius se rend au Sénat, avec la ferme intention de dénoncer le culte des Bacchanales et de l'extirper de Rome et d'Italie. Horrifié par la bestialité des actes décrits, Postumius craint également que le culte n'abrite un sombre complot contre la République...

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1. C'est ce même Caton, qui sera surnommé en -184 Caton le Censeur en raison de sa rigueur morale, qui prononcera le célèbre « Delenda est Carthago », afin de pousser Rome à détruire définitivement Carthage. Voir à ce propos le billet sur la troisième guerre punique.

2. Terre d'origine des Etrusques, située au nord de Rome, de l'autre côté du fleuve Tibre, correspondant à l'actuelle Toscane.

finipe, 01h25 :: :: :: [0 cri de désespoir]