Depuis bientôt 32 ans que je suis né, pas une semaine ne s'est passée sans que j'entende parler du conflit israëlo-arabe. Bande de Gaza, plateau du Golan, Intifada, Syrie, Hezbollah, Yasser Arafat, OLP, Hamas, Cisjordanie, Palestine et j'en passe, j'ai pour ainsi dire grandi en entendant ces termes à la télévision, en voyant des images que je ne comprenais pas vraiment. Alors je vais essayer au cours des prochains billets, d'éclaircir un peu tout ça, en espérant que cela profite à d'autres par la même occasion, car malheureusement ce sanglant feuilleton semble loin d'être terminé.
Les origines de l'Etat moderne d'Israël
Le 31 octobre 1917, au crépuscule de la première guerre mondiale, le vieil empire ottoman chute définitivement à la bataille de Beer-Sheva, face aux troupes britanniques
[1]. Après d'intenses tractations entre les alliés victorieux et les mouvements sionistes, la Société Des Nations, ancêtre de l'ONU, officialise la création de la « Palestine mandataire », sous protectorat britannique. Cette zone géographique doit voir l'implantation d'un foyer national juif, avec pour objectif la formation d'une nation juive auto-gouvernée et représentée par l' « Agence juive », un organisme faisant office de gouvernement hébreu. Dès le début, les arabes présents dans cette région s'opposent à cette création, et plusieurs révoltes éclatent (émeutes en 1920 et en 1929, grande révolte arabe de 1935 à 1939). Pour tenter d'apaiser les tensions et éviter une poussée nationaliste arabe qui serait défavorable à leurs intérêts régionaux, les britanniques réduisent l'immigration des juifs en fixant une série de lois appelées « Livre blanc », en 1922, 1930 et 1939 : ces lois déplaisent fortement aux sionistes les plus ardents.
C'est ainsi qu'à la fin de la seconde guerre mondiale, l'
Irgoun (un groupement armé nationaliste dirigé par Menahem Begin) ou encore le
Lehi (mouvement anti-impérialiste et terroriste) luttent contre l'occupation britannique, et provoquent parfois des attentats contre des civils arabes : de nombreux soldats et fonctionnaires britanniques trouvent la mort dans ces actions armées. Pendant la guerre, l'organe militaire de l'Agence juive, la
Haganah, mené par David Ben Gourion, a lutté aux côtés des anglais, malgré le « Livre Blanc » qu'il réprouve. C'est donc naturellement que dans un premier temps, la
Haganah mène des opérations de représailles envers les militants terroristes de l'
Irgoun et du
Lehi. Mais à partir de 1947, Ben Gourion réoriente son action à l'encontre des britanniques, qui refusent catégoriquement qu'une population juive trop importante s'installe en Palestine. Dès lors, face à la très forte demande des juifs d'Europe survivants à la Shoah
[2], la Haganah intensifie une immigration clandestine qui n'avait pas cessée.
Guerre civile en Palestine mandataire
Finalement, le gouvernement anglais décide de renoncer à son mandat, qui doit prendre officiellement fin le 14 mai 1948. Le 29 novembre 1947, la résolution 181 de l'ONU ratifie donc le « Plan de partage de la Palestine », qui distingue deux territoires : l'un arabe, l'autre juif, et Jérusalem au milieu, coupée en deux et sous contrôle international. Si la majorité des juifs se satisfait de ce partage, heureuse d'obtenir enfin un Etat autonome, les arabes rejettent pour la plupart cette décision. La Ligue Arabe
[3] s'oppose également à ce partage avec vigueur, annonçant dès le départ qu'elle n'hésitera pas à utiliser la force si besoin est. Du 29 novembre 1947, date du plan de partage, et jusqu'au 14 mai 1948, fin du mandat britannique en Palestine, la région sombre dans la guerre civile, entre les factions nationalistes des communautés juives et arabes.
La Palestine, après le partage du 29 novembre 1947 : en rouge, les territoires juifs
La guerre israélo-arabe de 1948-1949
Après cette première phase de guerre civile, le conflit prend un tour plus organisé et plus systématique. D'une manière générale, les troupes arabes sont beaucoup moins bien préparées que les troupes juives, et les membres de la Ligue Arabe sont méfiants les uns envers les autres. C'est ainsi que, dans les derniers jours du mandat britannique, la
Haganah passe à l'offensive et conquiert de nombreux territoires en assurant la continuité de ses frontières. De fait, des centaines de milliers d'arabes palestiniens sont poussés à l'exode. L'on doit également souligner le massacre de Deir Yassin, le 9 avril 1948, qui voit la mort d'une centaine de civils palestiniens par des membres de l'
Irgoun : l'Agence juive présente ses excuses au roi Abdallah Ier de Jordanie et condamne ce massacre, mais cet événement demeure comme un symbole du drame subi par les populations palestiniennes.
David Ben Gourion, déclarant l'indépendance d'Israël, le 14 mai 1948
Le 15 mai, premier jour de la fin du mandat britannique, les soldats de la Ligue Arabe entrent en Palestine : toutes nationalités confondues, c'est près de 45.000 soldats arabes qui viennent affronter environ 40.000 soldats hébreux
[4], sur des fronts situés aux quatre points cardinaux. C'est toutefois à Jérusalem que les combats les plus violents se déroulent, en raison de l'immense importance symbolique de la ville, sainte autant pour les musulmans que pour les juifs. Le 26 mai, l'armée israëlienne de
Tsahal est officiellement créée, principalement autour de la
Haganah. Les armées égyptiennes, irakiennes, libanaises, transjordaniennes, syriennes et palestiniennes progressent, mais Tsahal résiste vigoureusement jusqu'au 11 juin, date à laquelle une première trêve a lieu à l'initiative du Conseil de sécurité des Nations unies.
Malgré un embargo mené par l'ONU pour éviter un réarmement des différents partis, Ben Gourion parvient à réarmer et réorganiser
Tsahal pendant la trêve, parfois avec vigueur, afin notamment de se débarrasser des éléments les plus extrêmistes. Le 8 juillet, un nouveau plan de partage est proposé par l'ONU, et immédiatement rejeté par les deux opposants : le conflit reprend. Dès lors, le camp hébreu parvient à reprendre de nombreuses villes et repousser les forces de la Ligue Arabe, dont les défaites s'accumulent et mettent en évidence l'improbabilité de plus en plus forte d'une quelconque victoire finale. Le seul échec de
Tsahal reste Jérusalem, fermement tenue par les troupes transjordaniennes. Le 18 juillet, une seconde trêve est signée.
Le 17 septembre, cette seconde trêve est marquée par l'assassinat de Folke Bernadotte
[5], l'émissaire de l'ONU, à l'initiative du
Lehi qui juge les propositions de paix inacceptables. Ben Gourion, condamnant officiellement cet assassinat, en profite pour éliminer définitivement toute trace de ces encombrants membres du
Lehi et de l'
Irgoun, et augmente encore la puissance de l'armée régulière,
Tsahal. Les forces arabes, quant à elles, ne parviennent pas à résoudre leurs différends internes, et continuent de décliner. Le 15 octobre, l'offensive reprend à l'initiative de l'armée israëlienne, qui inflige tout d'abord une défaite difficile à l'Egypte dans le sud de la Palestine (désert du Néguev). Dans le même temps, le nord du territoire est conquis, repoussant les soldats libanais. Chaque poussée territoriale de l'armée israëlienne occasionne un certains nombres d'expulsions de populations arabes, voire de massacres parfois...
Palestiniens sur le chemin de l'exode
Le 24 février, un accord de paix est signé entre Israël et l'Egypte, qui ne laisse à l'Egypte que le contrôle de la fameuse « bande de Gaza ». Le 23 mars, c'est au tour du Liban de signer, reconnaissant les anciennes frontières. Le 3 avril, c'est la Transjordanie qui signe un accord de paix, après avoir longuement tergiversé, sachant pertinemment qu'un engagement durable contre Israël serait très destructeur pour tous les partis (les combats pour la prise de Jérusalem en juin 1948 l'avaient d'ailleurs prouvé). La Transjordanie conserve le territoire de Cisjordanie et Jérusalem-Est, et accueille un très grand nombre de réfugiés palestiniens en exode : le pays se rebaptise « Jordanie ».
Enfin, le 20 juillet, c'est la Syrie qui signe un accord de paix avec Israël, se retirant des territoires qu'elle occupait, et laissant une zone démilitarisée à la frontière.
Les conséquences
Au total, Israël récupère près de 80% de l'ancienne Palestine mandataire : c'est pour l'Etat hébreu une victoire évidente, et l'affirmation d'une armée puissante et organisée. Les nouvelles frontières sont tacitement acceptées par l'ONU, mais du côté israëlien, on ne présume rien de ce qui pourrait advenir dans les années suivantes : ces frontières ne sont pas considérées comme définitives. Plus de 750.000 arabes palestiniens sont expulsés ou fuient Israël, à destination des pays arabes limitrophes. Dans le même temps, presque autant de juifs vivant dans ces pays arabes sont à leur tour expulsés et rejoignent Israël.
Il est encore difficile d'estimer le nombre de victimes qu'a causé cette guerre : environ 6000 israëliens, plus de 12.000 palestiniens, près de 2000 égyptiens. Quant aux autres pays belligérants (Syrie, Liban, Irak et Jordanie), aucun chiffre précis n'a été avancé.
Israël, après la guerre d'indépendance. La bande de Gaza est sous contrôle égyptien, et la Cisjordanie est annexée par la Jordanie
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1. Pour la suite de l'Histoire turque de cette époque, voir notamment le sujet sur Mustapha Kemal.
2. Le summum de cette crise fut atteint avec l'affaire de l'Exodus, un bateau chargé d'émigré juifs clandestins, qui fut renvoyé sans ménagement par les britanniques. Cet épisode provoqua une vive émotion internationale et une forte sympathie envers la cause sioniste.
3. La Ligue Arabe fut fondée en 1945, constituée initialement par l'Égypte, la Jordanie, le Yémen du Nord, l'Arabie saoudite, le Liban, la Syrie et l'Irak.
4. Ces chiffres sont encore discutés, de même que les forces techniques et stratégiques respectives de chacune des armées. Il y a toutefois un relatif consensus sur le fait que globalement, l'armée israëlienne était plus forte et surtout mieux préparée que l'armée de la Ligue Arabe.
5. Diplomate suédois qui s'était particulièrement distingué pendant la seconde guerre mondiale, en négociant la libération de 15000 prisonniers des camps de concentration nazis.