Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

Je suis
fait comme
un rat !
Ta
gueule
En vérité je vous le dis, l'Homme répudie horizontalement son destin, de sorte que la mort se délite en atteignant l'au-delà de l'individualisme
Phosocle ::
Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

19 Décembre 2008 ::

« Edmund Campion, Jésuite exécuté à Tyburn »

:: Histoire moderne, 1581

Les Jésuites en Angleterre, à la charnière du XVIIème siècle

En 1580, la Compagnie de Jésus envoie deux Pères pour tenter d'essaimer les dogmes de la Compagnie : il s'agit de Robert Persons et Edmund Campion. En effet, depuis qu'Henri VIII a rompu avec Rome, et après quelques décennies d'incertitude, le protestantisme est religion d'Etat en Angleterre. Mais les autorités anglaises sont suspicieuses envers les Jésuites : leurs petits complots et les quelques complaisances dont ils peuvent bénéficier au sein du pouvoir sont loin de passer inaperçus aux yeux de la police. Bientôt, on traque les Jésuites comme des gens suspects, et, un an après son arrivée, le Père Campion est arrêté, torturé et exécuté à Tyburn, le terrible lieu des suppliciés de Londres. Le Père Persons parvient à s'enfuir et organise depuis le continent une mission Jésuite.


A gauche, Edmund Campion, et à droite, une gravure représentant les dernières paroles d'un condamné

Commence alors pour les Jésuites d'Angleterre une existence des plus incertaines : ils débarquent en secret sur la côte, sont hébergés par des catholiques dévoués qui risquent leur vie à chaque instant, doivent se déguiser en gentilshommes. Pour échapper à leurs poursuivants, les compagnons de Jésus sont obligés de changer d'identité, de ne jamais passer la nuit deux fois de suite au même endroit, de se réfugier dans des cachettes tenant plus du trou obscur ménagé entre deux murs que de la chambrette vivable. Ils sont ravitaillés en secret, restent parfois des jours, voire des semaines entières sans bouger, en écoutant à travers les cloisons les pas des gens de police qui les recherchent.

En 1605, la situation ne fait que s'aggraver suite à la « Conspiration des Poudres » : un groupe de catholiques exaltés conduits par un certain Guy Fawkes conçoivent le projet de faire sauter la Chambre des Lords un jour où Jacques Ier Stuart viendrait assister à une séance. Le complot vient aux oreilles des Jésuites par plusieurs voies : ainsi, les Pères Garnet, Greenway et Oldcorne apprennent que la violence va être utilisée contre le roi anglais, mais le complot est éventé avant que les Jésuites aient le temps de décider de ce qu'il convient de faire. Lors de son procès, le Père Garnet affirme qu'il était lié par le secret de la confession et ne pouvait prévenir les autorités. Il est à son tour torturé, puis pendu, suivant de près le sort qui avait déjà été réservé au Père Oldcorne.

Puis, bon gré mal gré, les années qui suivent sont un peu plus sereines : les persécutions s'atténuent, et la Compagnie de Jésus peut s'infiltrer toujours un peu plus sur le territoire anglais, pour atteindre le nombre de 150 Compagnons en 1626, et former une Province[1]. Le clergé catholique romain paraît assez nombreux et implanté pour qu'on se pose la question d'y envoyer un évêque, et le Saint-Siège à Rome désigne un certain Richard Smith à ce rôle. Mais revenons quelques années avant à l'exécution d'Edmund Campion, ou encore des pères Garnet et Oldcorne, et en particulier au rituel de l'exécution des condamnés à Tyburn.

The Tyburn Tree

Les pendaisons à Tyburn suivent un rituel. Tout d'abord, les condamnés sont enfermés à la prison de Newgate, située juste à l'extérieur des remparts, non loin de la cathédrale Saint-Paul. Puis, le jour de l'exécution, on leur lie les mains devant eux, de sorte qu'ils puissent prier, et on leur passe autour du cou la corde qui servira à les pendre. Vers 7 heures du matin, on les place par groupes de 7 ou 8, assis dans des charrettes ouvertes, et le cortège se met en route pour parcourir la lieue qui sépare Newgate de Tyburn. Avec le cortège funèbre se trouvent le chapelain de Newgate, un shérif, le bourreau et ses assistants, et une troupe d'une dizaine de lanciers.

Tout au long du trajet, des hommes sont engagés pour contenir la foule qui s'amasse pour insulter et cracher sur les condamnés, en particulier si ceux-ci sont connus. On s'arrête tout d'abord à l'Eglise du Saint-Sépulcre, juste à côté de la prison, où l'on donne à boire aux condamnés. Parfois, les condamnés bénéficient d'un traitement de faveur, et on leur épargne le trajet humiliant pour les mener directement à Tyburn.


Chemin vers Tyburn (carte de Londres de 1688)

Ce voyage peut durer parfois jusqu'à trois heures ! Lorsque le cortège arrive à Tyburn, il est accueilli par une très nombreuse foule, souvent très indisciplinée : une journée de pendaison est un spectacle qu'on apprécie ! On mène la charrette sous l'un des trois montants du portique triangulaire qui fait office d'échafaud, on y attache les cordes des condamnés, puis le chapelain prie avec eux quelques instants. Enfin, le bourreau recouvre les visages des condamnés avec une cagoule blanche, on fouette les chevaux, la charrette repart, et les condamnés se trouvent pendus. La corde est courte, et l'agonie est souvent longue, car le cou n'est pas brisé. Si le condamné met trop de temps à mourir, les assistants du bourreau peuvent à l'occasion tirer sur les pieds du pendu récalcitrant... C'est parfois jusqu'à 24 condamnés à la fois qui sont ainsi accrochés comme des pantins !


Une des plus célèbres représentations d'une exécution à Tyburn, 11ème d'une série de 12 gravures satiriques, réalisées par William Hogarth en 1747 : « The Idle Prentice executed at Tyburn ». En sous titre, on peut lire quelques lignes extraites de l'Ancien Testament, les Livres poétiques, Proverbes, chapitre 1, versets 27 et 28 : « When fear cometh as desolation, and their destruction cometh as a Whirlwind : when distress cometh upon them. Then they shall call upon God, but he will not answer ». « Quand la terreur vous saisira comme une tempête, Et que le malheur vous enveloppera comme un tourbillon, Quand la détresse et l'angoisse fondront sur vous. Alors ils m'appelleront, et je ne répondrai pas ; Ils me chercheront, et ils ne me trouveront pas. »

C'est le 1er décembre 1581 que le père Edmund Campion est ainsi pendu, après avoir déclaré : « In condemning us, you condemn all your own ancestors, all our ancient bishops and kings, all that was once the glory of England » (En me condamnant, vous condamnez tous vos propres ancêtres, tous vos anciens prêtres et rois, tout ce qui fut la gloire de l'Angleterre). Ces paroles lui vaudront d'ailleurs la béatification en 1886, puis la canonisation en 1970.


Le site de Tyburn, de nos jours, dont il ne reste qu'une stèle pour mémoire


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1. Entité administrative pour les Jésuites, dirigée par un Provincial. Il y avait quatre Provinces en France.

finipe, 20h15 :: :: :: [3 soupirs de satisfaction]

17 Décembre 2008 ::

« Le manchot de Lépante »

:: Histoire moderne, 1571

La puissance de l'Empire Ottoman

Autour de l'année 1530, l'immense Empire Ottoman, sous le règne de Soliman le Magnifique, connaît l'apogée de son extension : en Europe, les ottomans font un siège devant Vienne, mais échouent à deux reprises. Cependant, l'Empire est établi depuis des années dans toute l'actuelle Grèce, en Macédoine, Bosnie, Serbie, Hongrie, l'actuelle Roumanie ; il est étendu jusque dans le Caucase, en Crimée, au sud de l'actuelle Ukraine, sans parler de toute l'Anatolie et de ses conquêtes plus récentes en Mésopotamie, Syrie, Egypte, et dans tout le nord du Maghreb... C'est donc un ogre surpuissant qui fait face aux derniers remparts méditerranéens, la République de Venise et le royaume des Deux-Siciles (ce dernier étant aux mains des espagnols).

La République de Venise, en particulier, est en première ligne face aux ottomans : elle est maîtresse de Chypre, de la Crête, des îles ioniennes, et a essaimé de nombreux comptoirs commerciaux en Méditerranée, comptoirs dont elle profite d'ailleurs pour faire un commerce florissant avec ce même Empire qui menace l'Europe. Selim II, fils et successeur de Soliman le magnifique (mort en 1566), n'est cependant pas aussi brillant que son père : l'expansion de l'empire se ralentit fortement, et Selim II laisse les affaires à son vizir, préférant une vie de débauche[1]. Malgré cela, les raids des corsaires ottomans sèment le désordre un peu partout, et l'esclavage est une fin courante pour les prisonniers des turcs : parmi ces corsaires fameux, on trouve notamment Dragut[2] ou Uludj Ali[3].

Au mois de juillet 1570, une flotte turque de 50000 hommes et près de 360 navires débarque à Chypre ; le 9 septembre de cette même année, les turcs occupent Nicosie, la capitale chypriote, et l'île autrefois vénitienne entre dans le giron de l'Empire Ottoman. La conquête s'est accompagnée de massacres abominables ! Partout en Europe, l'émoi est grand : Chypre est une passerelle stratégique en Méditerranée, et le camouflet est de toute façon intolérable. Le pape Pie V lance alors une véritable croisade en faveur de la reconquête de Chypre, et organise une coalition entre les états chrétiens faisant face aux turcs : l'alliance est concrétisée le 25 mai 1572 par la création de la Sainte Ligue[4], qui regroupe en très large majorité les Habsbourgs espagnols (royaume des Deux-Siciles), les vénitiens et les Etats Pontificaux de Rome, mais également les chevaliers de Malte, la république de Gênes ou encore le duché de Savoie. Une flotte de 30000 hommes et plus de 200 navires est constituée, et placée sous le commandement de Don Juan d'Autriche, demi-frère du roi d'Espagne Philippe II, et fils illégitime de feu Charles Quint.


Situation en mer ionienne en 1571. Les territoires en rouge sont des possessions vénitiennes.

La bataille de Lépante

La flotte de la Sainte Ligue se réunit à la mi-septembre à Messine, en Sicile, puis fait route vers la Grèce. La flotte turque est quant à elle menée par Ali Pacha[5], lui-même secondé de deux corsaires, Scirrocco et Uludj Ali : au début du mois d'octobre, les turcs, après avoir mené des razzias tout l'été jusqu'à l'île de Corfou (possession vénitienne), se reposent devant Lépante. Ainsi, l'affrontement entre turcs et chrétiens a lieu au matin du 7 octobre : bataille maritime titanesque, comme on n'en avait plus vue depuis des siècles, il apparaît très tôt aux turcs qu'ils ont sous-estimé la puissance de la flotte chrétienne. Ali Pacha est coincé, dos au golfe de Lépante, et la Sainte Ligue bloque toute sortie en faisant front depuis l'ouest.

Rapidement, les navires fraîchement sortis des puissants arsenaux vénitiens font des merveilles au combat, et la supériorité chrétienne ne fait aucun doute, malgré un sous nombre assez important. Après de terribles cannonades, les galères turques se font éperonner, et les assauts se poursuivent à l'arme blanche. En début d'après-midi, le navire d'Ali Pacha est envahi : le commandant de la flotte ottomane est décapité, et sa tête placée sur une pique. Uludj Ali prend le commandement, réussit même à s'emparer d'un navire maltais, mais la mort d'Ali Pacha est un coup trop rude pour les turcs, qui se démoralisent rapidement, et finissent par fuir.


Ali Pacha, Uludj Ali et Don Juan d'Autriche

Le bilan est catastrophique pour l'Empire Ottoman : 30000 morts, 8000 prisonniers, la flotte détruite ou capturée aux trois quarts. Côté chrétien, la victoire est pénible — environ 7500 morts et des milliers de blessés — en particulier pour les vénitiens qui ont payé un lourd tribut, même si plus de 15000 chrétiens de toutes nationalités, asservis par les turcs, retrouvent la liberté à l'issue de la bataille. Malgré la victoire écrasante de la Sainte Ligue, aucun profit n'est tiré par le camp chrétien, sinon la certitude que désormais, l'Empire Ottoman n'est plus invincible. Appelés sur d'autres fronts et vers d'autres soucis politiques (en Flandre notamment), les espagnols ont toutefois marqué leur hégémonie maritime en Méditerranée. Quant à Venise, et bien que Chypre ait été le déclencheur de la formation de la Sainte Ligue, elle est contrainte de céder l'île à l'Empire Ottoman le 7 mars 1573 (afin, entre autres, de pouvoir poursuivre le commerce avec les turcs) ; dans le même temps, la Sainte Ligue se dissout dans les intérêts personnels de chacune des nations qui la composaient.

Cervantes, le manchot de Lépante

Dans la bataille se trouve un certain Miguel de Cervantes, embarqué sur la Marquise, une galère espagnole. Agé de 24 ans, le jeune homme a beaucoup voyagé en Italie engagé comme valet par le légat pontifical et futur cardinal Giulio Acquaviva[6], après avoir fui l'Espagne vraisemblablement pour échapper aux poursuites qu'il encourait après avoir tué un homme en duel. Puis, il s'est enrôlé dans un régiment d'infanterie espagnol, et, le 7 octobre 1571, il participe à la bataille de Lépante. Ce jour-là, il est fiévreux et faible : on lui conseille de rester à fond de cale et de ne pas participer à la bataille, mais Cervantes refuse, se demandant bien ce qu'on dirait de lui s'il ne se battait pas...

Il prend donc part aux combats, et y reçoit trois coups d'arquebuse : deux coups dans la poitrine, et un troisième qui lui sectionne un nerf de la main gauche, le laissant infirme et incapable de s'en servir. Don Juan d'Autriche, apprenant la bravoure du soldat, le récompense de quatre ducats. C'est ainsi que le créateur de L'ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche perdit sa main gauche, pour la plus grande gloire de la main droite, dira-t-il plus tard.




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1. On le surnomme d'ailleurs L'ivrogne.

2. Dragut, mort au siège de Malte en 1565, était un ancien protégé du fameux pirate Barberousse.

3. Histoire singulière que celle de cet homme, né « Giovanni Dionigi Galeni » en Calabre et enlevé à l'âge de 16 ans par un amiral turc, puis converti à l'Islam et à la cause ottomane.

4. Cette Sainte-Ligue est sans rapport avec la Ligue Catholique qui sera créée en 1576 en France, dans laquelle s'est distingué le Duc de Guise.

5. Ne pas confondre avec Mehemet Ali Pacha, qui, en 1826, envoya une girafe à Charles X en guise de cadeau...

6. Ce cardinal était parent avec Claudio Acquaviva, qui fut supérieur général des Jésuites de 1581 à 1615.

finipe, 22h55 :: :: :: [1 haineuse invective]

10 Décembre 2008 ::

« De la branchouillitude d'une montre »

:: Misanthropie

Certains de mes innombrables lecteurs connaissent probablement ma viscérale aversion pour la publicité, inépuisable source de crétinerie crasse qui me permet fréquemment de répandre mon fiel. Si je ne me retenais point, je pourrais d'ailleurs exprimer mon atrabile ici-même au moins trois fois par jour, mais gageons que cela lasserait considérablement mon (important) lectorat. J'avais pourtant déjà cédé une première fois à ce brûlant et sourd appel de la colère, ici-même, en fustigeant certain môme footballeur jouant à la baballe dans l'appartement fraîchement nettoyé de sa génitrice.

Aujourd'hui, il ne s'agit pas de nettoyage de sol, il s'agit de montre. Vous aurez d'ailleurs remarqué, vous qui — comme moi, j'en suis sûr — recevez quantité de spams importuns vous vantant les mérites de je ne sais quelle fausse montre de luxe censée vous procurer un prestige social considérable, à quel point la montre est un produit particulier à la télévision, au même titre que les parfums ou certaines voitures : pour nous vendre des parfums, les petits génies de la publicité ne peuvent décemment pas nous vanter une simple « bonne odeur », ce serait grotesque. C'est pourquoi ces gens vendent un produit qui doit transformer l'image de celui qui l'utilise : porter un parfum, c'est comme porter un vêtement de luxe, un accessoire en forme de touche finale, la petite note qui achève de vous distinguer d'autrui, dans un monde pourtant paradoxal où la mode décline des apparences toutes similaires et où ressembler aux autres est cependant un signe de mauvais goût. Alors le parfum nous vante des univers éthérés où l'homme est viril et sensible à la fois, et où la femme exhale un mystère trouble derrière de savantes et translucides soieries, dans des endroits lointains, exotiques et subtils : on ne nous vend pas une odeur, mais un rêve hollywoodien.

Pour vendre des montres, nos petits génies se sont lancés dans des procédés similaires. Ainsi, une publicité récente nous montre un homme et une femme, vêtus de fuligineuses tenues de cuir : l'homme est un succédané d'Indiana Jones, et la femme un ersatz de Lara Croft. Tous deux se trouvent sur le toit d'un train lancé à vive allure après avoir sauté d'un hélicoptère, dans un paysage montagneux et hostile ; Indiana Jones attrape in extremis la main de Lara Croft, et évite ainsi qu'elle ne se brise les os sur un panneau. Ils se regardent un instant, troublés, et l'on distingue à leurs poignets de futuristes et lumineuses montres. L'instant suivant, Lara plonge sur Indiana, pour éviter qu'il ne se brise le crâne contre un pont de métal sous lequel passe le train. Ils se trouvent couchés sur le toit du train, l'un sur l'autre, et se regardent : le trouble sensuel est à son paroxysme !

Puis, les deux aventuriers se précipitent à l'intérieur du train par une porte latérale, en évitant de justesse un autre train qui arrive en sens contraire. C'est alors que survient l'inexplicable : une porte métallique rutilante sur laquelle figure un sigle jaune de radioactivité s'ouvre, un vigile à la beauté d'ébène laisse pénétrer nos héros dans cet étrange lieu, en échange des somptueuses montres d'Indiana et Lara, qui sont aussitôt déposées tels de précieux bijoux dans un écrin futuriste de verre, de lumière et de métal. Indiana et Lara se dévêtent alors en un clin d'oeil pour arborer une tenue de soirée, et pénètrent dans ce mystérieux wagon interlope, à l'intérieur duquel dansent au ralenti de jeunes et troublantes créatures au formes suggestives, sur une musique électronique branchouille[1]. Enfin, pour clore ce consternant tableau, une voix grave et mesurée prononce le nom de la collection de montres, avec un accent anglo-américano-bizarre exagéré à outrance : « Lotus code, get into the action » (prononcez Lowtious cawde, guède ine tou zi akcheun).

Pour percevoir avec plus d'acuité toute la branchouillitude compassée de cette publicité, je suis allé voir quelques sites internet vendant ce genre de montre, et ai trouvé une description qui nous éclaire un peu plus : « La montre LOTUS CODE c'est en premier lieu un design unique, urbain, racé, reconnaissable au premier coup d'oeil »... Je m'interroge encore sur ce que peut réellement représenter un design urbain ou racé, mais j'imagine que cela ne s'adresse pas à un ouvrier de Boulogne-Billancourt ou un éleveur de porcs breton.

Quant à moi, qui ne suis ni urbain, ni encore moins racé, je ne porte plus de montre depuis des années : c'est sans doute pourquoi je suis imperméable à cette ridicule publicité, autant qu'à toute manifestation extérieure de branchouillitude. Je suis donc un incurable plouc de province, et peux donc — sans craindre de déchoir de quelque degré que ce soit dans l'échelle de la branchouillitude sociale — conchier sans retenue ces montres ainsi que les publicitaires qui les promeuvent.



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1. Accès lexical très personnel, « branchouille » est un épithète auquel on peut avantageusement ajouter l'expression « de merde » pour former la locution « branchouille de merde ». Désigne à mon sens tout ce qui est non pas « branché » (parce que c'est ringard de dire « branché »), mais plutôt à la pointe de la tendance, à l'avant-garde de la mode. Ce qui est branchouille est très souvent associé à des lubies capitales parisiennes, lubies qui me sont généralement tout à fait insupportables.

finipe, 14h14 :: :: :: [6 remarques spirituelles]

8 Décembre 2008 ::

« Caratacos, l'éloquence d'un barbare »

:: Histoire antique, 51

Les débuts de la conquête romaine de l'île de Bretagne

Jules César s'y était essayé en son temps, mais il s'était cassé les dents à plusieurs reprises lors de ses tentatives de conquête de l'île Britannique. Ardemment défendue par des chefs de guerre dont un certain Cassivellaunos[1], l'île de Bretagne parvient à repousser la puissante armée romaine. Après l'assassinat de Jules César et quelques années de lutte entre Octave (futur Auguste) et Marc Antoine, trois empereurs se succèdent au pouvoir, entre -27 et 41 : Auguste, Tibère puis Caligula. En cette année 41, c'est l'empereur Claude qui prend le pouvoir, après deux années agitées et violentes et le meurtre de Caligula[2] (24 janvier 41), dont la santé mentale était pour le moins incertaine[3].

Claude apparaît comme un empereur a priori faible, qui ne jouit pas d'un physique solide : âgé de 51 ans déjà, il bégaye, ses yeux tremblent, il est impérieux, irascible, agité de tics faciaux lorsqu'il s'emporte, ses jambes sont molles... Il passe le début de son règne à tenter d'asseoir son autorité, assez mal vu par le Sénat, et, en dépit des tares physiques dont il souffre, se montre somme toute habile, intelligent, érudit et travailleur. Puis, en 43, il se lance à la conquête de l'île de Bretagne, là où Jules César avait échoué presque un siècle auparavant.

L'île est en effet un endroit regorgeant de richesses, humaines comme matérielles ; il nomme le général Aulus Plautius comme commandant de cette conquête, et lui adjoint quatre légions entières (environ 40.000 hommes). Dès le début, les choses se compliquent : certains légionnaires se mutinent, pensant qu'il ne s'agit là que d'une lubie passagère d'un empereur faible (le désordre du règne de Caligula est encore dans tous les esprits), et craignant également la terrible réputation des guerriers bretons. Après de patientes négociations, l'ordre revient finalement, et les légions débarquent en Bretagne au printemps 43.


Etrangement, les troupes romaines ne rencontrent presque aucune résistance : les bretons semblaient ne pas croire à l'éventualité d'une invasion, et c'est là leur terrible erreur. Toutefois, ils se réorganisent rapidement sous l'impulsion de deux chefs puissants, Caratacos, roi du peuple des Trinovantes, et son frère Togodumnos. C'est ainsi que bretons et romains se rencontrent à la bataille de Medway (actuel comté du Kent) : d'une intensité presque jamais vue dans les annales militaires, les combats durent sans discontinuer pendant plus de deux jours entiers ! La victoire est finalement durement acquise par Rome : Togodumnos est mort pendant la bataille, et Caratacos est en fuite.

En juillet 43, une seconde bataille est livrée sur les bords de la Tamise, qui tourne à la catastrophe pour les combattants bretons, même si Caratacos parvient de nouveau à prendre la fuite. Dans la foulée, Rome s'empare de Camulodunum, principale place forte des Trinovantes (actuel comté d'Essex). Claude vient personnellement en Bretagne pendant une quinzaine de jours, et reçoit la soumission de nombreux rois bretons : l'île est officiellement rattachée à l'empire romain, et Aulus Plautius est nommé gouverneur de Bretagne, avec pour mission de conquérir le reste de l'île. Claude rentre triomphalement à Rome au début de l'année 44 ; sa position est soudain devenue nettement plus solide !

Résistance bretonne

Durant les six années qui suivent, les romains s'emploient à réduire à néant les différentes tribus du sud de l'île, qui opposent une résistance acharnée autant qu'héroïque à leurs envahisseurs. Peine perdue, l'immense machine de guerre romaine finit par avoir raison de ces rebelles, et en 49 (le général Ostorius Scapula a remplacé en 47 Aulus Plautius comme gouverneur[4]), la moitié sud de l'île ainsi qu'une grande partie du nord-est est aux mains de l'empire romain. Toutefois, le Pays de Galles (tribus des Silures et des Ordovices) tient encore bon. Caratacos, après sa défaite de Medway, a rejoint les Ordovices, et compte bien continuer à résister.

Les romains sont des combattants implacables, mais d'habiles négociateurs également : ainsi, l'empire a soumis le peuple des Brigantes, au nord de l'île, en proposant une alliance avec leur reine Cartimandua, qui appuie dès lors l'armée romaine dès qu'elle le peut, au grand dam de son mari Venutios qui ne partage pas son amitié envers l'envahisseur. Pendant ce temps, Ordovices et Silures ont conclu une alliance sous l'égide de Caratacos, et c'est finalement à Caer Caradoc que se livre l'ultime bataille du chef breton contre l'armée romaine. C'est une nouvelle défaite pour les bretons : la femme et la fille de Caratacos sont capturées par les romains, mais ce dernier parvient encore à s'échapper, et va chercher refuge au nord, chez les Brigantes et la reine Cartimandua. Celle-ci l'accueille, mais le livre rapidement à ses alliés romains, malgré l'opposition de son mari.

La fin pas si malheureuse de Caratacos

Caratacos est ramené à Rome, enchaîné, et exhibé dans les rues. On le conduit devant l'empereur Claude qui reçoit pour l'occasion un Triomphe, suprême honneur donné aux empereurs par le peuple romain. Mais là où l'on pouvait s'attendre à une exécution, les choses ne se passent pas comme prévu : Caratacos s'adresse à Claude, et fait preuve de tant d'éloquence que l'empereur l'épargne ! Souhaite-t-il apaiser les tensions dans la province bretonne nouvellement conquise ? A-t-il été réellement conquis par l'éloquence de son ennemi vaincu ? Quoiqu'il en soit, Caratacos finit ses jours paisiblement avec sa famille, dans une prison dorée des alentours de Rome.



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1. Les lecteurs d'Astérix chez les bretons s'en souviendront sûrement.

2. Claude était le frère du célèbre général romain Germanicus, qui était lui-même le père de Caligula. Claude était donc l'oncle de Caligula.

3. Bien que cela ne soit pas confirmé, il est possible que Claude ait été, sinon à l'instigation du meurtre de Caligula, au moins au courant.

4. Les gouverneurs n'étaient pas laissés trop longtemps en place pour éviter qu'ils n'acquièrent trop de prestance et ne soient tentés de prendre la place de l'empereur. Quoiqu'il en soit, Aulus Plautius reçut à son retour à Rome une Ovation, honneur rare fait aux seuls grands chefs militaires romains.

finipe, 18h28 :: :: :: [2 confessions honteuses]

4 Décembre 2008 ::

« Rollon & Charles le simple, cul par-dessus tête »

:: Histoire médiévale, 911

La Francia occidentalis aux alentours de l'an 900

Après la partage de l'empire de Charlemagne, les luttes et alliances fraternelles entre ses petits-fils Lothaire Ier, Charles II le Chauve et Louis II le Germanique, la signature du traité de Strasbourg, puis la signature du traité de Verdun, l'Europe occidentale est divisée en trois royaumes distincts :

  • La Francie occidentale, royaume de Charles II le Chauve
  • La Francie médiane, royaume de Lothaire Ier
  • La Francie orientale, royaume de Louis II le Germanique


L'Europe occidentale après la signature du traité de Verdun, en 843

Les frontières ne restent pas stables bien longtemps, car, la règle de la transmission à la primogéniture n'étant pas encore d'usage, chaque royaume est partagé entre les héritiers du monarque défunt, ce qui ne cesse de créer des conflits de succession. Ainsi, à la mort de Lothaire Ier (855), la Francie médiane est séparée en trois entités partagées entre ses trois fils ; en 870 (traité de Meerssen), Charles le Chauve et Louis le Germanique, toujours vivants l'un et l'autre, se partagent une grande partie du territoire médian à la mort de l'un de leurs neveux[1].


Généalogie simplifiée de la descendance de Charlemagne

Voyons désormais de plus près le sort de la Francie occidentale : Charles le Chauve meurt en 877, cède la Francie occidentale à son fils Louis II le bègue, qui meurt à son tour deux ans plus tard ; la Francie occidentale est séparée entre les deux fils aînés de Louis le bègue, Louis III[2] et Carloman II[3], qui meurent respectivement en 882 et 884, laissant finalement l'intégralité de la Francie occidentale au plus jeune des fils de Louis le bègue, Charles III dit le Simple[4]. Ce dernier étant trop jeune pour régner, c'est Charles III dit le Gros, un des fils de Louis II le Germanique, qui assure la régence jusqu'en 887. Puis, de 888 à 898, Charles III étant toujours trop jeune, c'est Eudes de France, fils aîné de la branche de Robertiens (et dont nous reparlerons plus tard), qui est élu roi. Charles III le Simple accède enfin au trône en 898, après la mort d'Eudes et de nombreuses luttes de pouvoir.

Notons que, du côté de la Francie orientale (Germanie), les problèmes de succession et la valse des monarques est sensiblement la même qu'en Francie occidentale. Et pendant ce temps, alors que les monarques défilent et n'ont de cesse de se disputer les successions, les incursions des vikings n'ont de cesse de mettre l'Europe à feu et à sang... En Angleterre, Alfred le Grand lutte âprement contre l'établissement du Danelaw, en faisant parfois miroiter à certains vikings les giboyeuses et riches contrées de la Frise (actuels Pays-Bas) ou de la Neustrie (actuelle Normandie), pour les détourner de ses propres terres.

L'épopée du légendaire Rollon

Parmi ces terribles chefs vikings qui ravagent régulièrement l'Europe en général, et la Neustrie en particulier, se trouve un certain Rollon. Son origine et sa date de naissance demeurent incertains, mais l'on estime qu'il serait né vers 850 en Norvège. Banni de son pays et ayant rassemblé une bande de vikings danois et norvégiens, Rollon s'installe en Neustrie à partir de 876, à l'embouchure de la Seine, et de là part piller la Francie occidentale. Il pille la basse Neustrie, ravage la Bourgogne, participe au siège de Paris en 886, et, dans le même temps, il s'établit vraisemblablement de façon plus définitive à l'embouchure de la Seine, où il tisse un réseau d'alliance et de commerce avec les seigneurs locaux.

Face à lui, il a toutefois forte affaire lors de ses pillages : on trouve notamment Robert Ier[5] (frère cadet d'Eudes de France, évoqué précédemment), ainsi que quelques autres grands seigneurs Francs, qui se défendent durement contre les vikings de tous poils. C'est ainsi qu'en 910 et 911, Rollon échoue à prendre la ville de Chartres[6]. C'est à ce moment que Charles le simple, roi des Francs jusque là assez médiocre, a une bonne idée : il propose un accord à Rollon.

Cul par-dessus tête !

C'est ainsi qu'est signé le traité de Saint-Clair-sur-Epte (actuel département du Val d'Oise) : Rollon doit, en échange de son établissement officiel comme seigneur de Neustrie, être baptisé et s'engager à défendre le territoire contre les invasions d'autres vikings. Il accepte le marché : ainsi, lui et tous ses vikings se font baptiser (le baptême sera effectué à Rouen), il reçoit le nom chrétien de Robert, et devient « Jarl des Normands » (équivalent du titre de comte)[7]. En outre, Charles le Simple offre sa fille Gisèle en mariage au seigneur normand.

Rollon doit prêter serment de fidélité en tant que vassal du roi des Francs : tous sont réunis autour de Charles le Chauve sous une immense tente, sur les bords de l'Epte. Dans la Gesta Normannorum, Dudon de Saint-Quentin (historiographe des premiers ducs de Normandie à la fin du Xème siècle) rapporte que lors de l'hommage au roi, Rollon refuse de baiser les pieds de Charles le Chauve comme le voudrait pourtant la tradition. Il envoie donc à sa place l'un de ses hommes, en lui recommandant cependant de ne pas trop se baisser. L'homme en question obéit tant et si bien à Rollon que, plutôt que de se baisser, il lève le pied du roi, qui tombe à la renverse de son trône et se retrouve cul par-dessus tête !



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1. Lothaire II, le cadet des fils de Lothaire Ier, dont le royaume était appelé Lotharingie (la partie nord de la Francie médiane).

2. Louis III possède une mention spéciale au long palmarès des morts stupides (que j'appelle généralement plus volontiers les « morts à la con ») : il serait mort en se fracassant le crâne dans un linteau de porte, alors qu'il poursuivait une jeune fille à cheval... Un grand bravo à lui !

3. Carloman II n'a pas fait aussi fort que son aîné : il est juste mort à 17 ans, blessé accidentellement lors d'une partie de chasse. Pour Carloman II et son frère Louis III, voir notamment le « Palmarès des morts des rois de France »

4. Le terme « simple » ne désigne pas ici une quelconque infirmité mentale, mais plutôt l'honnêteté et la franchise.

5. Robert Ier n'est autre que le grand père d'Hugues Capet, qui fondera quelques années plus tard la dynastie des capétiens, amenée à régner en France jusqu'à la mort de Louis XVI, et encore de nos jours dans certains pays tels l'Espagne. Ce monsieur n'est donc pas n'importe qui !

6. La légende rapporte que Gancelme, évêque de Chartres, aurait fait fuir Rollon grâce au voile de la Vierge Marie.

7. Ce titre deviendra vers la fin du Xème siècle celui de « Duc de Normandie » pour les successeurs de Rollon. De cette lignée sera issu notamment Guillaume le Conquérant.

finipe, 00h16 :: :: :: [5 critiques dithyrambiques]