Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

Je vais te
ratiboiser
la colline !
Ouais, c'est ça
Parfois, l'on assassine joyeusement la morale, tant et si bien que la sagesse s'enrichit en rampant depuis le secret de l'existence
Jean-Sol Partre ::
Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

27 Mars 2008 ::

« Fuck-tionnaire ! »

:: Métroboulododo

La situation : dans le cadre d'une étude, il s'avère que la station d'épuration de Floumiers-les-Glaviouses n'a pas la capacité d'absorber un surcroît d'activité. Une extension de ladite station est prévue, dans un délai et des proportions qui me sont inconnus : je téléphone donc à la communauté de commune, vers qui la "compétence" a été transférée pour tout ce qui concerne l'assainissement des eaux usées. Le monsieur du service urbanisme de la mairie de Floumiers-les-Glaviouses semble d'ailleurs bien heureux de cela, puisqu'il n'a plus à se préoccuper de quoique ce soit à ce propos, et par conséquent il ignore presque tout du détail de ce qui se passe dans sa propre commune en matière d'urbanisme. Etonnant paradoxe pour un monsieur qui travaille précisément au service urbanisme... Bref, au fait :


Mardi, 15h30, j'appelle :

— [30 secondes] Biiiiip... biiiiiip... biiiiiip
— [Bruit de répondeur] Bonjour. La communauté de communes est ouverte le lundi et mardi de 10h à 11h30, le mercredi et jeudi de 10h à 11h30 et de 14h à 16h, et le vendredi de 14h à 16h30.



Mercredi, 14h05, je rappelle :

— [45 secondes] Biiiiip... biiiiiip... biiiiiip


Mercredi, 14h30, je rarappelle :

— [20 secondes] Biiiiip... biiiiiip... biiiiiip
— Communauté de communes, bonjour.
— Bonjour madame ; finipe, pour la société Schmurtz & associés. Je mène une étude actuellement pour la commune de Floumiers-les-Glaviouses, et j'aurais besoin de quelques renseignements concernant la station d'épuration s'il vous plaît.
— Un instant, je vous passe le service.
— Merci.
— [Série de bips assez pénibles, pendant 30 secondes au moins]
— Allô ?
— Bonjour madame ; finipe, pour la société Schmurtz & associés. Je mène une étude actuellement pour la commune de Floumiers-les-Glaviouses, et j'aurais besoin de quelques renseignements concernant la station d'épuration s'il vous plaît.
— Vous êtes monsieur ?
— Monsieur finipe, pour la société Schmurtz & associés.
— Un instant, je vous passe le service.
— [Série de bips identiques, pendant plus d'une minute]
— Allô monsieur, j'essaye de joindre monsieur Bozo, mais il est en réunion tout l'après-midi.
— Ah, et peut-être pourrais-je le joindre plus tard, après sa réunion ?
— Non, non ça ne va pas être possible. Je peux lui envoyer un message si vous voulez.
— Oui, faisons cela alors : il s'agit de connaître le planning et la nature des travaux prévus pour la station d'épuration de Floumiers-les-Glaviouses.
— Bon, je lui envoie un message, en lui demandant de vous rappeler alors.
— Merci beaucoup, au revoir.


Bien entendu, le lendemain à 14h, personne n'avait encore rappelé, et il me fallait cette information rapidement pour pouvoir terminer mon dossier à temps, satisfaire mon client, et être payé à l'heure, pour pouvoir à mon tour payer mes cotisations, salaires et compagnie à temps. Je décroche donc mon téléphone.


Jeudi, 14h30, j'appelle :

— [20 secondes] Biiiiip... biiiiiip... biiiiiip
— Communauté de communes, bonjour.
— Bonjour madame ; finipe, pour la société Schmurtz & associés. Est-ce que Monsieur Bozo est là s'il vous plaît ?
— Excusez-moi, je n'ai pas compris votre nom.
— [en articulant distinctement] Monsieur finipe, pour la société Schmurtz & associés.
— Un instant, je vais voir.
— [Série de bips in-ter-mi-na-ble !]
— Allô ? Monsieur Bozo est en réunion tout l'après-midi.
— Ah bon... Est-ce que je peux le joindre en fin d'après-midi peut-être ?
— C'est-à-dire que le standard ferme à 16h30.
— Dans ce cas-là, vous pourriez me donner le numéro direct de Monsieur Bozo, non ?
— Ah non monsieur, on n'a pas le droit...
— Oh ne vous en faites pas, je ne compte pas le harceler : j'ai juste une question très simple à poser, qui ne prendrait que 3 minutes du temps de Monsieur Bozo.
— Ah oui mais on n'a pas le droit de donner les numéros de ligne directe.
— Bon alors dans ce cas, peut-être y a-t-il une autre personne que Monsieur Bozo qui serait susceptible de me répondre : les informations dont j'ai besoin ne sont pas très techniques, elles sont d'ordre général.
— Non, non, désolée, c'est Monsieur Bozo qui s'occupe de ça. Je vais lui renvoyer un message.
— Et moi je rappellerai demain alors.
— C'est-à-dire que demain Monsieur Bozo ne travaille pas.
— [dépité] Bon, eh bien tant pis. Au revoir madame.


Conclusion : après 3 jours de démarches, je n'ai toujours pas ma réponse. J'y ai pourtant investi du temps et de l'énergie (il faut noter les gens à rappeler, s'interrompre dans ce qu'on fait pour téléphoner, patienter de longues minutes pendant les "bips", etc.), en pure perte : je n'ai pas ma réponse, je ne sais pas quand je pourrai l'avoir, et je ne peux donc pas terminer mon dossier, ni envoyer ma facture, ni être payé, ni me payer à mon tour. En revanche, il va falloir que je paye mes cotisations, et sans un jour de retard, sans quoi la sanction sera immédiate et sans appel.

Finalement, l'arme ultime du technocrate, c'est la secrétaire. Ces pauvres filles doivent composer avec la lâcheté de leurs connards de supérieurs, bien trop occupés pour prendre 3 minutes de leurs précieux temps et répondre à une question fondée et simple, émanant d'un bureau d'étude travaillant sur un projet qui les concerne pourtant directement.

finipe, 16h50 :: :: :: [15 contestations]

22 Mars 2008 ::

« La guerre des six jours »

:: Histoire contemporaine, 1967

Ce billet fait partie d'un sujet composé de six parties :

1. La guerre d'indépendance d'Israël
2. La crise du Canal de Suez
3. La guerre des six jours
4. La guerre du Kippour
5. Paix en Galilée
6. L'intifada & les accords d'Oslo



L'après crise du canal de Suez

Malgré la défaite militaire qu'a subi l'Egypte contre Israël en 1956, Gamal Abdel Nasser apparaît comme le vainqueur diplomatique : en faisant entrer l'URSS, la Chine, et tout le bloc de l'est dans la compétition, il a forcé la main aux Etats-Unis, et surtout à la France et au Royaume-Uni. Israël s'est retiré du Sinaï qu'elle avait totalement conquis, et une force d'interposition de Casques Bleus stationne depuis à la frontière israëlo-égyptienne, maintenant une paix précaire mais tangible. En territoire israëlien, les incursions armées des fedayin palestiniens, réfugiés en Egypte, ont cessé. Nasser multiplie cependant les déclarations hostiles et poursuit son rêve du panarabisme, malgré de grandes tensions entre les différents états arabes impliqués : si la Syrie s'entend bien avec l'Egypte et tout le bloc communiste de l'est, il n'en va pas de même avec la Jordanie, dont le roi Hussein maintient de bonnes relations avec les Etats-Unis et l'Occident en général.

Si la frontière avec l'Egypte est calme, grâce aux Casques Bleus, la frontière syrienne est en revanche l'objet de troubles incessants : cette frontière est marquée par la présence du plateau du Golan, situé en contre-haut des fertiles vallées israëliennes de Galilée. Encombrante pomme de discorde, cet endroit est le point de départ d'attaques de l'artillerie syrienne, notamment contre des kibboutzim[1], qui de leur côté font parfois quelques incursions en territoire syrien. Au centre de la querelle, l'eau occupe une place prépondérante : dès 1953, Israël avait entamé de grands travaux et notamment la construction d'un aqueduc national, destiné à transporter les eaux du nord du territoire vers les contrées arides du Néguev au sud. Cette eau est également revendiquée par le Liban, la Syrie et la Jordanie, qui, malgré leurs protestations et l'intervention des Etats-Unis pour un plan de partage — le plan Johnston —, n'obtiennent rien de la part d'Israël.


En 1964, la Syrie et le Liban tentent un coup de force et construisent de lourdes installations pour dévier les cours d'eau qui alimentent le Jourdain en amont, et priver Israël de la précieuse ressource. L'état hébreu réagit implacablement, et bombarde toutes les installations libanaises et syriennes. Dès lors, les tensions aux frontières deviennent pires que jamais... En 1966, Syrie et Egypte s'entendent sur un traité de coopération militaire ; le 7 avril 1967, un incident manque de tourner à la guerre totale, et des appareils de l'aviation israéliennes survolent même la capitale syrienne, Damas, après avoir détruit une demi-douzaine de MiG-21 syriens[2].

Un mois après cet incident, Nasser fait des déclarations tonitruantes : il réclame le départ des Casques Bleus et affirme qu'il va remilitariser le Sinaï. Les Casques Bleurs quittent effectivement le territoire égyptien, et les israëliens refusent que l'ONU les redéploie dans leur territoire. Nasser masse des troupes le long de la frontière et exorte les arabes à se battre et à détruire Israël. D'autres pays tels que l'Algérie ou le Soudan mobilisent leurs troupes et envoient des armes et de l'équipement à l'Egypte. Le 23 mai, l'Egypte bloque le détroit de Tiran, qui relie le golfe d'Aqaba à la mer rouge, et qui constitue le seul accès d'Israël vers les océans, depuis le port d'Eilat. C'est la provocation de trop, et, après des tentatives diplomatiques infructueuses auprès des Etats-Unis[3], l'état hébreu passe à l'action.

La supériorité militaire d'Israël

Nasser, malgré le bellicisme qu'il affiche, n'a pas réellement les moyens de ses ambitions, et Israël le sait. Aussi, lorsque Tsahal engage les hostilités, c'est dans l'optique de mener une guerre « préventive » : loin d'être l'attaqué, Israël est, au regard de l'Histoire, l'attaquant. Le 5 juin au petit matin, la flotte aérienne de Tsahal décolle, et bombarde l'aviation arabe stationnée en Egypte toute la journée : un déluge de feu réduit quasiment à néant les 350 appareils des armées arabes, cloués au sol et très mal protégés. Dès le lendemain, l'armée israélienne franchit la frontière et repousse sans aucune difficulté les troupes égyptiennes, privées de soutien aérien : c'est un sauve-qui-peut général, et en trois jours, Israël a conquis le bande de Gaza, toute la péninsule du Sinaï, et atteint le canal de Suez. Dans le désert, les soldats égyptiens en déroute errent sans but et sans eau, c'est un désastre. Le 8 juin, Nasser capitule, impuissant : il propose même sa démission, mais le peuple égyptien l'acclame et lui demande de rester au pouvoir[4].

Dans le même temps, Hussein de Jordanie a engagé son pays dans la guerre, presque contraint, étant donné la masse immense et belliqueuse des réfugiés palestiniens expulsés en 1948, et vivant en Cisjordanie notamment. Après une très brève période de bombardement sur Israël et l'occupation de Jérusalem-Ouest, l'aviation jordanienne se fait clouer au sol par l'aviation israélienne. Des parachutistes achèvent le travail après de rudes combats dans Jérusalem, et le 7 juin au soir, la Jordanie est défaite.

L'Egypte et la Jordanie hors de combat, Israël porte ses efforts vers la Syrie, qui a, avec l'aide des russes, aménagé une ligne de fortification inexpugnable, bardée de mines, de chars et d'artillerie. Le 9 juin, des bombardements israéliens très intenses pilonnent le plateau du Golan : artillerie, napalm, roquettes, pendant 12 heures, le secteur reçoit plus de bombes que toute l'Egypte n'en a subi dans les jours précédents. Puis, des bulldozers dégagent les champs de mine et les troupes de Tsahal avancent : une rude résistance fait face dans un premier temps, mais les syriens sont finalement débordés et prennent la fuite. L'URSS menace Israël avec vigueur devant cette attaque[5], et le lendemain, 10 juin, un cessez-le-feu est signé. Des centaines de pièces d'artilleries et de chars syriens abandonnés dans la précipitation de la fuite sont ramenés en Israël.

De lourdes conséquences

La guerre a débuté le 5 juin, et s'est terminée le 10. Les arabes sont encore une fois humiliés : Israël a écrasé ses adversaires, en conquérant au passage le Sinaï, la bande de Gaza, Jérusalem, la Cisjordanie et le Golan, triplant ainsi la superficie de son territoire. De nouveau, des centaines de milliers de réfugiés palestiniens sont jetés sur les routes de l'exode vers la Jordanie, la Syrie et le Liban, et les palestiniens de Cisjordanie doivent subir l'occupation israélienne. Le Conseil de Sécurité des Nations Unies vote une de ses plus célèbres résolutions, la résolution 242, qui exige notamment d'Israël le départ des territoires occupés. Mais la résolution reste lettre morte :

  • Le Sinaï ne sera rendu à l'Egypte qu'en 1979.

  • La bande de Gaza, malgré un désengagement israélien volontaire depuis 2005 (retrait progressif des polices et armées juives, démentèlement des colonies), est le théâtre de troubles et de drames incessants.

  • La Cisjordanie est toujours occupée par Israël, et est un très vif élément de discorde entre israéliens et palestiniens, malgré quelques faibles avancées diplomatiques.

  • Le Golan est lui aussi toujours occupé par Israël. De fait, toute entente entre la Syrie et Israël semble aujourd'hui impossible.

Enfin, à la fin de cette guerre, Jérusalem — la ville sainte des trois grandes religions monothéistes — voit malgré tout une coexistence relativement pacifique entre juifs, arabes et chrétiens. Chacun jouit d'une liberté de culte et d'un oecuménisme qu'on n'avait pas vu depuis longtemps. Mais, sournoisement, avec l'échec du panarabisme rêvé par Nasser, c'est l'islamisme radical qui émerge parmi les plus virulents défenseurs de la cause palestinienne : aujourd'hui encore, ces plaies sont béantes.


_________________________________
1. Un kibboutz est une communauté collectiviste juive, la plupart du temps basée autour d'activités agricoles. Les kibboutzim se sont beaucoup implantés dans le nord-est d'Israël, développant une agriculture bien aidée par l'irrigation du Jourdain et du lac Tibériade. Les juifs vivant dans les kibboutzim étaient pendant longtemps les fers de lance d'un sionisme convaincu.

2. Le MiG-21 est un avion de chasse supersonique de conception soviétique, particulièrement populaire et répandu.

3. Etats-Unis qui, à ce moment, étaient embourbés au Viêtnam.

4. Nasser était très populaire : il fut en quelque sorte le premier égyptien à diriger l'Egypte depuis les pharaons, était paysan d'origine, et malgré son bellicisme catastrophique, il fut le premier à se pencher sur le sort du peuple en promouvant de grandes avancées sociales.

5. Des officiers soviétiques coopérant avec la Syrie furent faits prisonniers lors de cette attaque.

finipe, 13h59 :: :: :: [3 soupirs de satisfaction]

19 Mars 2008 ::

« Souvenir de fumeur »

:: Nombril

Je me souviens du temps jadis, lorsque j'étais fringant, jeune, insouciant, beau, séduisant et fumeur... Certes, à ce jour je suis toujours fringant, beau et séduisant, mais je suis un peu moins jeune, nettement moins insouciant, et ne suis définitivement plus fumeur. En ce temps donc, je consacrais de nombreuses heures à ne rien faire avec des amis, généralement dans un café ou dans un salon enfumé, à boire du coca-cola et fumer des cigarettes, en jouant aux cartes ou en racontant n'importe quoi en riant bêtement. C'était le temps où je ne me disais pas qu'il fallait que je mange des légumes, qu'il fallait absolument que je fasse changer ma carte grise, ou encore qu'il fallait que j'écrive un billet pour mon blog, sans quoi je ne tiendrais pas ma cadence. Bref, c'était le bon temps.

Quoiqu'il en soit, au cours d'un de ces après-midi quelconques pendant lesquels je musardais dans un ennui consenti, j'eus la chance de vivre un moment d'exception. Un instant fugace, qui ne dura qu'une toute petite seconde, à peine. Une sorte d'éclair extraordinaire dans une journée insignifiante de mon existence compassée. J'étais en effet, ainsi que je l'ai décrit précédemment, attablé chez un bon camarade que je côtoyais presque quotidiennement ; nonchalamment, nous fumions l'un et l'autre, en échangeant quelques propos dont la teneur m'échappe, mais qui devaient être somme toute parfaitement insipides. Et tandis que je discutais ainsi, je tapotais machinalement ma cigarette sur le rebord du cendrier, dans un geste très machinal, que tous les fumeurs doivent bien connaître : mon clope coincé entre l'index et le majeur, tenu à l'endroit où le filtre et le tabac se rejoignent, je donnais de petites impulsions sur le haut du filtre avec mon pouce, de sorte que la partie située juste avant l'extrémité cendrée vienne frapper d'un petit coup sec sur le rebord du cendrier. La cendre totalement consumée et inutile s'effondrait ainsi, formant de petites congères blanchâtres caractéristiques.

Mais, alors que j'obéissais à ce rituel de fumeur, il advint l'incroyable, l'inexplicable événement : par je ne sais quelle maladresse, je reculai involontairement l'index et avançai le majeur en même temps, tout en donnant l'habituelle impulsion du pouce. La cigarette, au lieu de rester sottement coincée dans une position verticale entre mes deux doigts, au risque de me brûler, s'échappa de ma main et sauta en l'air, comme mue par un ressort éthéré. Elle fit une volte, deux voltes sur elle-même sur au moins vingt centimètres de hauteur, en suivant une trajectoire parabolique parfaite, puis chuta dans un mouvement inverse totalement et irréellement symétrique. Enfin, la cigarette stoppa son acrobatie en retombant en équilibre parfait, coincée très exactement dans une des encoches du cendrier, destinées à maintenir le clope sans qu'il ne s'en échappât.

Mon camarade et moi nous regardâmes un court instant, interloqués, éberlués. Puis, nous explosâmes en un « Ouaaaaaaaaah ! » admiratif et extatique. Nous venions à l'évidence d'assister à un événement fabuleux ! Un des scénarios fantastiques et immensément improbables des Lois de l'Univers s'était déroulé là, sous nos yeux ébahis d'incrédulité. Cerise sur le gâteau, mon ami avait bel et bien, lui aussi, vu l'événement miraculeux ! Car, il faut bien avouer que généralement, lorsqu'un tel phénomène se produit, c'est toujours lorsqu'on se trouve seul, ou lorsque tout le monde a le regard mystérieusement tourné ailleurs : nous ne pouvons alors partager notre exultation avec personne, ce qui est extrêmement irritant, et très frustrant.

Non, ce jour-là, j'eus la chance de partager ce moment rare avec un autre : et tout l'après-midi, nous essayâmes bêtement de reproduire le même scénario volontairement. En vain.

finipe, 01h03 :: :: :: [5 sarcasmes grinçants]

16 Mars 2008 ::

« La crise du Canal de Suez »

:: Histoire contemporaine, 1956

Ce billet fait partie d'un sujet composé de six parties :

1. La guerre d'indépendance d'Israël
2. La crise du Canal de Suez
3. La guerre des six jours
4. La guerre du Kippour
5. Paix en Galilée
6. L'intifada & les accords d'Oslo



La révolution égyptienne

Le 23 juillet 1952, suite notamment à l'échec cuisant de l'Egypte lors de la guerre contre Israël de 1948, un coup d'état militaire mené par Gamal Abdel Nasser, un brillant officier, renverse le roi Farouk Ier. Nasser impose une république égyptienne nationaliste, progressiste, autoritaire, et se révèle comme un exceptionnel leader du panarabisme. Il lutte âprement pour un état laïque et contre le panislamisme, en particulier contre la confrérie des « Frères Musulmans », que l'on soupçonne d'être à l'origine d'une tentative d'assassinat contre lui, le 26 octobre 1954. Contre l'impérialisme occidental, il se tourne rapidement vers des alliances diplomatiques avec l'URSS ou la Tchécoslovaquie, et offre un soutien logistique à l'Algérie, alors que celle-ci commence à se défaire de la France colonialiste (guerre d'Algérie de 1954 à 1962). Les pays occidentaux, France et Royaume-Uni en tête, ont tôt fait de ne plus apprécier Nasser !

Troubles aux frontières israëliennes

Dans le même temps, les frontières israëliennes sont l'objet de troubles permanents : depuis la bande de Gaza, la Syrie ou la Cisjordanie, des milliers de réfugiés palestiniens tentent de revenir sur les terres dont ils ont été chassés en 1948. Ils essayent de récupérer quelques affaires, parfois de cultiver des champs, certains volent des biens dont ils estiment être spoliés, et d'autres se vengent sur les civils israëliens ; quoiqu'il en soit, les incidents sont incessants, malgré la lutte contre ce phénomène qu'entame notamment la Jordanie. Le 28 février 1955, les raids d'infiltration des palestiniens sont si intenses depuis la bande de Gaza (sous administration égyptienne) que l'armée israëlienne réplique par un bombardement, qui envenime sérieusement la situation.


Les accords de Sèvres[1]

Le 26 juillet 1956, dans un discours nationaliste et très hostile à l'impérialisme français et britannique, Nasser proclame la nationalisation du Canal de Suez, puis fait bloquer l'accès au canal pour les navires israëliens. En France, le président du Conseil Guy Mollet soutient une Algérie française et est gagné à la cause d'Israël, comme la majorité des français à ce moment précis. En Angleterre, si l'opinion est plus partagée, la provocation de Nasser ne passe toutefois pas inaperçue. C'est ainsi qu'entre le 21 et le 24 octobre est mis au point un accord à Sèvres (près de Paris) entre la France, le Royaume-Uni et Israël : l'accord prévoit qu'Israël doit envahir le Sinaï le 29 octobre et se diriger rapidement vers le canal de Suez. A l'issue de cette attaque, la France et le Royaume-Uni doivent lancer un ultimatum à l'Egypte et à Israël pour qu'ils se retirent du canal. Puis, si l'Egypte n'obtempère pas, alors des troupes franco-britanniques doivent entrer en action à Port-Saïd : c'est l' « Opération Mousquetaire ».

David Ben Gourion, toujours premier ministre d'Israël, agit comme prévu : la bande de Gaza est occupée, et une attaque éclair est lancée sur l'Egypte le 29 octobre 1956 au soir. Les forces israëliennes atteignent rapidement le canal de Suez, puis occupent tout le Sinaï. Le 31, la France et l'Angleterre proposent d'envoyer une force d'interposition, mais Nasser refuse, avec le soutien enthousiaste de son peuple : le soir même, les forces franco-britanniques bombardent l'Egypte. Le 5 novembre, les commandos parachutistes français sautent au-dessus de Port Saïd, et le lendemain, les commandos anglais investissent les plages. En mer, les navires de la Marine Nationale Française et de la Royal Navy infligent de lourdes pertes aux défenses côtières égyptiennes. Malgré une défense courageuse des égyptiens (qui croient à un soutien russe), les troupes franco-britanniques prennent rapidement le contrôle du Canal de Suez puis se dirigent vers le Caire.

La naissance des Casques Bleus

En France, l' « opération Mousquetaire » ne choque pas outre-mesure la population, mais c'est en revanche un véritable tollé au Royaume-Uni. En outre, l'URSS menace Tel-Aviv, Paris et Londres de frappes nucléaires si les attaques de cessent pas, ce à quoi l'OTAN répliquerait à son tour par une frappe nucléaire sur l'Union Soviétique. Dès lors, les Etats-Unis tentent de désamorcer la situation et font peser une pression telle sur les britanniques qu'ils se retirent de l'opération en cours sans même en avertir la France. Enfin, le 10 novembre, l'ONU adopte une résolution prévoyant de remplacer les troupes d'interposition franco-britannique par une force internationale de maintien de la paix.

L'armée israëlienne se retire derrière les frontières de 1949, et, malgré une victoire militaire écrasante, la France et le Royaume-Uni sont clairement humiliés : Nasser a d'une certaine façon gagné son bras de fer grâce à son jeu diplomatique, et la cause panarabe en ressort renforcée. En Algérie, les événements de Suez donnent des ailes aux militants indépendantistes du FLN. Enfin, le jeu de la terreur et l'argument suprême de la bombe atomique, qui fait alors défaut à la France, amèneront quelques années plus tard le général De Gaulle à faire en sorte que la France se dote elle aussi l'arme nucléaire.


Gamal Abdel Nasser


_________________________________
1. Ne pas confondre ces accords avec le traité de Sèvres signé le 10 août 1920, qui consacra la fin de l'empire Ottoman et le début de la Turquie. Voir à ce propos « Mustapha Kemal, le père des turcs »

finipe, 19h09 :: :: :: [1 haineuse invective]

13 Mars 2008 ::

« La guerre d'indépendance d'Israël »

:: Histoire contemporaine, 1948

Ce billet fait partie d'un sujet composé de six parties :

1. La guerre d'indépendance d'Israël
2. La crise du Canal de Suez
3. La guerre des six jours
4. La guerre du Kippour
5. Paix en Galilée
6. L'intifada & les accords d'Oslo



Depuis bientôt 32 ans que je suis né, pas une semaine ne s'est passée sans que j'entende parler du conflit israëlo-arabe. Bande de Gaza, plateau du Golan, Intifada, Syrie, Hezbollah, Yasser Arafat, OLP, Hamas, Cisjordanie, Palestine et j'en passe, j'ai pour ainsi dire grandi en entendant ces termes à la télévision, en voyant des images que je ne comprenais pas vraiment. Alors je vais essayer au cours des prochains billets, d'éclaircir un peu tout ça, en espérant que cela profite à d'autres par la même occasion, car malheureusement ce sanglant feuilleton semble loin d'être terminé.



Les origines de l'Etat moderne d'Israël

Le 31 octobre 1917, au crépuscule de la première guerre mondiale, le vieil empire ottoman chute définitivement à la bataille de Beer-Sheva, face aux troupes britanniques[1]. Après d'intenses tractations entre les alliés victorieux et les mouvements sionistes, la Société Des Nations, ancêtre de l'ONU, officialise la création de la « Palestine mandataire », sous protectorat britannique. Cette zone géographique doit voir l'implantation d'un foyer national juif, avec pour objectif la formation d'une nation juive auto-gouvernée et représentée par l' « Agence juive », un organisme faisant office de gouvernement hébreu. Dès le début, les arabes présents dans cette région s'opposent à cette création, et plusieurs révoltes éclatent (émeutes en 1920 et en 1929, grande révolte arabe de 1935 à 1939). Pour tenter d'apaiser les tensions et éviter une poussée nationaliste arabe qui serait défavorable à leurs intérêts régionaux, les britanniques réduisent l'immigration des juifs en fixant une série de lois appelées « Livre blanc », en 1922, 1930 et 1939 : ces lois déplaisent fortement aux sionistes les plus ardents.

C'est ainsi qu'à la fin de la seconde guerre mondiale, l'Irgoun (un groupement armé nationaliste dirigé par Menahem Begin) ou encore le Lehi (mouvement anti-impérialiste et terroriste) luttent contre l'occupation britannique, et provoquent parfois des attentats contre des civils arabes : de nombreux soldats et fonctionnaires britanniques trouvent la mort dans ces actions armées. Pendant la guerre, l'organe militaire de l'Agence juive, la Haganah, mené par David Ben Gourion, a lutté aux côtés des anglais, malgré le « Livre Blanc » qu'il réprouve. C'est donc naturellement que dans un premier temps, la Haganah mène des opérations de représailles envers les militants terroristes de l'Irgoun et du Lehi. Mais à partir de 1947, Ben Gourion réoriente son action à l'encontre des britanniques, qui refusent catégoriquement qu'une population juive trop importante s'installe en Palestine. Dès lors, face à la très forte demande des juifs d'Europe survivants à la Shoah[2], la Haganah intensifie une immigration clandestine qui n'avait pas cessée.

Guerre civile en Palestine mandataire

Finalement, le gouvernement anglais décide de renoncer à son mandat, qui doit prendre officiellement fin le 14 mai 1948. Le 29 novembre 1947, la résolution 181 de l'ONU ratifie donc le « Plan de partage de la Palestine », qui distingue deux territoires : l'un arabe, l'autre juif, et Jérusalem au milieu, coupée en deux et sous contrôle international. Si la majorité des juifs se satisfait de ce partage, heureuse d'obtenir enfin un Etat autonome, les arabes rejettent pour la plupart cette décision. La Ligue Arabe[3] s'oppose également à ce partage avec vigueur, annonçant dès le départ qu'elle n'hésitera pas à utiliser la force si besoin est. Du 29 novembre 1947, date du plan de partage, et jusqu'au 14 mai 1948, fin du mandat britannique en Palestine, la région sombre dans la guerre civile, entre les factions nationalistes des communautés juives et arabes.


La Palestine, après le partage du 29 novembre 1947 : en rouge, les territoires juifs

La guerre israélo-arabe de 1948-1949

Après cette première phase de guerre civile, le conflit prend un tour plus organisé et plus systématique. D'une manière générale, les troupes arabes sont beaucoup moins bien préparées que les troupes juives, et les membres de la Ligue Arabe sont méfiants les uns envers les autres. C'est ainsi que, dans les derniers jours du mandat britannique, la Haganah passe à l'offensive et conquiert de nombreux territoires en assurant la continuité de ses frontières. De fait, des centaines de milliers d'arabes palestiniens sont poussés à l'exode. L'on doit également souligner le massacre de Deir Yassin, le 9 avril 1948, qui voit la mort d'une centaine de civils palestiniens par des membres de l'Irgoun : l'Agence juive présente ses excuses au roi Abdallah Ier de Jordanie et condamne ce massacre, mais cet événement demeure comme un symbole du drame subi par les populations palestiniennes.


David Ben Gourion, déclarant l'indépendance d'Israël, le 14 mai 1948

Le 15 mai, premier jour de la fin du mandat britannique, les soldats de la Ligue Arabe entrent en Palestine : toutes nationalités confondues, c'est près de 45.000 soldats arabes qui viennent affronter environ 40.000 soldats hébreux[4], sur des fronts situés aux quatre points cardinaux. C'est toutefois à Jérusalem que les combats les plus violents se déroulent, en raison de l'immense importance symbolique de la ville, sainte autant pour les musulmans que pour les juifs. Le 26 mai, l'armée israëlienne de Tsahal est officiellement créée, principalement autour de la Haganah. Les armées égyptiennes, irakiennes, libanaises, transjordaniennes, syriennes et palestiniennes progressent, mais Tsahal résiste vigoureusement jusqu'au 11 juin, date à laquelle une première trêve a lieu à l'initiative du Conseil de sécurité des Nations unies.

Malgré un embargo mené par l'ONU pour éviter un réarmement des différents partis, Ben Gourion parvient à réarmer et réorganiser Tsahal pendant la trêve, parfois avec vigueur, afin notamment de se débarrasser des éléments les plus extrêmistes. Le 8 juillet, un nouveau plan de partage est proposé par l'ONU, et immédiatement rejeté par les deux opposants : le conflit reprend. Dès lors, le camp hébreu parvient à reprendre de nombreuses villes et repousser les forces de la Ligue Arabe, dont les défaites s'accumulent et mettent en évidence l'improbabilité de plus en plus forte d'une quelconque victoire finale. Le seul échec de Tsahal reste Jérusalem, fermement tenue par les troupes transjordaniennes. Le 18 juillet, une seconde trêve est signée.

Le 17 septembre, cette seconde trêve est marquée par l'assassinat de Folke Bernadotte[5], l'émissaire de l'ONU, à l'initiative du Lehi qui juge les propositions de paix inacceptables. Ben Gourion, condamnant officiellement cet assassinat, en profite pour éliminer définitivement toute trace de ces encombrants membres du Lehi et de l'Irgoun, et augmente encore la puissance de l'armée régulière, Tsahal. Les forces arabes, quant à elles, ne parviennent pas à résoudre leurs différends internes, et continuent de décliner. Le 15 octobre, l'offensive reprend à l'initiative de l'armée israëlienne, qui inflige tout d'abord une défaite difficile à l'Egypte dans le sud de la Palestine (désert du Néguev). Dans le même temps, le nord du territoire est conquis, repoussant les soldats libanais. Chaque poussée territoriale de l'armée israëlienne occasionne un certains nombres d'expulsions de populations arabes, voire de massacres parfois...


Palestiniens sur le chemin de l'exode

Le 24 février, un accord de paix est signé entre Israël et l'Egypte, qui ne laisse à l'Egypte que le contrôle de la fameuse « bande de Gaza ». Le 23 mars, c'est au tour du Liban de signer, reconnaissant les anciennes frontières. Le 3 avril, c'est la Transjordanie qui signe un accord de paix, après avoir longuement tergiversé, sachant pertinemment qu'un engagement durable contre Israël serait très destructeur pour tous les partis (les combats pour la prise de Jérusalem en juin 1948 l'avaient d'ailleurs prouvé). La Transjordanie conserve le territoire de Cisjordanie et Jérusalem-Est, et accueille un très grand nombre de réfugiés palestiniens en exode : le pays se rebaptise « Jordanie ».

Enfin, le 20 juillet, c'est la Syrie qui signe un accord de paix avec Israël, se retirant des territoires qu'elle occupait, et laissant une zone démilitarisée à la frontière.

Les conséquences

Au total, Israël récupère près de 80% de l'ancienne Palestine mandataire : c'est pour l'Etat hébreu une victoire évidente, et l'affirmation d'une armée puissante et organisée. Les nouvelles frontières sont tacitement acceptées par l'ONU, mais du côté israëlien, on ne présume rien de ce qui pourrait advenir dans les années suivantes : ces frontières ne sont pas considérées comme définitives. Plus de 750.000 arabes palestiniens sont expulsés ou fuient Israël, à destination des pays arabes limitrophes. Dans le même temps, presque autant de juifs vivant dans ces pays arabes sont à leur tour expulsés et rejoignent Israël.

Il est encore difficile d'estimer le nombre de victimes qu'a causé cette guerre : environ 6000 israëliens, plus de 12.000 palestiniens, près de 2000 égyptiens. Quant aux autres pays belligérants (Syrie, Liban, Irak et Jordanie), aucun chiffre précis n'a été avancé.


Israël, après la guerre d'indépendance. La bande de Gaza est sous contrôle égyptien, et la Cisjordanie est annexée par la Jordanie



_________________________________
1. Pour la suite de l'Histoire turque de cette époque, voir notamment le sujet sur Mustapha Kemal.

2. Le summum de cette crise fut atteint avec l'affaire de l'Exodus, un bateau chargé d'émigré juifs clandestins, qui fut renvoyé sans ménagement par les britanniques. Cet épisode provoqua une vive émotion internationale et une forte sympathie envers la cause sioniste.

3. La Ligue Arabe fut fondée en 1945, constituée initialement par l'Égypte, la Jordanie, le Yémen du Nord, l'Arabie saoudite, le Liban, la Syrie et l'Irak.

4. Ces chiffres sont encore discutés, de même que les forces techniques et stratégiques respectives de chacune des armées. Il y a toutefois un relatif consensus sur le fait que globalement, l'armée israëlienne était plus forte et surtout mieux préparée que l'armée de la Ligue Arabe.

5. Diplomate suédois qui s'était particulièrement distingué pendant la seconde guerre mondiale, en négociant la libération de 15000 prisonniers des camps de concentration nazis.

finipe, 00h38 :: :: :: [10 assertions ineptes]

10 Mars 2008 ::

« La guerre des Malouines »

:: Histoire contemporaine, 1982

Contexte géographique, historique & politique

Depuis 1833, les îles Malouines (îles Falklands en anglais) sont des possessions britanniques, bien que contestées par l'Argentine. Avec la progressive transition de l'empire colonial vers le Commonwealth au cours du XXème siècle, les Malouines gardent leurs attaches à l'Angleterre, à l'instar d'autres territoires proches comme l'île Géorgie du Sud, les îles Sandwich du Sud, ou les îles Orcades du Sud, toutes situées en plein océan Atlantique, entre l'Argentine et le continent Antarctique. Les côtes ont un contour déchiré, sont battues par des vents violents et très froids : il faut bien dire que ces îles sont pour le moins inhospitalières.

En 1976, dans un contexte de guerre anticommuniste en Amérique du Sud et de guerre froide partout dans le monde, l'Argentine bascule dans la dictature militaire du général Videla, puis fait face à cinq années d'une guerre civile épouvantable, au cours de laquelle des escadrons de la mort se distinguent de bien triste façon... En 1981, la junte militaire est victorieuse, mais le pays est en ruine et la population extrêmement mécontente. C'est ainsi que le 2 avril 1982 (après quelques mois d'incertitude, de tractations diplomatiques, et de résolutions de l'ONU) l'armée argentine débarque dans les îles Malouines sur les ordres du nouvel homme fort de la junte, le général Leopoldo Galtieri. Ce dernier, soucieux de détourner l'attention de ses compatriotes et leur faire oublier les problèmes internes, espère exalter un nationalisme dont il est lui-même fermement convaincu.


Conquête surprise des argentins

Tout d'abord, les soldats argentins occupent la Géorgie du Sud et les îles Sandwich du Sud. Lors de leur débarquement, les argentins font face à une inattendue et pugnace résistance d'une petite troupe de Royal Marines, mais les britanniques doivent rapidement se rendre, étant donné leur très large infériorité numérique. Ce sont surtout les Malouines qui font l'objet de combats : les argentins débarquent avec des engins amphibies, et il n'y a qu'une cinquantaine de soldats britanniques pour défendre l'île. Les quelques roquettes que les anglais tirent sur les soldats argentins ne sont qu'une maigre défense face au feu nourri qu'ils subissent.

Finalement, après presque deux jours d'un siège inégal, les Royal Marines se rendent. Regroupés dans un stade, puis embarqués dans un transporteur, leurs photos en position de vaincus indignent l'opinion britannique, tandis qu'à Buenos Aires des argentins défilent dans les rues, arborant des drapeaux et scandant des slogans nationalistes.


Royal Marines prisonniers. Cette photo, parmi d'autres, contribua à indigner
l'opinion britannique, et exacerber la volonté de répliquer

Réplique anglaise

Margaret Thatcher, la « dame de fer », annonce tout de suite son intention de répliquer à cette agression, et entame une intense campagne de pression diplomatique, autant sur l'Argentine qu'à l'ONU. L'opération Corporate est préparée, en étroite collaboration avec la France, qui fournit des informations sur les armements argentins (d'origine française pour certains), et permet aux commandos anglais de s'entraîner sur les côtes bretonnes, dans le plus grand secret. La réaction militaire du Royaume-Uni est très minutieusement préparée, en raison notamment de l'éloignement géographique du terrain d'opération, qui contraint à l'établissement d'une flotte autonome. Pour éviter les dégâts collatéraux, on établit également une zone d'exclusion militaire de plus de 300 kilomètres.

Enfin, le 1er mai, les opérations débutent par des bombardements de la Royal Air Force sur l'aéroport de Port Stanley, la capitale des îles Malouines : les argentins ne peuvent, dès le début, que constater leur infériorité technique et matérielle. Le lendemain, un croiseur argentin datant de la seconde guerre mondiale, le Belgrano, est coulé par un sous-marin nucléaire britannique, faisant plus de 300 morts. Deux jours plus tard, ce sont les britanniques qui subissent la perte d'un destroyer, le HMS Sheffield. De nombreux autres navires anglais subissent d'ailleurs d'importants dégâts, mettant en avant une faiblesse de la défense anti-aérienne face à l'efficace aviation argentine.


A gauche, le HMS Sheffield en perdition
A droite, la marche des commandos britanniques vers Port Stanley, une des photos phares de ce conflit

Le 21 mai, 4000 soldats britanniques débarquent sur la côte nord des Malouines. Les 27 et 28, de violents combats opposent les parachutistes anglais aux soldats argentins, faisant près de 50 morts pour les uns et plus de 200 pour les autres. Le 1er juin, 5000 soldats britanniques arrivent en renfort, et l'on prépare méthodiquement la reprise de Port Stanley. Enfin, du 11 au 14 juin, les soldats argentins défendent la capitale des Malouines, mais finissent par céder : près de 10.000 hommes se rendent devant la supériorité britannique. Essentiellement faite de batailles navales et aéronavales, la guerre des Malouines a causé en 72 jours la mort de 649 argentins et 255 britanniques.

Cette cuisante défaite entraîne la fin progressive de la junte militaire argentine, et le glissement vers un pouvoir démocratique. Au Royaume-Uni, Margaret Thatcher, malgré quelques détracteurs, retire de cette intervention une grande popularité.

finipe, 21h03 :: :: :: [0 confession honteuse]

5 Mars 2008 ::

« Charité mercantile »

:: Métroboulododo

En tant que salaud de patron, je suis très régulièrement démarché par d'innombrables entreprises ou organismes, qui essayent tous de me refourguer quelque chose. Normal, me direz-vous, une entreprise est forcément un endroit où l'argent coule à flot. Il s'agit des pompiers, qui veulent me refiler des calendriers à 500 euros, ou bien des gendarmes, qui veulent me revendre des vignettes de soutien à 800 euros, ou encore des entreprises d'interim, qui tentent de me soutirer quelques milliers d'euros pour participer à la réinsertion professionnelle de je ne sais quel senior en chômage de longue durée. Ces appels ont tous en commun une chose : un prétexte généralement fallacieux pour tenter de, tout simplement, vendre quelque chose et en tirer un bénéfice.

C'est ainsi que depuis plusieurs mois maintenant, des entreprises m'appellent régulièrement pour me proposer toujours la même chose : il s'agit, si l'on écoute leur argumentaire, d' « acheter des heures de travail pour des personnes handicapées », heures de travail pendant lesquelles lesdits handicapés participeront à la fabrication de diverses fournitures de bureaux, papier, gommes, crayons, et autres cartouches recyclées. Bien entendu, cet achat d'heures de travail se réalise concrètement par l'achat pur et simple des fournitures de bureau ainsi fabriquées, vendues à un prix prohibitif. Prohibitif, car il faut payer des éducateurs et des accompagnateurs pour aider ces pauvres handicapés à assumer leur travail, ce qui explique le surcoût occasionné. La vendeuse (car il s'agit toujours de femmes) termine généralement son speech par une petite note philanthropique, déclarant avec componction que mon entreprise participerait ainsi à un acte généreux et utile pour la société.

Je dois avouer que malgré la récurrence de ces appels, je suis toujours éberlué par la fausseté de ces vendeuses. Extrait choisi :

— Allô, Monsieur finipe ?
— Oui, bonjour.
[Des petites fleurs s'échappent du téléphone quand la dame parle]
— Bonjour Monsieur finipe ! Comment allez-vous ?
— [Monsieur finipe répond avec désinvolture, blasé qu'il est déjà à l'idée de devoir supporter encore une fois un entretien qui l'incommode]
— Euh, ça va pas trop mal merci.
— Alors, quel temps fait-il par chez vous Monsieur finipe ? Parce qu'ici dites donc, c'est pas folichon hein !
— [La dame émet un rire forcé et outrageusement jovial, pour ponctuer cette analyse météorologique dégoulinante de niaiserie]
— Mmhh. Qu'est-ce que je peux faire pour vous ?
— [Le ton de la dame ne perd rien de son outrance]
— Alors, et sinon, comment vont les affaires Monsieur finipe ? Ça marche bien pour vous ?
— [...]

Et puis, après trente ou quarante interminables secondes de vaines, fausses et insincères amabilités, la mielleuse vient au coeur du sujet, en déroulant de façon artificielle l'argumentaire précédemment énoncé. Lorsqu'enfin elle en a terminé, je lui rétorque toujours la même chose, à savoir que pour le moment, mon entreprise n'a déjà pas les moyens de salarier les deux personnes qui doivent vivre grâce à elle, et que par conséquent je ne peux pas me permettre d'acheter ses fournitures, dont je n'ai du reste pas besoin. La plupart du temps, la mielleuse répond que ce n'est pas grave, que je peux juste acheter quelques heures, que ce sera adapté aux finances de mon entreprise.

Bref, en un mot comme en cent, et quels que soient les arguments avancés, je réponds toujours « non » de façon abrupte, car c'est malheureusement l'unique moyen de se débarrasser de la mielleuse. Je pourrais moi aussi argumenter longuement et posément sur les raisons de mon refus, qui ne sont pas uniquement de l'ordre de l'avarice, mais je sais pertinemment que la vendeuse s'en fout, car la vendeuse veut vendre, et pas refaire le monde. C'est donc souvent dans un climat radicalement différent que se termine ce genre de conversation : la mielleuse, après avoir essuyé un refus somme toute cavalier, parfois inconvenant, voire grossier pour les plus opiniâtres, se transforme en blob maléfique en un quart de seconde. Les petites fleurs qui s'échappaient du téléphone se flétrissent instantanément, remplacées par des sacs à vomi et des couches-culottes pleines, et le blob maléfique termine par une rapide diatribe, fustigeant mon manque de solidarité, mon coeur de pierre, et mon inhumanité. Puis, elle raccroche précipitemment après un « au revoir » très approximatif.


Avant / Après

Entendons nous bien, je n'ai rien contre le commerce, la vente quelle qu'elle soit, bien au contraire : je suis un enfoiré de capitaliste. Simplement, je constate que tous ces braves gens qui démarchent l'entreprise dont je suis légalement le responsable usent presque toujours d'un artifice, voire tout bonnement d'une grossière supercherie, pour vendre leur camelote. Je suis certain que s'ils étaient simplement sincères, qu'ils proposaient avec franchise et honnêteté leur produit/service, je serais plus enclin à acheter (syndrome d'Alceste, sans doute).

Comme si vendre, en France, était un acte impie, indigne, et qu'il fallait nécessairement l'embellir avec de généreux objectifs humanistes. Il faut donc croire que nous n'avons pas changé de mentalité depuis le XVIIème siècle, où le commerce était un acte indigne de la noblesse, contrairement aux pays anglo-saxons, où la noblesse pouvait commercer sans honte. Pour certains domaines, les choses ne changeront décidément jamais.

finipe, 21h37 :: :: :: [4 cris de désespoirs]

3 Mars 2008 ::

« Paul Thümmel, l'espion A54 - 2ème partie »

:: Histoire contemporaine, 1942

Ce billet fait partie d'un sujet composé de deux parties :

1. Paul Thümmel, l'espion A54 - 1ère partie
2. Paul Thümmel, l'espion A54 - 2ème partie



Des renseignements précieux

Pendant des mois, Paul Thümmel, alias A54, fournit des renseignements d'une surprenante précision. L'Intelligence Service anglais apprécie à leurs justes valeurs ces informations capitales, faisant figures de véritables prédictions à chaque fois. Jugeons plutôt :

  • A54 annonce que la plupart des documents traitant d'arrestations d'officiers tchèques passent entre ses mains : dès qu'il le peut, il prévient les officiers en danger.

  • Du 25 au 27 novembre 1939, il rencontre de nouveau le major tchèque Franck à La Haye, et annonce l'invasion de la Belgique et de la Hollande pour la fin de l'année : prédiction presque exacte, la Hollande est écrasée sous les bombes en mai 1940, et les alliés en sont prévenus une semaine avant. Pendant ces mêmes jours de novembre 1939, Thümmel parle d'un étrange projet mené par Hitler : le Führer a lancé un programme de recherche pour construire des « super fusées », qu'il veut projeter sur l'Angleterre. Nous ne sommes qu'aux prémisses de la guerre, et il annonce déjà les fameux V1 : A54 voit juste, et voit loin !

  • A l'automne 1940, la France est écrasée, après quelques semaines de « drôle de guerre ». L'Angleterre apparaît comme un bastion de liberté, situation insulaire oblige. A54 annonce que l'invasion de la Grande-Bretagne se prépare : des commandos spéciaux sont créés, des tracts de propagande imprimés en masse... Il annonce qu'au Portugal, on projette d'enlever le duc de Windsor, pour en faire, après l'invasion, le nouveau roi d'Angleterre. A54 donne même la date précise du début de l'offensive, ainsi que son nom de code : l'opération Seelowe doit débuter le 15 septembre, par une offensive aérienne d'envergure de la Luftwaffe, menée par Hermann Göring. Et en effet, quelques jours plus tard, la plus grand bataille aérienne de tous les temps commence : perdue par Göring, elle forcera Hitler à renoncer à son projet de débarquement.

  • A54 annonce également aux anglais que l'Islande, point géostratégique majeur, va être envahie par l'Allemagne : aussitôt, Churchill ordonne son occupation préventive.

  • Le 27 mars 1941, la Yougoslavie se soulève, renverse le gouvernement en place et rompt l'alliance avec l'Allemagne : quelques temps auparavant, Thümmel s'était justement rendu à Belgrade, et avait prévenu les services de renseignement yougoslaves, qui s'étaient empressés de démanteler les réseaux locaux de l'Abwehr...

  • A partir du 18 mai 1941, Thümmel envoie des renseignements alarmants sur une certaine Opération Barbarossa : toute la Wehrmacht s'avance à l'est, l'Abwehr travaille sur l'URSS sans relâche, l'invasion est imminente. Churchill en personne prévient Staline du danger mortel qui le guette, mais Staline n'y croit pas. Grand mal lui en prend, car le 22 juin 1941, le front de l'est est ouvert, qui va donner lieu aux plus sanglantes boucheries de la seconde guerre mondiale.

La chute de Thümmel

Dès 1939, la Gestapo soupçonne qu'un personnage haut placé trahit l'Allemagne : les détails des informations qui filtrent sont trop précis, trop secrets. Mais c'est à partir de septembre 1941 que l'étau se resserre : le bras droit d'Himmler, Reinhard Heydrich, arrive à Prague et entame une traque sans pitié de la résistance tchèque. On capture des postes émetteurs clandestins, on torture des résistants, on fusille des agitateurs, et c'est ainsi qu'on apprend que le capitaine Moravek[1], un résistant tchèque fugitif, est en relation avec un agent allemand haut placé et très bien informé. Une première fois, après confrontation de certains détails pratiques et d'emplois du temps, le premier enquêteur nazi, un certain Willy Abendschön, fait arrêter Paul Thümmel.

Aussitôt, ses supérieurs le tancent sans ménagement : comment Abendschön peut-il oser soupçonner un nazi de la première heure ? Un homme décoré de l'insigne d'or du parti, le Haupt V-Mann Paul Thümmel ! Abendschön, furieux, est obligé de relâcher son suspect. Mais le 4 octobre 1941, il mène un commando lors d'une attaque sur un poste radio clandestin, non loin de Prague. Willy Abendschön y trouve encore une fois des informations troublantes, dont seules quelques personnes pouvaient avoir connaissance. Parmi elles, encore une fois Paul Thümmel. Le 13 octobre, il est de nouveau arrêté, mais c'est une affaire grave, car il ne s'agit pas de n'importe qui : Thümmel est interrogé, il nie farouchement. On le confronte avec le colonel Chouravy, un résistant tchèque arrêté et torturé, qui affirme ne pas le reconnaître... De Berlin, des messages indignés parviennent à Prague : on refuse de croire que Thümmel soit coupable, et le 25 novembre, Willy Abendschön est contraint de le relâcher, encore une fois.


Le capitaine Moravek et le colonel Chouravy, deux héros de la résistance tchèque

Mais à la fin du mois de janvier 1942, Abendschön, pugnace, découvre une troisième série de renseignements accablants, en analysant les interrogatoires de deux agents anglais : cette fois-ci, Paul Thümmel est fini. Il est arrêté pour la troisième fois, emmené hors de Prague, et interrogé pendant des jours, des semaines. Puis, le 26 février, il « craque » : il avoue qu'il a infiltré les réseaux tchèques, et que toutes les victoires de l'Abwehr sont dues à son double-jeu. Dès lors, deux camps s'opposent : ceux qui croient en Thümmel, et ceux qui n'y croient pas. Abendschön piège Thümmel en lui ordonnant de faire capturer le capitaine Moravek, bête noire des services de renseignement allemands. Thümmel convoque officiellement Moravek chez lui, mais a pris soin de le prévenir en douce auparavant, et Moravek ne vient pas au rendez-vous[2]. Cette fois-ci c'en est trop : le 20 mars 1942, Paul Thümmel est définitivement considéré comme coupable. Personne ne voulant juger un homme de son gabarit, on le jette dans une cellule d'isolement de la forteresse de Terezin sous le faux nom de Docteur Paul Tooman.

Pendant trois ans, Thümmel reste enfermé. Dans les cellules adjacentes à la sienne passent souvent des déportés Juifs et Roms à moitié morts de faim : par une faille du mur, il leur passe des cuillères de sa propre soupe. Il est calme, cite souvent Goethe, et accepte la défaite de l'Allemagne sans broncher. Au mois d'août 1944, on le tire provisoirement de sa cellule pour le mener vers un tribunal de Prague, qui prononce le divorce de sa femme Elsa, contrainte par le parti de se séparer de son traître de mari. C'est la dernière fois que Thümmel voit sa femme : en partant, il lui dit « Attends-moi, je reviendrai ». Mais le 20 avril 1945, il est tiré une seconde fois de sa cellule, et est finalement fusillé.


_________________________________
1. Ce capitaine Moravek, héros de la résistance tchèque, n'a aucun rapport avec le lieutenant-colonel Moravec, qui fut une collaborateur nazi convaincu. Le capitaine Moravek s'est distingué en se moquant à tout va des allemands, leur jouant des tours pendables, et prenant des risques insensés pour la cause de la résistance.

2. Quelques jours plus tard, le capitaine Moravek fut repéré dans un parc : acculé et blessé, il se tira une balle dans la tête plutôt que d'être pris vivant.

finipe, 19h03 :: :: :: [4 confessions honteuses]

1er Mars 2008 ::

« Paul Thümmel, l'espion A54 - 1ère partie »

:: Histoire contemporaine, 1939

Ce billet fait partie d'un sujet composé de deux parties :

1. Paul Thümmel, l'espion A54 - 1ère partie
2. Paul Thümmel, l'espion A54 - 2ème partie



Après Mata-Hari, Amy Elizabeth Thorpe et Alexandre de Marenches, je continue ma petite série sur les espions dans l'Histoire. Je fête au passage mon 100ème billet historique. Wouhou !



L'incroyable trahison

Paul Thümmel naît en 1902. En 1928, après avoir exercé la profession de boulanger pendant quelques années, il adhère au parti nazi, en pleine expansion : c'est un Alte Kämpfer, un « vieux combattant », de ceux pour lesquels Hitler aura toujours une prédilection. Il reçoit d'ailleurs l'insigne d'or du parti national socialiste, une distinction très prestigieuse, celle des vrais nazis, ceux de la première heure, les convaincus. En 1933, Thümmel rentre dans l'Abwehr, les services de renseignements allemands, et y gravit rapidement les échelons hiérarchiques ; dans les autres pays, les services de renseignements connaissent tous le nom et la personnalité de cet homme, on le désigne comme un fidèle, un nazi inflexible.

Et puis un matin, le 10 février 1936, une lettre bleue parvient au major Josef Bartik, le chef du 2ème bureau de contre-espionnage tchécoslovaque[1]. A l'intérieur, le courrier rédigé en allemand propose les services d'un inconnu : celui-ci offre ni plus ni moins que tous les secrets de l'Abwehr ! Les organisations des services de renseignements allemands en Allemagne, en Tchécoslovaquie, l'adresse de toutes les agences allemandes — Gestapo comprise —, les noms, adresses, pseudonymes, numéros de téléphone de tous les agents travaillant en tchécoslovaquie, les méthodes de transmission, les plans en cas de guerre... Les officiers tchécoslovaques n'en reviennent pas, ces renseignements n'ont pas de prix. Pourtant, l'inconnu réclame bien une somme concrète : 15000 marks, dont 4000 payables immédiatement à seule fin de régler une créance. Le major Bartik n'hésite pas un instant, il répond poste restante, comme convenu, et joint la somme demandée, au risque que l'inconnu soit un escroc.


Paul Thümmel et Josef Bartik

Dès lors, on baptise l'inconnu « A54 », et la communication entre lui et le 2ème bureau de contre-espionnage tchécoslovaque devient régulière. Plusieurs incidents sont évités grâce aux premiers renseignements fournis, puis une première rencontre a lieu, près de la frontière allemande, avec un luxe de précautions : la zone est peuplée par une immense majorité de pro-nazis. En allemand, Bartik interroge A54, qui semble calme, posé et sûr de lui : « Pourquoi n'offrez-vous pas votre collaboration aux services de renseignement français ? », et A54 répond « Les français sont étourdis de nature, ils prennent les choses à la légère. Il y a un trop grand danger à être démasqué ». Puis, A54 tend des documents à Bartik : une vraie mine d'or ! Des informations précieuses sur la Gestapo, l'organisation complète de l'Abwehr à Dresde, une liste des informateurs tchécoslovaques oeuvrant pour l'Allemagne. Ces collaborateurs sont d'ailleurs presque tous des germanophones membres du parti de Konrad Henlein, le parti allemand des Sudètes[2], pro-nazi. Hitler rêve de rattacher ces déracinés à la grande nation aryenne, et eux-mêmes appellent cela de tous leurs voeux.

La fin de la Tchécoslovaquie

Enfin, A54 révèle les détails des plans de conquête allemands : invasion et anéantissement de la Tchécoslovaquie, puis absorption de la Pologne, puis viendra le tour de la France, et enfin celui de l'Union Soviétique. Nous sommes le 6 avril 1936, et A54 révèle déjà l'histoire des cinq années à venir ! D'ailleurs, partout en Europe, le spectre de la guerre apparaît comme inéluctable : l'Italie de Mussolini vient d'envahir l'Ethiopie et est obligée de se rallier à Hitler, l'Espagne se noit dans le bain de sang de sa guerre civile, et les allemands en profitent pour y tester leurs armements[3].

A54 continue d'informer avec régularité et précision le bureau du major Bartik ; puis, une deuxième rencontre survient, le 12 mai 1938, à la frontière. A54 révèle alors une information grave : des explosifs sont entrés clandestinement dans les Sudètes, et le 22 mai, à la veille des élections communales, une insurrection doit éclater. Sabotages des routes, des voies de chemin de fer et des ponts, et attaques des postes frontières tchécoslovaques doivent fournir un prétexte au SS pour envahir le territoire des Sudètes. Devant la gravité de la situation, le gouvernement tchécoslovaque réagit promptement : il ferme la frontière, rappelle un contingent de réservistes, et prépare sa défense avec pugnacité. Hitler finit par reculer, et l'annexion des Sudètes tant désirée ne se fait pas. Pas encore du moins.

Et pour cause, puisque le 12 septembre 1938, à peine quelques mois après cet incident, les accords de Munich signés entre Hitler, Daladier[4], Chamberlain et Mussolini scellent la fin de l'existence de la Tchécoslovaquie, et donnent les Sudètes à l'Allemagne. La Tchécoslovaquie est amputée de 25000 kilomètres carrés et 3 millions d'habitants, ainsi que les riches industries qui les accompagnent. Le « concert des nations » a plié devant l'Allemagne, et le seul ami des tchécoslovaques semble être un obscur espion allemand. A54 continue d'informer le 2ème bureau de contre-espionnage, et révèle que bientôt, Hitler ne se contentera plus des Sudètes, il lui faudra tout le pays. Si les dirigeants politiques tchécoslovaques ne croient pas une telle information, le major Bartik sait que son informateur est sûr : il brûle tous les documents compromettants, et le 14 mars 1939, il s'envole pour Londres acompagné de ses meilleurs officiers.

Pendant ce temps, les commandos SS agissent tel qu'A54 l'avait prédit : le 15 mars au matin, ils envahissent le pays et entrent à Prague, sous les huées de protestation de la foule. Dans les bureaux du service de renseignement tchécoslovaque, les agents de l'Abwehr ne trouvent que des cendres. Paul Thümmel, quant à lui, gravit tranquillement les échelons hiérarchiques, vit désormais à Prague, et sillonne l'Europe en toute quiétude, dirigeant les centrales de renseignement de Tchécoslovaquie, mais aussi du proche-orient et des Balkans.


Entrée des troupes allemandes à Prague, le 15 mars 1939

Le 3 août 1939, à La Haye, Thümmel rencontre en secret le major tchécoslovaque Frank, venant tout droit d'Angleterre. Sous le pseudonyme de Paul Steinberg, l'agent A54 livre alors un rapport destiné aux anglais, un rapport terrible : cinquante divisions sont prêtes à attaquer la Pologne, et Hitler pense que la France ne réagira pas. Si toutefois la France déclarait la guerre à l'Allemagne, alors Hitler ne l'attaquerait pas immédiatement.



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1. Depuis plusieurs années déjà, une guerre souterraine se menait entre les divers services de renseignements, une guerre bien réelle qui avait provoqué des morts.

2. Les Sudètes sont un massif montagneux marquant la frontière entre l'Allemagne, la Pologne et la Tchécoslovaquie. Des nombreux germanophones y vivaient, officiellement tchécoslovaques, mais allemands de coeur.

3. Bombardement de Guernica, le 26 avril 1937

4. C'est en revenant en France que Daladier aurait déclaré, devant les acclamations d'une foule le prenant pour le sauveur de la paix : « Ah les cons, s'ils savaient ! »

finipe, 17h33 :: :: :: [2 soupirs de satisfaction]