Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

J'en ai
vraiment
rat le cul...
Eh
ouais
En vérité je vous le dis, l'Humanité dévore irrémédiablement la morale. Ce faisant, l'amour se délite en rampant depuis l'au-delà du rationalisme
Nabot Léon ::
Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

28 Mai 2008 ::

« Le dernier mot »

:: Misanthropie

Au plus haut sommet de la plus haute tour de verre se tenait la pièce maîtresse de l'organisation, l'organe de réflexion et de stratégie de cette société florissante, le cerveau de l'entreprise. Chacun des hommes qui s'y réunissaient, très régulièrement, constituait une brique élémentaire de cet organisme de pierre et de verre, un des neurones de cet esprit suprême qui régnait sur un monde trouble et inconnu du grand public, qui pourtant subissait chaque jour le matraquage des messages publicitaires et des campagnes de presse, ignorant que tout se jouait dans une seule pièce de cent mètres carrés. Un are, l'équivalent d'un de ces lopins de terre d'autrefois, qui ne produisaient que quelques légumes tout juste susceptibles de nourrir chichement une famille ; cet are là, au contraire, tenait en son centre un homme, qui tenait en son poing la vie de milliers d'autres.

Et en ce jour devait justement se tenir une de ces réunions qui influent sur l'existence de millions de gens ; tous les subalternes étaient déjà là depuis dix minutes, attendant fébrilement la venue de cet homme qu'ils admiraient, craignaient, jalousaient et détestaient à la fois ou successivement, au gré des circonstances, des réussites ou des échecs commerciaux. Lorsqu'enfin il arriva, tout le monde se tut immédiatement et se raidit dans son fauteuil de cuir. Il se dirigea vers le plus grand des sièges, celui qui figurait en bout de l'immense et oblongue table de bois précieux, alluma d'un geste dégagé son microphone, mais au lieu de s'asseoir appuya les poings sur la table et se pencha en avant dans une posture de défi, jetant un regard appuyé à chaque membre de sa cour. Après un instant de silence lourd, pendant lequel personne n'osa même se râcler la gorge, il prit la parole, de ce ton à la fois rude et cordial dans lequel on reconnaissait un charisme naturel.

— Alors, où en est l'ordre du jour ?
— Il s'agit de déterminer le terme précis qu'il nous faut utiliser pour notre campagne publicitaire, monsieur le directeur, dit le plus petit des hommes présents, qui se tenait juste à la droite du cerveau.
— Bien, faites-moi voir cela Wilson.

Wilson tendit le dossier vers l'homme avec célérité ; ce dernier l'ouvrit et compulsa rapidement son contenu, avant de reprendre la parole :

— Bon, je vois. Il s'agit donc de trouver un terme rassembleur, imagé mais suffisamment clair pour qu'aucun doute ne soit possible, pas trop vulgaire de préférence. Je vous écoute messieurs.

Un gros bonhomme suant dans son costume étriqué de flanelle demanda timidement :

— Pour quel terme devons-nous trouver un substitut monsieur le directeur ?
— Bite.
— Bite ?
— Eh bien oui voyons ! Bite ! Ou bien si vous préférez : zob, zguègue, queue, mastard, braquemard, mât, pine, noeud, gourdin, asperge, arbalète, clarinette, frotteuse, goupillon, chinois, pinceau, quéquette, radis, matraque, jambon, dard, vit, zigouigoui, teub, nouille, paf, pinceau, bigoudi, chibre, poireau, manche, que sais-je encore.

Un silence gêné empesa la pièce quelques instants, puis les débats s'ouvrirent avec sérieux :

— Et si nous utilisions tout simplement le terme "verge" ? lança tout d'abord le gros bonhomme suant.
— Non, non ça ne va pas, bien trop connoté sur le médical. Nous allons dégoûter tous nos clients, répondit un grand maigre à la calvitie très avancée.
— Sans doute, mais nous répondons cependant à un besoin que d'aucuns qualifieraient de "désordre médical", répondit Wilson au contradicteur chauve.
— Certes, mais ce serait une erreur de souligner cet argument, nous risquons d'ôter totalement le côté ludique de l'objectif que nous nous proposons de faire atteindre au client. N'est-ce pas Stappleton ?
— En effet, je serais plutôt favorable à un terme plus léger, moins sinistre, comme "queue" par exemple.
— Ah non ! s'exclama un type dont les lunettes étaient si épaisses que ses yeux lui mangaient la moitié du visage. Le terme "queue" me semble tout à fait inadapté, c'est trop trivial, trop jeune, on se croirait sur une plage pleine d'adolescents avinés !
— Je suis d'accord, reprit la calvitie. La queue, ça ne va pas du tout.
— Je ne sais pas, objecta Stappleton. D'un autre côté, il faut bien voir que notre cible aspire précisément à retrouver une jeunesse qu'elle a, d'une certaine façon, perdu. La queue n'est-elle pas bienvenue, en ce sens ?
— Non, cela ne convient pas, trancha soudain avec autorité le cerveau tout puissant de la réunion.

Chacun se tut un instant, et Stappleton baissa le regard, conscient qu'il venait de perdre des points dans la course à la hiérarchie. Puis, les gros yeux reprirent le débat :

— Et pourquoi pas "sexe" ?
— C'est assez neutre en effet, acquiesça Wilson, c'est habile.

Les gros yeux réprimèrent un sourire victorieux devant ce demi compliment de l'homme de confiance du cerveau. Ils décidèrent de pousser leur avantage :

— En effet oui, cette neutralité concilie l'aspect médical du problème que nous nous proposons de solutionner, et l'aspect ludique du coït : le sexe désigne autant l'organe sexuel que l'acte sexuel n'est-ce pas ?
— Certes, répliqua le gros bonhomme suant, mais nous nous alignons sur la stratégie marketting de nos concurrents, et nous risquons de perdre notre spécificité et notre lisibilité auprès des clients.
— Cela ne me semble pas problématique, car dans la mesure où le client attend un message clair, la répétition du terme l'attache de plus en plus fortement à un usage donné, en l'occurrence la désignation de la bite.
— La bite, la bite, certes ! Mais ce terme de "sexe" est tout de même très largement employé à d'autres usages, en particulier tout le secteur pornographique. Les sociétés qui s'occupent justement du secteur pornographique, et que notre holding possède pour la plupart — je tiens les chiffres à votre disposition — usent et abusent de ce mot, même s'il est amputé du E final pour l'anglicisation et la facilité de l'indexation dans les moteurs de recherche.

Les gros yeux s'enfoncèrent les ongles dans la paume de la main pour maintenir leur empire sur eux-mêmes. Le coup était rude : tout le monde avait clairement vu monsieur le directeur acquiescer à la contradiction que venait d'exposer le gros bonhomme suant, dont le visage poupon et luisant ne put dissimuler une contraction de mâchoire victorieuse. C'est à ce moment que Stappleton tenta de revenir sur sa disgrâce :

— Et pourquoi pas "engin" ? C'est certes emprunté au lexique mécanique, mais cela correspond à tous nos critères.
— Développez, Stappleton, lança monsieur le directeur avec intérêt.

Stappleton sentit le vent de la victoire souffler en son sens, et saisit l'occasion avec conviction.

— Eh bien le lexique mécanique suggère un dysfonctionnement de la machine corporelle, sans souligner trop fortement l'incapacité ou la perte de virilité du client. Et en même temps, le terme "engin" demeure plutôt ludique. Regardez mon gros engin, tâtez mon engin, viens-là que je te fasse essayer mon engin, tu vas voir mon engin... Bref, le mot engin peut être considéré à plusieurs niveaux, il me semble pertinent.
— N'est-ce pas un peu puéril ? objectèrent en désespoir de cause les gros yeux.
— Nous pouvons tout à fait, dans un premier temps, encadrer le terme de guillemets pour atténuer la trivialité du mot. Puis, après quelques centaines de publicité lues, le terme ne sera plus considéré comme péjoratif par la cible, et nous nous débarrasserons des guillemets.

Le cerveau de la tour leva la main pour mettre fin aux débats, signifiant qu'il avait arrêté une décision. Chacun se tut immédiatement : « C'est entendu, ce terme "engin" me convient tout à fait pour désigner la bite. Wilson, mettez-moi en forme un texte du genre "J'ai voulu savoir comment augmenter la taille de mon engin car je me sentais complexé", et caetera et caetera, faites-moi ça pour mercredi. Stappleton, travaillez à un équivalent pour les couilles d'ici mardi prochain. La réunion est suspendue. »

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