Pour ne rien vous cacher, petits canaillous, je dois, en guise de précision liminaire, vous dévoiler une chose concernant ma cyber-intimité. Mais que l'on se rassure, les mineurs peuvent rester, il n'y aura là rien de bien scabreux (eeeh ne partez pas non plus !). Au fait : il se trouve que, ne regardant quasiment plus les
informations télévisées, j'ai pris le parti d'utiliser les fonctionnalités de ma page d'accueil Google pour y afficher les gros titres de plusieurs cyber-journaux français, dont notamment le Monde, le Figaro et Libération (histoire d'avoir des points de vue de gauche comme de droite).
Je ne m'étendrai d'ailleurs guère plus longtemps sur le contenu même de ces articles, ils sont généralement assez pauvres, plutôt dénués d'intérêt et affreusement factuels : il semblerait que de nos jours, malgré une ligne politique souvent connue et reconnue pour chaque journal, le journalisme d'opinion soit bien pâle. Lorsqu'on lit certains journaux d'il y a un siècle, on peut sentir la différence, en terme de contenu comme en terme de volume (il y a un siècle, il n'y avait certes pas la télé). Peut-être qu'à force de ménager les susceptibilités de chacun on ne peut plus rien dire finalement. Bref, trêve de digression.
Finalement, le plus amusant/consternant sur ces cyber-articles consiste en la lecture des commentaires laissés par les internautes. Si parfois, au détour d'une page, on peut lire un commentaire argumenté, fondé sur des idées et rédigé intelligemment (et ce quel qu'en soit le contenu idéologique), il faut hélas constater que l'immense majorité des commentaires sont affligeants de médiocrité. Les cyber-journaux, trop conscients qu'il faut que Monsieur Toulmonde exprime ses opinions (et non ses idées — qu'il n'a généralement pas) pour que le
produit suscite de l'intérêt, laissent ainsi fleurir les niaiseries les plus crasses et obtuses à propos de tout article, aussi dénué d'intérêt soit-il. Et bref derechef, je pourrais m'étendre longtemps sur la question, tant elle éveille en moi les relents de misanthropie les plus nauséabonds.
Il semblerait à ce propos qu'un glissement progressif se soit opéré, au fil des articles et des mois, plaçant inexorablement les commentateurs de Libération et les commentateurs du Figaro dans une (de moins en moins) sourde et (de plus en plus) vacharde confrontation, une sorte de guéguerre par commentaires interposés. D'un côté, les commentateurs réguliers de Libération, qui se feraient presque un nom à force d'user leurs claviers sur tous les articles de leur cyber-journal fétiche. De l'autre, les commentateurs réguliers du Figaro, qui écument les pages de leur cyber-journal fétiche en y laissant moult proses. Chacun y va de son humeur du moment : les libéristes fustigent la droite, les figaristes agonissent la gauche. Les mois passant, chaque cyber-journal s'est constitué son petit comité d'aficionados, sa garde prétorienne de commentateurs fidèles, qui n'en finissent pas d'étaler les mêmes raccourcis, les mêmes arguties simplistes.
Ainsi, Libération peut compter sur un fidèle noyau de commentateurs dont l'inclination partisane va très nettement à gauche (au sens de la gauche française, le dernier des grands pays communistes du monde), et Figaro peut compter sur un groupe de farouches libéraux aux idées dextres. Chacun possède son pré carré et se gargarise avec ses pairs dans un groupe le plus imposant possible, de peur de devoir affronter une opinion adverse. Mais le tableau n'est pas aussi idyllique, car des éléments étrangers viennent troubler les aborigènes de l'un et l'autre cyber-journal : en effet, il arrive souvent que des francs-tireurs figaristes (ou assimilés comme tels) viennent mettre un grain de sable contradictoire dans les gloses des libéristes. On trouve de même un certain nombre de libéristes affrontant l'ire des figaristes sur leur propre cyber-terrain !
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Et c'est à l'aune de ces pages que l'on peut mesurer la toute puissance argumentaire, l'incomparable tolérance, l'inextinguible besoin d'aller vers l'autre pour se confronter à ses idées, bref, toute la grandeur intellectuelle du commentateur moyen, pour qui le summum de la contradiction se résume à
« Ha ha ! Quand tu saura écrire correctement, reviens mettre des comentaires ici, neuneu ! », ou encore
« Tiens, les UMPistes débarquent pour foutre le bordel... Allez, retournez sur le site du Figaro et foutez nous la paix ».
Il s'agit donc d'une nouvelle variation du plaisant aphorisme « donnez la parole aux imbéciles, ils la prennent ». D'ailleurs, est-ce que je me gêne, moi ? Inutile de préciser que j'attends vos (innombrables) commentaires avec impatience :)
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1. En toute objectivité — disons de façon statistique —, je dois cependant constater que le territoire de Libération est bien plus farouchement défendu que celui du Figaro, un tantinet plus ouvert à l'ennemi. Mais est-ce bien volontaire, ou simplement dû à la détermination de l'adversaire ?