Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

On a souvent besoin d'un plus petit que soi
Pauvre
tocard...
Etrangement, l'Humanité escalade doucement la démocratie. C'est pourquoi l'amour s'évade, se précipitant vers le bonheur de l'existence
Cornille ::
Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

26 Février 2009 ::

« Jamais sans ma claque »

:: Misanthropie

Comme vous le savez peut-être, un projet de révision du découpage administratif est actuellement à l'étude en France. En effet, depuis bien des années maintenant (on en parlait déjà sous De Gaulle), il apparaît que l'empilement administratif français est des plus inutilement complexes : commune, communauté de communes, canton, arrondissement, département, région et enfin Etat, quiconque a déjà eu à naviguer dans ce labyrinthe de l'inertie bureaucratique sait à quel point il est difficile de s'y retrouver. Chacun ses compétences, ses attributions, ses crédits, ses services, ses bâtiments, ses personnels, et finalement il devient souvent impossible d'y trouver avec certitude et surtout simplicité ce qu'on y cherche. Que les plus fervents défenseurs des institutions françaises ne s'y trompent pas, je ne suis pas encore en train de jeter la pierre au fonctionnariat en général et aux fonctionnaires territoriaux en particulier, car je soupçonne que ces derniers sont eux-mêmes souvent les propres victimes de ce méli-mélo technocratique.

Mais le présent propos n'est pas tant de juger du caractère opportun d'une telle réforme, plutôt que d'en constater les effets annexes les plus déplorables. C'est ainsi que, tandis que les idées font leur chemin dans les divers médias, les discussions et les commentaires, de nombreux mécontentements surgissent. Les régionnalismes de tout poil se réveillent et s'indignent avec une ardeur qui n'aura de cesse de me surprendre : il y a quelques mois déjà, alors qu'il était question de supprimer le numéro du département sur les plaques d'immatriculation des voitures, une première vague de révoltés avait fait parler d'elle. Ces individus, au rang desquels on compte 221 parlementaires de tout poil, ont fondé un collectif (terme très en vogue s'il en est en ces temps d'individualisme forcené) qu'ils ont plaisamment nommé « Jamais sans mon département » (j'en ris encore).

Les trois arguments principaux avancés par ce collectif pour justifier de la conservation des numéros de départements sur les plaques minéralogiques étaient les suivants (ne riez pas, c'est très sérieux) :

  • La fierté locale d'appartenir à un département donné, et de le proclamer aux autres depuis 1928

  • La possibilité de mieux connaître la géographie française

  • La possibilité de faire des rencontres amoureuses sur les aires d'autoroute pendant les vacances (non, non, je ne plaisante pas, c'est vrai)

Si pour ma part je ne conteste pas le second point — qui à mon sens est le seul à peu près recevable —, il faut bien avouer que le troisième frise le grotesque. Quant au premier, et c'est là que je veux en venir, il me laisse perplexe : en quoi appartenir au département administratif du Tarn-et-Garonne, de la Meuse ou de l'Eure-et-Loire pourrait-il bien faire l'objet d'une quelconque fierté ? Evidemment, nous avons tous nos petites blagues sur les résidents de tel ou tel département, mais pour autant, cela est-il suffisant pour constituer une appartenance d'ordre culturel ? Sur quelles bases réelles de culture et d'Histoire communes les excités de Seine-Saint-Denis se revendiquent-ils du « neuf-trois » ? Car si les départements existent depuis un peu plus de 200 ans, ils n'en demeurent pas moins souvent très peu reliés à l'Histoire locale, mais plutôt à la géographie. Et puis quoi, s'ils sont si fiers que cela de leur département, ils auraient pu tout simplement coller le numéro sur leur voiture, ça aurait fait marcher les vendeurs d'autocollants et autres stickers.


Vous noterez au passage combien ce collectif semble représenter notre avenir

L'on peut toutefois être admiratif de l'énergie déployée dans ce combat pour l'indispensable sauvegarde de nos chères plaques minéralogiques : ce stupide collectif a même réussi à transcender le clivage droite/gauche si cher à notre pays. Pis encore : on apprend, au détour d'un article, que le conseil général du Pas-de-Calais a dépensé 24000 euros d'argent public pour imprimer d'innombrables vignettes « 62, c'est nous ! ».

Mais ce n'est pas tout : maintenant que l'on parle de recomposer les régions françaises, en en supprimant quelques-unes pour en agrandir quelques autres, ce sont de nouveaux des invectives qui fusent de tous les bords : on a mal à son identité régionale, on souffre dans sa chair très très fort, alors qu'encore une fois, les régions sont de purs produits administratifs. La Bretagne, en tant que région, est-elle limitée à ses quatre départements, alors que des siècles d'Histoire tracent ses limites parfois jusqu'en Vendée ? Il apparaît que la coutume a beaucoup plus de sens et de force que toutes les appellations administratives et les collectifs du monde. Ainsi, lorsque l'on visite la France, on y trouve d'innombrables références au Quercy, Rouergue, Artois, Bourgogne, Languedoc, Dauphiné, Bourbonnais, Roussillon, Franche-Comté ou encore Béarn. Même la présentatrice météo parle encore de ces régions historiques. Par contre, il vient rarement à l'esprit des gens de mettre des écussons Pays-de-le-Loire, PACA ou Haute-Normandie sur leur voiture.

finipe, 23h50 :: :: :: [2 cris de désespoirs]

13 Février 2009 ::

« Ôde à la girafe »

:: En vrac

Une fois n'est pas costume, je vais céans non pas cracher une certaine haine de mon prochain, mais bien encenser sans mesure. Mais que mes plus fervents admirateurs (merci à vous deux) se rassurent, il ne s'agit pas d'un être humain, mais d'un animal. Gageons d'ailleurs que le titre du présent billet vous aura mis la puce à l'oreille. Si, si, petits canaillous, ne soyez pas modestes.

Je m'en vais donc ici dire à la face du monde la profonde affection que je ressens à l'égard des girafes, Giraffa camelopardalis. Mais, me direz-vous, pourquoi ce mammifère ongulé artiodactyle est-il nommé Giraffa camelopardalis ? Eh bien figurez-vous que les grecs étaient convaincus que ce grâcieux animal était issu d'un croisement entre un chameau et un léopard, d'où ce curieux camelopardalis. Notons au passage que bien d'autres animaux ont des noms issus de pareils croisements, improbables autant que faux : l'autruche (oiseau-chameau), le léopard (lion-panthère), le caméléon (lion-lézard) ou encore le zèbre (cheval-tigre). Mais trève de digression.

La girafe est donc connue depuis fort longtemps : son nom actuel viendrait de l'arabe zarâfa signifiant « douceur de vivre », « grâcieuse », ou même « charmante ». Si son nom évoque bien volontiers sa grâce et son élégance, il faut souligner que, dans le Physiologus (le bestiaire latin), la girafe est un animal hors-norme : c'est l'une des rares créatures à n'être pas ou très rarement associée à des propriétés morales, des qualités ou des défauts, à n'être pas moralisée par l'homme : sans utilité spécifique ni rôle attribué, on l'envisage comme une merveille lointaine et mystérieuse, une créature fabuleuse, qui échappe aux règles généralement admises pour le règne animal...


Le couple de girafes de l'Arche de Noé

Et de fait, la girafe est un animal surprenant à plus d'un titre : du haut de ses 5,5 mètres et ses 7 vertèbres cervicales de plus de 40 cm de longueur chacune, elle promène sa placide et élégante corpulence en marchant à l'amble[1], c'est à dire en avançant dans un premier temps les pattes avant et arrière gauches, puis dans un second temps les pattes avant et arrière droites, démarche peu courante qui lui confère cette allure noble. Ce cou si long qui fait tout son charme est d'ailleurs la source de bien des problèmes physiques à résoudre, et par conséquent de bien des avancées biologiques. Lorsque la girafe boit, son cerveau se trouve en dessous de son coeur, et la gravité voudrait que le sang ne puisse pas remonter le long du cou : pour parer à cet inconvénient, la girafe a inventé un ingénieux système de clapets anti-retour dans ses veines jugulaires, pour éviter que le sang lui retombe vers la tête. Plus que cela encore, ses proportions exceptionnelles font que la girafe est l'animal ayant la plus forte pression artérielle du monde (25/18), de quoi décimer une cohorte d'hypertendus. Son réseau sanguin est d'ailleurs si exceptionnellement bien conçu pour lutter contre la gravité que la NASA l'a copié pour concevoir les combinaisons anti gravité de ses astronautes. Et sans leur payer aucun droit.

Généralement rassemblées en troupeaux de taille variable et de composition changeante (les troupeaux se font et se défont, au gré des rencontres), les girafes n'ont pas de chef, et ne s'en entendent pas moins bien pour autant. Occupées à brouter paisiblement les feuilles d'acacias avec leur longue et puissante langue préhensile, elles ne font chier personne, et c'est bien pour ça que je les aime.

Longue vie aux girafes !



J'aime les girafes, et elles me le rendent bien (Zoo de la Boissière du Doré - 44)
Photo garantie sans trucage :)


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1. Parmi ceux des autres animaux qui marchant à l'amble, on peut citer notamment l'ours, l'okapi ou l'éléphant. Certains chevaux savent marcher à l'amble, et quelques rares races canines, mais dans ce cas, il leur faut un dressage spécifique.

finipe, 15h37 :: :: :: [10 jubilations]

2 Février 2009 ::

« Mao & le Grand Bond en Avant - 2ème partie »

:: Histoire contemporaine, 1960

Ce billet fait partie d'un sujet composé de deux parties :

1. Mao & le Grand Bond en Avant - 1ère partie
2. Mao & le Grand Bond en Avant - 2ème partie



Le socialisme à son paroxysme

Après la campagne des cent fleurs, qui se solde par une répression intense et un raidissement du pouvoir chinois, Mao lance son projet : le Grand Bond en avant (Dà yuè jìn). Il a pour but de parvenir à une accélération économique et technique de la Chine — agriculture comme industrie —, en un laps de temps très court, et en mobilisant notamment de façon très importante les campagnes. Tout est bon pour y parvenir : endoctrinement, propagande et coercition font merveilles, et dès la fin de l'année 1958, le mouvement se met en marche. La collectivisation est poussée à son comble : la coopérativisation des foyers ruraux que Mao avait enclenchée en 1955 est revue à une échelle encore plus importante, avec la création de dizaines de milliers de Communes, regroupant chacune une trentaine de coopératives agricoles, soit plus de 20000 personnes par Commune.

Ce modèle voulu par Mao se doit d'être auto-suffisant, autant pour la nourriture que pour les matières premières. On manque d'acier ? Mao incite chaque Commune à construire une fonderie d'acier : sitôt dit, sitôt fait, le moindre gramme de métal est jeté dans ces fourneaux, tôles, outils, casseroles, couverts, ustensiles, tout y passe, créant de l'acier de si mauvaise qualité qu'il en est totalement inutilisable. En pendant ce temps, les champs sont privés de leur main d'oeuvre, trop occupée à fabriquer de l'acier qui sera finalement jeté... Le bois vient à manquer pour faire brûler tous ces hauts fourneaux ? Qu'importe : on fait brûler les tables, les encadrements de portes, les lits... Chaque oiseau mangeant un grain de riz prive le peuple de sa nourriture, affirme Mao : aussitôt, les chinois se ruent sur leurs fusils, et ce sont des dizaines de milliers de moineaux qui sont abattus !


A gauche, les hauts fourneaux ayant englouti tout le métal de la Chine
A droite, un camion emportant des milliers d'oiseaux, tués pour soi-disant protéger les récoltes

Mais cette politique grotesque tourne rapidement au désastre : des famines éclatent çà et là en raison de l'irréalisme de ce Grand Bond[1], et très rapidement, la folie du système crée de graves mécontentements parmi la population comme parmi les élites : le ministre de la guerre notamment, Peng Dehuai, fait des déclarations très critiques à l'égard de Mao, critiques que de nombreux cadres du Parti pensent sans oser les exprimer de vives voix. Mao le destitue, et l'armée est purgée de ses éléments contestataires : le Grand Bond en avant continue, et est même encore accentué. Dans le même temps, les relations entre la Chine et l'URSS (qui désapprouve la politique de Mao) s'enveniment gravement.


Image de propagande sur l'objectif de production d'acier.
Le texte indique : « Considérez l'acier comme un élément clef,
pour un bond en avant dans tous les domaines »

L'année 1960 est un cauchemar : la récolte est très mauvaise, le nord du pays subit une sécheresse importante, et les famines s'étendent à tout le pays. Dans toute la Chine, on assiste à des scènes affligeantes : de pauvres hères aux formes squelettiques rampent dans les champs pour grapiller quelques graines, on ne trouve plus un rat, plus un chat, plus une souris, plus un chien, tous ayant été mangés. On cuit des galettes de terre et de mauvaise herbe, les enfants sont abandonnés, l'on fait état de scènes de cannibalisme... Et cette situation dure près de trois années !

Retour à la raison ?

Dès l'automne 1960, Mao Zedong est lui-même obligé de reconnaître l'échec cuisant de sa politique. Le Grand Bond en avant est stoppé net, la collectivisation drastiquement réduite, certains lopins de terre redeviennent privés, et la Chine échappe de justesse à un effondrement total de son économie. Liu Shaoqi est élu à la place de Mao, qui se retire à Shanghaï pour se faire oublier ; mais le Grand Timonier, ainsi qu'on le surnomme, reste intimement persuadé que la Révolution doit en permanence être nourrie de forces vives, et ce même dans la douleur. C'est ainsi qu'il fera son retour en 1966, armé de son « Petit livre rouge », et lancera la Révolution culturelle.

Les conséquences apocalyptiques du Grand Bond en avant resteront quant à elle cachées aux yeux du monde jusqu'au début des années 80, alors que Deng Xiaoping a entamé une ouverture économique du pays. On estime aujourd'hui que 20 à 50 millions de chinois (!!) seraient morts dans les années 1958 à 1963.


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1. En plus de la désertion des paysans de leurs champs pour aller faire de l'acier, l'abattage massif des passereaux n'y fut pas étranger : sans prédateurs, les insectes se multiplièrent !

finipe, 02h23 :: :: :: [5 vilénies]