Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

Le boulot,
ça me
réussit pas
Ça c'est
balot...
Etrangement, l'envie répudie horizontalement l'intelligence, de sorte que la piété filiale s'enrichit en courant vers la fin de l'indifférence
Ploton ::
Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

17 Juillet 2010 ::

« Charles-Henri Sanson, la Terreur à travers les yeux du bourreau - 6 »

:: Histoire contemporaine, 1794

Ce billet fait partie d’un sujet qui en comporte neuf :
1ère partie2ème partie3ème partie4ème partie5ème partie
6ème partie – 7ème partie8ème partie9ème partie


24/03/1794 : Les Exagérés

Peu fortuné, Jacques-René Hébert, né en 1757, ne peut être ni député, ni membre du club des jacobins, et doit se contenter d’un poste à la Commune de Paris. Cela ne l’empêchera pas d’avoir un rôle prépondérant dans la Révolution, par l’entremise du club des cordeliers, et surtout de son journal « Le Père Duchesne[1] », qui tirera jusqu’à 600 000 exemplaires. Ecrit dans un langage volontiers ordurier, entrecoupé de jurons, son journal rend Hébert très influent auprès de la base populaire de la Révolution, les sans-culottes. Instigateur de la manifestation du champ-de-mars, et donc à l’origine de la fusillade du même nom, ainsi que des massacres de septembre (tout comme Marat), acharné à la perte du Roi, puis à celles des Girondins, de Manon Roland, de Bailly, on appelle très vite son mouvement « les exagérés »[2], partisans qu’ils sont de la guerre à outrance à l’extérieur, de la Terreur et de la déchristianisation à l’intérieur.
Déjà menacé en cette fin d’année 1793, Hébert est attaqué par Camille Desmoulins[3] dans son journal « Le Vieux Cordelier », et accusé de détournements de fonds, ce qui lui porte un sérieux préjudice auprès de sa base populaire. Les deux pamphlétaires vont s’acharner à se détruire par articles interposés pendant des semaines.
Le 4 mars 1793, les Hébertistes tentent d’organiser une insurrection, mais ne sont pas tous d’accord et celle-ci est mal préparée. Arrêtés le 13 mars avec leurs soutiens et bâilleurs de fonds étrangers pour appuyer la thèse d’un « complot avec l'étranger », ils sont condamnés à mort 10 jours plus tard à l’issue d’une parodie de procès.


Hébert et ses partisans sont conduits à la guillotine dès en sortant du Tribunal Révolutionnaire. « Chaque seconde de leur existence devient un outrage pour la majesté du peuple », a dit Fouquier-Tinville.

Le général Ronsin arrive fièrement. Anarcharsis Clootz encourage ses camarades à sa façon : « Ne démentez point vos principes ! Tout finira bien pour vous à la guillotine, vous ne trouverez rien par-delà ! Donnez au monde le spectacle d’une mort républicaine ! » Mais les autres ne l’écoutent pas, trop occupés qu’ils sont à se reprocher mutuellement leur mort. Vincent manque d’assurance. Quant à Hébert, il doit être soutenu par deux gardiens : livide, il pleure et sue à grosses gouttes. Ronsin, en colère devant cette lâcheté, se tourne vers Momoro, un peu abattu également, et lui dit : « Nous avions mis nos têtes pour enjeu, nous avons perdu la partie. Il faut payer en gens de cœur ».

Sur le chemin, la foule est grande, toutes les fenêtres sont garnies. Les fanas de la guillotine qui approuvaient autrefois les vues d’Hébert se montrent à présent les plus acharnés contre lui :
- Eh ! Père Duchesne ! Tu vas regarder à la lucarne, tu nous diras demain dans ta feuille ce qu’on y voit !
- Tu prenais douze sous pour saigner, père Duchesne. Charlot est plus généreux que toi, il te saignera gratis.
De tout cela, Hébert n’entend probablement rien : il est pâle comme un mort et a les yeux troubles. En arrivant, il faut l’asseoir sur le pavé car il ne tient pas debout. Or, il doit être exécuté en dernier.
Clootz, lui, doit monter le premier, mais il refuse : « je veux, en voyant tomber la tête de mes camarades, me fortifier dans l’incrédulité de l’autre vie, et les engager jusqu’à la dernière minute à faire comme moi ! De plus, passer en premier est un privilège auquel je suis libre de renoncer ».
L’huissier fait signe à Sanson de consentir à la demande, et les 18 exécutions commencent.
Vient le tour de Vincent, Momoro, puis Ronsin, ferme jusqu’au bout. Il ne reste plus que Clootz et Hébert : le bourreau dit aux aides d’amener Hébert, mais celui-ci balbutie : « pas encore ! »
En l’entendant, Clootz monte l’escalier de lui-même et crie plusieurs fois : « Vive la fraternité des peuples ! Vive la République du monde ! »
Après Clootz, on boucle enfin Hébert sur la bascule, il est comme évanoui. Sanson fait signe à son aide Larivière de déclencher le déclic. Mais celui-ci, peut-être flatté par la rage sanguinaire du peuple contre Hébert, n’obéit pas et fait durer le plaisir. Alors l’exécuteur en chef, toujours aussi consciencieux, se précipite pour abréger lui-même les souffrances du Père Duchesne.


Jacques-René Hébert - le général Charles-Philippe Ronsin


Tous les Exagérés sont loin d’avoir été liquidés par cette purge. D’autres y ont échappé, soit parce qu’ils étaient déjà en prison ou ont lâché Hébert à la dernière minute pour sauver leur tête (Chaumette, Carrier[4]), soit parce qu’ils attendent leur heure, ou ne sont pas du même monde qu’Hébert, ou sont tout simplement des Exagérés sans être des Hébertistes : Collot d’Herbois, Billaud-Varenne, Vadier, Barère… Et ce sont ceux-là qui seront à l’origine de la chute de Robespierre.

05/04/1794 : Les Indulgents

Georges-Jacques Danton est né en 1759. Avocat, il entra au club des cordeliers où il fit immédiatement preuve d’un grand talent d’orateur, puis au club des jacobins, d’où il entra au gouvernement en 1792. Défenseur zélé de la République, il fut ovationné à l’Assemblée pour son fameux discours sur la Patrie en danger : « il nous faut de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace, et la France sera sauvée ! », dit-il quelques jours avant la bataille de Valmy, et il n’hésita pas à se rendre plusieurs fois en Belgique pour se rendre compte de l’état des armées du Nord.
Très affecté par la chute des Girondins, il prit de fait la tête des « indulgents » ou « dantonistes » qui demandaient la paix avec l’extérieur, et la fin de la Terreur à l’intérieur. Ils obtinrent la condamnation des « exagérés », avec l’approbation de Robespierre, puis s’attaquèrent à la clique des Barère, Collot, Billaud-Varenne et Vadier, par la voix de Camille Desmoulins dans « Le Vieux Cordelier ». En réponse, ces derniers accusèrent les indulgents de « modérantisme » et réclamèrent leur mise en accusation avec le soutien des Robespierristes, pourtant anciens amis de Danton et Desmoulins. A l’issue d’un procès truqué où l’on mêla, comme pour Hébert, des financiers étrangers pour faire croire à un complot, les indulgents furent condamnés à mort.


Dès que Sanson est mis au courant de l’exécution, le ton est donné : on le prévient que les condamnés sont susceptibles de se rebeller, qu’ils vont donc sortir un par un et qu’il faut les garrotter au fur et à mesure. On cherche à limiter le nombre de charrettes pour les rendre plus aisées à défendre, car on craint une action du peuple pour essayer de les libérer. On lui dit aussi qu’il faudra faire fissa, et que « la République ne sera sauvée que quand la tête des scélérats sera tombée sous le fer vengeur. »

Les condamnés se voient lire leur jugement dans une salle, puis passent directement dans une autre où les aides les attendent pour la toilette.
Le premier à arriver, Chabot, est livide et marche avec peine. Il a essayé de s’empoisonner à la prison du Luxembourg. Il s’inquiète d’être seul, mais voit bientôt arriver Bazire. Chabot se précipite vers lui en pleurant : « mon pauvre Bazire, c’est à cause de moi que tu vas mourir ! »
Magnanime, Bazire le serre contre son cœur sans rien lui reprocher.

Viennent ensuite 3 autres, puis Philippeaux, Lacroix, Westermann[5] et Fabre d’Eglantine, soutenu par deux gardiens, qui semble malade :
- J’ai encore une communication à faire ! dit-il.
- C’est impossible, lui répond l’huissier.
- Ce ne serait pas assez de m’assassiner, il faut dépouiller celui qu’on égorge ! Je proteste publiquement contre l’infamie des scélérats du Comité qui m’ont volé une comédie[6] étrangère à mon procès, et qui la retiennent !

Mais tout à coup, on entend la voix de Danton tonner dans la salle voisine où on lui lit son jugement :
- Je m’en fous de ton jugement, je ne veux pas l’écouter ! Nous autres révolutionnaires, c’est la postérité qui nous juge. Elle mettra mon nom au Panthéon, et les vôtres aux gémonies !
Il continue à se répandre en invectives, et les gendarmes doivent le pousser dans la salle voisine. Quand il voit Sanson, il se dirige vers lui, se laisse tomber sur une chaise, arrache son col de chemise et dit : « Fais ta besogne, citoyen Sanson ! »
Et quand il est apprêté, il dit encore : « Nous avons accompli notre tâche, allons dormir ! »

Arrivent enfin Hérault de Séchelles et Camille Desmoulins. Le premier est calme, le second pleure en parlant de sa femme et de son fils. Mais quand il voit les aides, il entre dans une rage folle et se précipite sur eux. La lutte ne cesse que parce que les gendarmes s’en mêlent. Les vêtements de Desmoulins sont en lambeaux. Il doit être assis et maintenu sur la chaise par quatre personnes et se débat comme un diable, parvenant à renverser plusieurs aides.
Fabre et Danton essaient de le calmer : « Laisse ces hommes, lui dit Danton. Pourquoi t’en prendre à ces valets de guillotine ? Ils font leur métier, fais ton devoir. »

Pour le trajet, l’escorte est aussi forte que pour Marie-Antoinette ou les Girondins.
Chabot, de plus en plus malade, vomit à plusieurs reprises, pendant que Bazire tente de le réconforter.
- Les foutues bêtes, ils vont crier « Vive la République ! » en nous voyant passer ! Dans deux heures, la république, elle n’aura plus de tête, rage Danton.
Comme Fabre se désole encore de la perte de sa comédie, Danton lui dit en riant :
- Des vers, avant huit jours tu en feras plus que tu ne voudras, et nous aussi !

Sur les quais de Seine, Camille Desmoulins hurle :
- Ne me reconnaissez-vous pas ? C’est à ma voix que la Bastille est tombée[7] ! Je suis le premier Apôtre de la Liberté ! Sa statue va être arrosée par le sang d’un de ses enfants ! A moi peuple du 14 juillet, ne me laissez pas assassiner !
Mais seules des huées lui répondent.
- Tais-toi, tais-toi, n’espères-tu pas attendrir cette vile canaille ? lui intime Danton.

En passant devant un café, les condamnés voient un homme assis sur un rebord de fenêtre qui semble les dessiner. Ils reconnaissent David.[8]
- Te voilà, valet ! Va donc apprendre à ton maître[9] comment meurent les soldats de la Liberté ! lui crie Danton.

Puis on passe devant la maison de Robespierre, tous volets clos, et là c’est le déchaînement :
- Vil Tartufe ! crie Fabre d’Eglantine
- Le lâche, il se cache comme il s’est caché au dix août[10] ! dit Lacroix.
- Monstre, auras-tu soif après t’être gorgé de mon sang ; pour te soûler, faudra-t-il celui de ma femme ![11] crie Desmoulins.
- Robespierre, c’est en vain que tu te caches ! Tu y viendras, et l’ombre de Danton rugira de joie dans son tombeau quand tu seras à cette place ![12] finit Danton.

Danton n’a qu’un moment de faiblesse, au moment où il aperçoit la guillotine. Sanson voit distinctement ses yeux se mouiller. Mais Danton, qui se rend compte que le bourreau l’observe, lui donne un coup de coude et lui dit :
- N’as-tu pas une femelle, des enfants ?
Et comme Sanson hoche la tête, il reprend :
- Moi aussi. Eh bien, pensant à eux, je redeviens un homme !
Il baisse la tête et murmure :
- Ma femme bien-aimée, je ne te reverrai plus. Mon enfant, je ne te verrai donc pas.[13]
Mais aussitôt, il se reprend : « Danton, point de faiblesse ! » se dit-il à lui-même.

Lorsque vient le tour de Desmoulins, il demande au bourreau s’il peut faire parvenir à ses beaux-parents une mèche de cheveux de sa femme qu’il tient dans sa main. Sanson accepte. Il meurt en répétant : « Lucile ! Lucile ! » et ne sait pas à ce moment que lui et sa femme deviendront les symboles romantiques de la Révolution.

Vient le tour de Fabre d’Eglantine : « Sachons mourir ! » tente-t-il difficilement de se convaincre.

Puis c’est Hérault de Séchelles, l’avant-dernier, et Danton le suit sans qu’on le lui commande. Les aides saisissent Hérault qui veut s’approcher de Danton pour l’embrasser, mais on l’en empêche.
- Les imbéciles ! vitupère Danton. Empêcherez-vous nos têtes de se baiser au fond du panier ?
Il regarde alors son ami mourir sans broncher, avec un « sang-froid qui n’appartient pas à notre espèce », écrira Sanson. Comme Danton s’avance déjà vers la guillotine, le bourreau le retient le temps de débarrasser le corps et d’essuyer le sang, et l’enjoint de regarder ailleurs.
L’autre lui répond en haussant les épaules :
- Un peu plus, un peu moins de sang à ta machine, qu’importe ? N’oublie surtout pas de montrer ma tête au peuple, il n’en voit pas tous les jours de pareille !


à gauche : Danton, par Constance Charpentier (Musée Carnavalet)
à droite : Desmoulins, par Jean-Sébastien Rouillard (Assemblée Nationale)


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1. Le nom du journal inspirera le nom de la « Chanson du Père Duchesne », très en vogue chez les anarchistes 100 ans plus tard, et qui sera chantée par Ravachol le jour de son exécution capitale.

2. On ne l’appellera « hébertistes » qu’après sa mort. On confond souvent les « exagérés » avec les « enragés » de Jacques Roux. Celui-ci, prêtre à l’origine, fut surnommé le « curé rouge » et fut l’un des premiers à prêter serment à la constitution civile du clergé. Décrété d’arrestation en septembre 1793, il se suicida dans sa prison de Bicêtre en février 1794 pour échapper à la guillotine. Hébert reprit pas mal de ses idées fin 93 et début 94.

3. Il avait déjà plus ou moins directement causé la perte de son ancien ami Brissot de cette manière, et se l’était amèrement reproché au moment de l’exécution des Girondins.

4. Le premier sera rattrapé par la guillotine le 13 avril 1794, le second le 16 décembre 1794

5. Récemment rappelé des armées de l’ouest, le « boucher de la Vendée » n’avait évidemment rien d’un indulgent, mais il était là car on lui prêtait une grande amitié avec Danton (qui le nia d’ailleurs énergiquement lors de son procès.) Westermann était peut-être le seul de toute la fournée qui méritait vraiment son sort.

6. Fabre d’Eglantine était également poète et dramaturge.

7. Son discours du 12 juillet 1789 au Palais Royal, suite au renvoi de Necker, fut en grande partie à l’origine de la Prise de la bastille.

8. Le peintre Jacques-Louis David (1748-1828). En voilà un qui a su s’adapter ! Portraitiste de la haute-société sous l’ancien régime, puis grand peintre de la révolution, puis peintre officiel de Napoléon Bonaparte, il n’y a guère que la Monarchie Restaurée qui n’a pas voulu de lui et l’a exilé en Belgique en 1816. Toiles les plus connues : Le Serment du Jeu de Paume (1791), Marat assassiné (1793), Fête de l’Etre Suprême (1794), Le Sacre de Napoléon (1808). Ce dernier est particulièrement célèbre parce que l’Empereur a exigé que soit rajoutée sur le tableau sa mère (qui n’était pas présente au sacre).

9. Il parlait évidemment de Robespierre.

10. 10 août 1792, Prise des Tuileries, aboutissant à l’emprisonnement de la famille royale et à la chute de la Monarchie.

11. Lucile Desmoulins était déjà écrouée à la Prison du Luxembourg au moment de l’exécution de son mari, et devait être guillotinée à son tour une semaine plus tard. A noter que Robespierre et Desmoulins étaient des amis de collège et que Robespierre était même le parrain du fils de Camille et Lucile Desmoulins, né en 1792 !

12. Paroles prophétiques comme on le sait !

13. La deuxième femme de Danton était enceinte quand son mari fut exécuté. Sa première femme était morte en accouchant de leur quatrième enfant, le 10/02/1793, au moment où il était en mission en Belgique. Durement choqué, il fit déterrer le corps de sa femme de nuit, en revenant à Paris, pour faire faire un moule de son visage ! (Le buste mortuaire de Mme Danton se trouve au Musée de Troyes)

draleuq, 11h32 :: :: :: [5 interventions abstruses]