Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

Comme disait Joffre, je les grignote !
On s'en
fout
Somme toute, l'envie répand affreusement la morale. Ce faisant, la sagesse se délite en évitant l'enfer de l'imagination
La Rochefaucud ::
Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

24 Janvier 2010 ::

« Le rat, c'est moi »

:: Elucubrations

Les rats nous observent dans l’ombre de leurs égouts. Ils se lissent les moustaches de joie car ils n’ignorent pas que notre civilisation fermera bientôt son guichet.

(Michel Dansel, « Nos frères les rats »)


Voici donc que je surgis entre ces tentes moyenâgeuses. C’est mon ami le lion qui m’y a offert l’asile, qu’il en soit mille fois remercié, même s’il me devait de toute façon un service depuis que j’ai rongé le filet dans lequel il se débattait lamentablement.


Illustration de Gustave Doré pour "le lion et le rat" de Jean de la Fontaine


Ce qui m’a amené ici est une boulette, et, disons le même, une grosse boulette.
Mais comme le sait le plus pavlovien des behavoristes, les rats adorent les boulettes puisque les humains peuvent les dresser à appuyer sur une pédale pour en recevoir une.
A moins bien sûr que ce ne soit le rat qui dresse l’humain à lui envoyer une boulette à chaque fois qu’il appuie sur la pédale. Tout est une question de point de vue.
Finissons-en donc et narrons cette boulette une bonne fois pour toutes, pour que vous rigoliez un bon coup et qu’on n’en parle plus : depuis le début de l’année scolaire, je teste – avec un certain succès – un système de mailing pour les parents d’élèves de ma classe.
Or, un jour que je leur écrivais un mail à la va vite, en voulant taper un lien vers un certain site, je saisis machinalement et par habitude l’adresse de mon propre blog, ne m’en rendis pas compte et cliquai sur « envoyer ».
C’est complètement par hasard et presque miraculeusement que je m’en suis rendu compte deux heures plus tard. Comme le savent les habitués de mon désormais ex-blog (merci une dernière fois à vous deux), je ne suis pas toujours tendre avec les merveilleux partenaires du merveilleux monde de l’éducation dans lequel je travaille, qu’ils soient collègues, élèves, parents… Et certains articles auraient pu éventuellement faire sensation, mais dans un sens qui ne m’aurait guère amusé.
Fort heureusement, ceci s’est passé en plein après-midi et il n’y a guère eu de dommage collatéral, à part bien entendu mon blog lui-même, désormais mort et enterré. J’ajoute même que tout comme chez les aborigènes australiens, maintenant qu’il est mort, il est défendu de prononcer son nom. J’ai appris ça en regardant « Australia » en bavant sur Nicole Kidman, cependant que ma compagne bavait sur Hugh Jackman pour faire bonne mesure[1].

Oui, vous avez bien lu : il doit disparaître de toutes les mémoires, son nom doit être oublié et sombrer pour toujours dans les affres du néant.
Bah oui, notre ami Google est très joueur. Ce robot a beau être un crétin comme tous les robots, il n’en demeure pas moins plus fin limier qu’un troupeau de chiens de chasse pour pister les blogueurs en maraude ou en rupture de ban.

Une nouvelle patrie donc, un nouveau nom, un nouveau départ dans la vie en quelque sorte (bah oui, vous croyez quoi ? Le blog, c’est toute ma vie !), tel est mon destin.
Le rat je suis désormais, et pour peu ragoûtant que soit l’animal, il me sied comme un gant.

Un peu rat des villes, j’aime à flâner dans les rues de ces œuvres humaines, petites ou tentaculaires, belles ou laides, impressionnantes ou déconcertantes. A condition que cela ne dure pas trop longtemps.

Un peu rat des champs, j’aime à me perdre dans les terres incultes et inhabitées, loin des humaines nuisances et de la civilisation déclinante. A condition que cela ne dure pas trop longtemps.

Un peu rat des bibliothèques, plus le temps avance, plus je dévore des livres, et pas qu’avec mes incisives.

Je suis né l’année du rat, paraît-il. Si c’était pas un présage, ça !

Le rat seul n’est rien. C’est un rongeur négligeable et dérisoire qui vit une très courte vie à manger, dormir, excréter et se reproduire. Un troupeau de rats, par contre, peut bouffer une porte blindée en moins de deux et faire un tas d’autres choses épatantes, en particulier des dégâts. Ça rappelle une autre espèce…

Le rat quitte le navire en premier quand il voit qu’il va couler. L’homme est jaloux, il aimerait pouvoir en faire autant. Mais il ne le fait pas car il sait, lui, qu’il n’y a pas d’autre navire au loin, ni d’île, et qu’il va sûrement se noyer. L’homme sait, mais ne fait rien pour éviter le désastre, alors autant être un rat et ne pas savoir !

Le rat a contribué à tuer plus d’un tiers de la population européenne entre 1346 et 1348. Même si cela n’a pas été suffisant pour éradiquer dans l’œuf le futur cancer de la planète, reconnaissons tout de même qu’il s’agit du plus beau palmarès de l’histoire connue. Cette peste noire bon sang, c’était quand même autre chose que la grippe A ah ah ! Rendons justice au rat pour ce score resté dans les annales, d’autant qu’il y a lui-même laissé des poils !


Illustration issue de "Faces de Rats" de Ptiluc (1989)
En ce qui me concerne, c'est culte !


Le chat n’aime pas le rat. Je n’aime pas le chat. Je suis donc un rat, en toute logique. Reconnaissons d’ailleurs que ces deux créatures n’ont vraiment rien pour s’entendre, car tout comme on dit : « si le chat n’est plus sur mémé, c’est qu’elle est froide », on pourrait dire a contrario : « si le rat n’est pas dans mémé, c’est qu’elle est encore chaude. »

Le rat est haï de pratiquement toute l’humanité avec la même ferveur, c’est en soi une raison suffisante pour que je l’aime, car enfin soyons clairs : un animal abhorré à ce point par l’homo sapiens ne peut décidément pas être tout à fait mauvais.


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1. C’est des conneries, le rat n’aime pas les blondes. Mais il avait envie d’écrire ça. Peut-être pour être quelqu’un comme il faut ?

draleuq, 18h48 :: :: :: [8 méditations grotesques]

13 Janvier 2010 ::

« Le solfège pour les nuls »

:: Métroboulododo

Comme beaucoup d'entre vous ne le sait probablement pas, je suis actuellement (entre autres) professeur de solfège dans une école de musique. Ou plutôt professeur de Formation Musicale (FM), selon l'expression consacrée : cela doit paraître moins ringard et moins effrayant que le terme solfège. Il s'agit d'ailleurs d'une école de musique agréée, habilitée à délivrer des diplômes valables dans tout le pays. Entendons-nous bien : ma mission, ou du moins celle qui devrait être la mienne, c'est d'apprendre à ces chères têtes blondes les bases techniques de la théorie musicale occidentale, à savoir rythme, lecture de notes, théorie, harmonie, intervalles, tonalités, modulations, cadences, Histoire de la musique, écoute, culture musicale en général, travail de l'audition, etc. Bref, tout ce qui fait qu'un musicien n'est pas juste un instrumentiste du dimanche, mais un musicien complet, cultivé, ouvert et curieux, en dehors de sa propre pratique instrumentale.

Hélas, la réalité est bien loin de la fiction, car mes élèves sont d'authentiques nullités (pour une grande partie d'entre eux), et pour cause, puisqu'ils n'en foutent pas une ramée chez eux (autant en instrument qu'en solfège, du reste). C'est ainsi qu'au bout de 4 ans, 80% des élèves ont abandonné l'école de musique (chiffres de l'année dernière) : généralement, cette période correspond à l'adolescence ou la préadolescence, ce qui n'arrange pas les choses. Les gosses sortent donc de l'établissement après 4 années passées à ne rien foutre en cours, et ne sachant pas grand chose de bien consistant ; les plus opiniâtres monteront peut-être un minable petit groupe de rock avec des copains, sans ambition ni qualité, sans rigueur rythmique, bref, un projet mort avant même d'être né. Et pendant que ces parasites profitent bien des impôts payés par leurs parents (qui d'ailleurs ne se gênent même plus pour le souligner aux dirigeants de l'école), d'autres (peut-être plus motivés) doivent attendre, car les places sont limitées (800 élèves pourtant !). Quant aux 20% restant, ceux qui passent le cap des 4 années, ils font en revanche ma joie !

Quoiqu'il en soit, c'est dans ces conditions que l'on me distribua récemment des « évaluations » (les guillemets s'imposent), sur lesquelles ma hiérarchie me demanda d'inscrire mon appréciation sur le parcours de chacun de mes élèves. On me précisa toutefois avec douceur que ceci était surtout destiné à (je cite) « faire plaisir aux parents » (ceux qui payent les impôts qui financent en partie l'école, donc), sous-entendant ainsi à mots à peine couverts que les reproches, les diatribes et les anathèmes étaient proscrits, quels que soient les mérites respectifs (et surtout les tares) de chaque élève.

C'est ainsi que je dus m'atteler à ce pénible fardeau scriptural, dans le plus laborieux style faux-derche dégoulinant de niaiserie compassée, dont je ne résiste pas à vous livrer quelques morceaux choisis, traduits dans le langage que j'aurais tant aimé utiliser :

Elève sympathique, quoiqu'un peu tête en l'air parfois.

La vérité : votre pourri de gosse n'écoute jamais rien. Il passe son temps à penser à autre chose, ne sait jamais où l'on se trouve quand on l'interroge, et est complètement à la ramasse. Il devrait se coucher plus tôt le mardi soir, car il dort assis pendant les cours et a des cernes de 3 pieds de long.

Elève parfois dissipé

La vérité : votre gosse à la con est un vrai boulet, qui passe son temps à intervenir quand on ne lui demande rien, à faire des commentaires déplacés et à systématiquement remettre en question le moindre propos que l'on tient. Foutez-le sous Ritaline ou mettez-lui quelques paires de claques, manifestement ça lui manque. A cause de ses conneries, je dépense la moitié de mon énergie dans l'autorité, alors que j'ai autre chose à foutre.

Petite lacune en lecture de notes (5 minutes de révision par jour suffisent !)

La vérité : votre môme, au bout de deux années de solfège, n'est même pas foutu d'aligner 3 notes en clé de sol, alors qu'il est (paraît-il) clarinettiste. J'aurai beau lui faire faire 3 heures de lecture de notes par cours, il sera toujours aussi nul s'il n'ouvre jamais son cahier dans la semaine pour pratiquer un peu. Non mais qu'est-ce que vous croyez ? Qu'on apprend à lire la musique par magie ? Qu'on se réveille un matin, touché par la Divine Grâce, en sachant lire parfaitement une clé de sol, 2 clés de fa et 4 clés d'ut ? Non : il faut TRAVAILLER, bande de minus !

Elève curieux et intéressé

La vérité : votre gosse passe son temps à poser des questions débiles et sans aucun rapport avec le cours. S'il pouvait fermer sa gueule quand on ne lui demande rien, et l'ouvrir à bon escient, ce serait appréciable.

Bon sens rythmique

La vérité : je vous mets un truc bidon pour vous faire croire que votre gosse a au moins une qualité musicale, mais c'est du flan. C'est un nullos, mettez-le à la poterie plutôt.

Excellent travail, il faut continuer ainsi !

La vérité : votre gosse est la seule lueur d'espoir de sa classe. S'il s'accroche un peu, il fera un musicien très capable, peut-être même vraiment bon.


Et après, on se demande pourquoi les élèves détestent unanimement le solfège, à tel point que les générations suivantes haïssent déjà le solfège, uniquement grâce à son aura maléfique de matière intrinsèquement chiante... J'ai la réponse : c'est parce qu'il faut travailler pour y arriver, et que ça demande des efforts. C'est ainsi que, alors que tant de pénibles passent un temps considérable à fustiger l'élitisme de ce genre de discipline musicale, la sélection s'opère d'elle-même : les nullos et les tire-au-flanc sont largués, les autres restent.

finipe, 19h08 :: :: :: [3 divagations]