Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

Il faut essayer d'obliger tout le monde
Eh
ouais
Aujourd'hui, l'envie embrasse inévitablement la démocratie. Par là même, l'amitié se délite, se précipitant vers le secret de l'individualisme
Ricane ::
Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

31 Juillet 2010 ::

« Maman les gros bateaux qui vont sur l'eau »

:: Elucubrations

Comment espérer en l’homme? Peut-on attendre le moindre élan de solidarité fraternelle chez ce bipède égocentrique, gorgé de vinasse, rase-bitume et pousse-à-la-fiente?

(P. Desproges)


Quatre gros navires, en attendant l’autorisation d’entrer dans le chenal, se disputaient pour savoir lequel d’entre eux était capable de faire le plus de mal aux hommes, ces salopards d’esclavagistes qui leur faisaient inlassablement traverser l’océan les cales pleines à craquer, jusqu’à épuisement complet des moteurs.
Ils se chamaillaient pour savoir lequel d’entre eux avait le meilleur potentiel pour zigouiller un maximum de ces ingrats, qui, après avoir exploité leurs bateaux sans relâche pendant trente ans et parfois même cinquante ans, les envoyaient se faire démanteler sans pitié dans un pays du tiers-monde quelconque, par de la main d’œuvre à bon marché.


Le fier paquebot parla le premier. Ses collègues ne l’aimaient pas trop car ce bourgeois se la pétait un peu trop :
« Moi, dit-il, j’ai tué seize de mes visiteurs à quai, et j’en ai mutilé deux fois plus dans l’effondrement de ma passerelle. Je m’attribue cette victoire car au procès qui a lieu en ce moment, ni le chantier naval ni le constructeur de la passerelle ne veulent en assumer la responsabilité. J’imagine donc que ça doit être de ma faute. Et puis, songez un peu, je pourrais faire comme mon illustre ancêtre le Titanic et me suicider sur un iceberg de l’atlantique nord en plein hiver. En sombrant j’aurais l’immense satisfaction de les voir se débattre et geler sur place dans le bouillon la bagatelle de près de 2700 passagers et 1300 membres d’équipage, soit un score de 4000 victimes. Pas mal, non ? »


Le pétrolier, un super tanker à simple coque jaugeant 200 000 tonnes de brut, prit la parole d’une voix fatiguée :
« Séduisant, en effet. Mais si tu le permets, je pense réussir à faire bien mieux que toi dans un avenir proche. Ça fait belle lurette que je devrais être en pièces détachées, mais mon armateur en a décidé autrement en me faisant encore circuler sous un pavillon de complaisance. Il ne me manquerait plus qu’une petite avarie moteur par gros temps, et je viendrais me crever sur le premier récif venu et déverser toute la merde que je contiens sur leurs côtes, à ces peigne-culs. J’empoisonnerais et tuerais des millions de poissons et d’oiseaux de mer, de même que des milliers de cétacés piscivores, je pousserais des centaines de marins pêcheurs à la faillite et au suicide, sans parler de ceux qui vivent du tourisme sur la côte, qui viendraient par centaines avec des cirés, des pelles et des seaux, dérisoires armes contre les flots de pétrole que chaque marée amènerait et contre les galettes de mazout gluantes qui viendraient s’agglomérer aux algues, se coller aux rochers, se mélanger au sable, provoquant à long terme des milliers d’incurables cancers de la peau sur les plagistes et les dépollueurs volontaires. Ah ah ah ! Je m’en réjouis d’avance ! »


Le jeune, mais néanmoins gigantesque méthanier, arborant une coque verte rutilante et un tatouage « Liquefied Natural Gaz », interrompit le rire du vieux rafiot :
« Ça fait rêver, sans aucun doute. Mais sauf le respect que je te dois l’ancien, je peux faire bien mieux que ça. Moi, je transporte régulièrement 150 000 mètres cube de gaz liquide. Sachant que l’explosion d’une bouteille de gaz domestique peut détruire entièrement un appartement, essayez seulement d’imaginer ce que je pourrais faire avec une étincelle mal placée. Ma sortie du chantier a déjà été retardée plusieurs fois pour des problèmes d’étanchéité de mes cuves, c’est donc loin d’être irréalisable, sans parler du fait que je pourrais être une cible de choix pour des terroristes. Ce serait un sacré feu d’artifice, pour sûr : toute cette foutue ville serait soufflée comme un fétu de paille. Des centaines de types seraient carbonisés, réduits en charpie, des dizaines d’immeubles volatilisés, et même beaucoup plus loin, des milliers de gens seraient criblés d’éclats de verre, sourds, traumatisés à vie. »


Les autres navires ne purent s’empêcher de corner de brume d’admiration devant une perspective aussi spectaculaire. Mais le porte-conteneurs, qui n’avait encore rien dit jusqu’à présent, n’avait pas l’intention de laisser sa part à la péniche :
« C’est bien beau tout ça mes amis, mais dans tous les cas, cela provoque irrémédiablement votre perte. Je ne dis pas que le suicide ne vaut pas le coup si cela peut permettre de provoquer un beau massacre, mais cela pose tout de même deux grosses questions : premièrement, vous n’avez même pas la joie de profiter du spectacle, et deuxièmement, plus grave, vous n’avez plus le loisir de récidiver. »

« Oui, mais que proposes-tu de constructif, ou plutôt de destructif ? lui dit le pétrolier. Ne nous dis pas que c’est en perdant accidentellement en mer un ou deux conteneurs de produits toxiques de temps à autre que tu comptes rivaliser avec nous ! »
Les autres opinèrent de la cheminée.

« Laissez-moi finir, fit le porte-conteneurs visiblement sûr de lui. Moi mon action est peut-être moins spectaculaire, mais c’est à long terme que se mesure ma nocive efficacité. Régulièrement, des trafiquants de drogue passent de l’héroïne, du crack et autres saletés en les cachant dans des conteneurs que je transporte. Le tout est revendu à des dealers qui finissent par en vendre à la sortie des écoles. Ça fait des milliers de junkies prêts à égorger leur mère pour avoir leur dose, et qui finissent tôt ou tard entre quatre planches après avoir lentement dépéri. Il m’arrive aussi de transporter, dans les mêmes conditions, du matériel pour le compte de trafiquants d’armes. Avez-vous seulement idée de la quantité d’hommes, femmes ou enfants qu’un fusil d’assaut Kalachnikov AK 47 peut tuer avant de donner son premier signe de faiblesse ? Les passeurs se font serrer moins d’une fois sur mille. Quand ça arrive, je me fais juste arraisonner quelques jours le temps de fouiller partout, puis on me revend à un autre armateur, je change de nom et je recommence la même chose pour un autre trafiquant, ou pour le même. Et je ne vous parle même pas des marchandises tout à fait légales que je transporte : des millions de cartouches de cigarettes, des millions de bouteilles d’alcool bon marché, des milliers de tonnes de malbouffe, de quoi alimenter durablement les cimetières en cancéreux, en cirrhosés et en obèses de toutes origines et de toutes conditions ! Et tout ça, sans le moindre suicide. Je peux à loisir contempler mon œuvre, ah ah ah !»

Les autres en étaient cheminée bée. Ils en avaient les hublots tout écarquillés, et l’hélice nouée. C’est à regret qu’ils durent reconnaître d’un seul et unanime signal maritime que le porte-conteneurs était indéniablement le roi de la nuisance à l’homme.

« Mais non, les consola le vainqueur, ce n’est pas moi le recordman de la nuisance à l’homme ! Il y a bien pire que moi ! »

« C’est impossible ! Qui donc !!?? » hurlèrent les trois autres d’une même sirène.

« C’est l’homme lui-même »

Copyrat draleuq 2008

draleuq, 13h07 :: :: :: [1 remarque spirituelle]

27 Juillet 2010 ::

« Retour au crématorium »

:: Professorat

J’ai appris qu’une vie ne vaut rien, mais que rien ne vaut une vie.

(André Malraux, "Les Conquérants")


C’est la vie !

L’espérance de vie, en France, est de 80 ans en moyenne.
En moyenne.
Ça veut dire qu’il y en a qui meurent centenaires, nonagénaires, octogénaires, septuagénaires.
Mais ça veut aussi dire qu’il y en a qui meurent sexagénaires, quinquagénaires.
En dessous, ça ne se dit plus trop, « quadragénaires ». A peine les journalistes disent-ils "le/la jeune quadra" quand ils parlent d'un homme/d'une femme politique aux dents qui rayent le parquet. Pourtant il y en a qui meurent aussi, à 40 ans. Il y en a même pas mal.
Et à 30 ans, 20 ans, ça ne se dit même plus. Ça se dirait comment d’après vous ? Trentagénaires ? Vingtagénaires ? Jamais rien entendu de tel. Ça n’empêche pas que même à cet âge-là, il y en a qui meurent aussi.
Ils font sacrément baisser la moyenne, heureusement donc qu’il n’y en a pas beaucoup.
Et je ne vous parle même pas des moins de 10 ans, les pas formés, les pas grandis, les innocents, les qu’ont même pas vu combien la vie était belle/affreuse (rayez les deux mentions inutiles).
Parce qu’ils peuvent mourir. Aussi.
Je sais, je ne vous apprends rien. Mais cette pilule là, elle a toujours encore un peu plus de mal à passer que les autres.

Impitoyables statistiques

La faucheuse frappe au hasard, à l’aveuglette, implacablement. Dirigez pendant sept ans une école de 300 élèves, et ce sera un miracle si vous n’en avez pas vu un mourir sur le lot.

Il y a eu la première fois, c’était il y a quelques années. La petite avait 5 ans. Elle a d’abord fait une crise d’urticaire, en tous cas c’est ce que le médecin a dit. Elle est restée à la maison, deux jours. Puis elle est revenue à l’école un jour ou deux, elle a eu à nouveau des plaques, elle n’est plus venue. Elle avait une mauvaise toux en plus, le médecin a craint une bronchiolite, une pneumopathie, une coqueluche, une sérieuse petite saloperie quoi. Il l’a envoyée faire des examens. A l’hôpital, ils l’ont gardée.
Deux jours après, on a demandé des nouvelles. La maman nous a répondu que le foie et les reins étaient touchés aussi. Et que c’était fini, question de jours, ou d’heures.

A cette époque-là, j’étais vaguement dans une crise de pseudo poésie et ça m’avait inspiré ça, après mon retour d’un crématorium archi-bondé, où il n’y en avait pas un qui avait les yeux secs.

LA PETITE FILLE

Je ne t’ai pas vraiment connue petite fille
Sinon à travers l’inquiétude de ta mère
Ou plus tard, les yeux rougis de ton grand-père
Ce funeste matin que le deuil habille

Il y a peu tu étais si pleine de vie
Bien des fois je t’ai croisée sur le trottoir
Bien des fois je t’ai doublée dans le couloir
Mais je ne t’ai ni regardée ni souri

Et pourtant tu étais bien là. Cette enfant
Courant, riant, jouant, pleurant comme ses pairs
Emouvante dans ses joies comme dans ses colères
Avec ce cœur si naïf, si insouciant

Mais soudain il t’a dévoré les entrailles
Comme les infects vers le font de la pomme
Tombée sur le sol dans l’humus de l’automne
Il t’a tuée sans pitié, faiblesse ni détail,

A anéanti tes rires, tes larmes, tes jeux
En te condamnant à l’éternelle absence
Et tes proches à la plus indigne des souffrances
Peut-on encore leur demander d’être pieux ?

Faut-il enfin nier notre Dieu juste et bon ?
Cinq printemps pour vivre et cinq jours pour mourir
C’est peu, et c’est tout ce qu’il a pu t’offrir
Comment justifier ceci ? Par quel sermon ?


Deux, c’est mieux qu’une

Noël au scanner, Pâques au cimetière

(Pierre Desproges)


Les parents aussi, bien entendu, meurent. Statistiques obligent, ils meurent même plus souvent que les enfants. D’abord parce qu’ils sont plus âgés, et ensuite parce qu’ils sont presque deux fois plus nombreux.

L’an dernier, la maman d’une élève est décédée. Cancer des os soigné, puis récidive, puis généralisation. Une rengaine qu’on entend beaucoup trop souvent.
Moi qui d’habitude ne manque pas d’inspiration, je me souviens avoir eu une grosse angoisse de la page blanche pour rédiger nos condoléances pour le papa, au nom de tous les enseignants, et pour lui expliquer qu’on allait faire de notre mieux pour accompagner la petite dans son deuil, à notre modeste niveau.

Les premiers jours, l’instit craquait plus qu’elle. J’ai même été obligé de la « gronder », en lui demandant de se reprendre et en lui disant que ce n’était surtout pas d’une prof qui pleure dont elle avait besoin.
D’un naturel très introverti, l’enfant n’en parlait jamais et semblait s’en foutre. Pourtant, elle tenait absolument à s’habiller avec les fringues de sa mère, quitte à nager dedans, quitte à pas trop être dans la tendance Lolita du moment, c’est le moins qu’on puisse dire. On a respecté bien sûr, mais on a trouvé ça glauque et on a essayé de travailler là-dessus avec elle. Peine perdue.

Et puis les vacances d’été sont venues, sont passées. Elle devait de toute façon changer d’établissement. Mais elle n’y est jamais allée.
Cet été, on lui a diagnostiqué un cancer des os, déjà très avancé. Elle est en fauteuil roulant et il y a peu d’espoir. Ironie grinçante du sort, antécédents génétiques ou preuve d’investissement psychique de la maladie, je laisse ces querelles aux experts. Le résultat sera le même, dans tous les cas.
A ce qu’il paraît, le papa a arrêté de travailler et envisage très sérieusement de se foutre en l’air. Etonnant, non ?
Et moi, je sais que cette préoccupation va vous sembler bien dérisoire, mais je commence à me demander ce que je vais bien pouvoir lui écrire, cette fois-ci.

Copyrat draleuq 2008


PS : et comme parfois la vie fait quand même bien les choses, depuis j'ai su que la gamine était sauvée. Et comme la vie fait parfois moins bien les choses, depuis une parent d'élève a appris la mort de son mari au téléphone, en pleine réunion d'information, à un mètre de moi.

draleuq, 13h23 :: :: :: [5 vilénies]

23 Juillet 2010 ::

« Charles-Henri Sanson, la Terreur à travers les yeux du bourreau - 9 »

:: Histoire contemporaine, 1794

Ce billet fait partie d’un sujet qui en comporte neuf :
1ère partie2ème partie3ème partie4ème partie5ème partie
6ème partie7ème partie8ème partie – 9ème partie




24/06/1794 : le soldat Notter et son chien

Ce jour-là, on en exécute encore plusieurs pleines charrettes. Parmi les condamnés, un déserteur du nom de Victor Notter, dont le chien, auquel il est très attaché, l’a bien involontairement trahi en le faisant reconnaître, et a ainsi provoqué son arrestation.
Le chien avait suivi son maître jusqu’à la prison. Ne pouvant y entrer, il s’était installé à l’entrée, vivant de la charité des passants.
Le jour de l’exécution, il reconnaît son maître dans la charrette et se met à gambader et à japper autour du convoi.
Arrivé à la Place du Trône Renversé[1], le chien saute gaiement sur son maître lorsqu’il descend de sa charrette. Notter le caresse autant qu’il peut et demande à plusieurs personnes de l’adopter, en vain.
Vient l’heure de monter sur l’échafaud. Malgré les menaces et les coups de pied, le chien réussit à suivre son maître sur la plateforme. L’un des aides parvient à le jeter en bas, mais il recommence de plus belle à monter les marches.
Entre temps, Notter a été guillotiné, et on pousse déjà son corps dans le panier. Le chien se met à hurler à la mort. Un gendarme le perce d’un coup de couteau de pointe.
Sanson s’étonne que la foule, ordinairement si impassible, voire enthousiaste devant la mort d’êtres humains, s’indigne du sort que l’on fait à un chien ! Le gendarme se fait invectiver, des pierres commencent à pleuvoir sur la guillotine… Finalement, un ouvrier ramasse le chien et l’emporte dans son tablier.

26/06/1794 : Osselin, un cadavre !

Député de Paris à la Convention puis membre du Comité de Sûreté Générale, Charles-Nicolas Osselin cacha, fin 1793, une femme émigrée, Madame Charry. Il commit ensuite l’erreur de mettre dans la confidence quelqu’un qu’il croyait être son ami et qui fit bientôt chanter la clandestine. Révoltée, cette dernière refusa de céder, elle fut arrêtée avec son protecteur et rapidement guillotinée. Osselin, lui, fut « seulement » condamné à dix ans de prison, car la Loi condamnant à mort ceux qui cachent des émigrés n’était pas encore passée. Emprisonné à Bicêtre, ses sympathies pour Danton firent de lui une cible idéale pour une « conspiration des prisons », dont il fut même propulsé au rang de « meneur » par l’instigateur de ce faux-complot, Voulland, un de ses anciens collègues du Comité de Sûreté Générale. Osselin en savait probablement beaucoup trop sur la corruption de Voulland, Amar ou Vadier, et ces trois-là avaient sans doute tout intérêt à le voir disparaître.
Mais Osselin entendait se soustraire à la guillotine. C’est ainsi qu’il réussit à récupérer un vieux clou dans une solive de son cachot et se l’enfonça par trois fois dans le ventre.
Lorsqu’on vint le chercher pour le mener au Tribunal Révolutionnaire, l’officier de santé dit que c’était inutile, que les trois blessures qu’il avait au ventre le condamnaient à coup sûr. Mais les suppôts du Tribunal Révolutionnaire ne voulaient pas renoncer à l’un des seuls noms un peu connus de leur « conspiration de Bicêtre », et ils ne tinrent pas compte des avis du médecin. Le président du tribunal, Dumas, dut se contenter de râles comme seules réponses à ses questions.


Quand on l’amène dans la salle où le bourreau l’attend, Osselin s’évanouit. On lui fait respirer du vinaigre. Quand ses yeux s’ouvrent sur les aides qui l’entourent, il dit faiblement : « Quoi, cette mort, elle ne viendra donc pas ? »
Quand les aides veulent lui lier les mains, il essaie en vain de les dégager pour arracher ses pansements. L’officier de santé lui administre des soins tant bien que mal : « Soyez tranquille, dit-il, il y a loin d’ici à la guillotine, et à moins d’un miracle, vous n’aurez pas de désagréments avec elle ! »
Lorsque la charrette, où on avait placé Osselin sur un matelas, arrive au lieu de l’exécution, Sanson constate qu’il a l’œil vitreux, les lèvres livides, la bouche béante. Il demande à son aide de jeter sur le cadavre une couverture et de le laisser dans la charrette.
- Non, non, dit l’officier de santé, il vit encore ! Il faut exécuter le jugement !
Et comme Sanson ne veut pas, il ajoute :
- Imbécile, s’il est vraiment mort, peu importe qu’il arrive dans l’autre monde avec sa tête sous le bras ; tandis que si nous la lui laissions et que par hasard il ressuscitât, cela nous incommoderait à coup sûr toi et moi, aussi dans le doute ne t’abstiens pas !
Et c’est ainsi que Sanson décapite un cadavre.

25/07/1794 : André Chénier

A partir de là, Charles-Henri Sanson, dont la maladie de nerfs s’empire probablement, cesse de tenir son journal. Nous nous baserons donc, pour finir cette saga, sur ce qu’a écrit son petit-fils Henri-Clément à partir de ce que lui ont raconté son grand-père et son père. Forcément, cela devient un peu plus sujet à caution, mais ça n’en est pas dénué de valeur pour autant.

C’est le tour de la Prison de St Lazare d’être « déblayée »[2] ce jour-là. Parmi les dizaines de condamnés, il y a le poète André Chénier, dont les vers commençaient sérieusement à déranger les terroristes du Comité. En sortant du tribunal révolutionnaire[3], il se frappe le front en s’écriant : « Et pourtant, j’avais quelque chose, là ! »

Exécutée avec lui, la vieille abbesse de Montmartre, Madame de Montmorency-Laval. Comme elle ne répond pas aux questions de Coffinhal, vice-président du tribunal révolutionnaire, un de ses co-accusés lui fait observer que la pauvre vieille est sourde comme un pot.
- C’est bon, c’est bon, nous mettrons sur la sentence qu’elle a conspiré sourdement[4], murmure Fouquier-Tinville, toujours aussi facétieux.


André Chénier (portrait fait en prison par Joseph-Benoît Suvée)


28/07/1794 : Les Robespierristes

Depuis juin 1794, Robespierre ne paraît plus au Comité de Salut Public où il est mis en minorité avec Couthon face à Barère, Carnot, Billaud-Varenne, Collot d’Herbois. De même, la majorité des membres du Comité de Sûreté Générale (Amar, Vadier, Voulland, Jagot), inventeurs des conspirations des prisons, sont contre lui. Enfin, d’anciens chargés de mission en province coupables de grands excès, tels que Fouché, Tallien, Fréron, Carrier, Barras, ont été accablés de reproches par « l’Incorruptible » et ont toutes les raisons de le haïr.
26/07 dans la journée : à la Convention, Robespierre fait un discours qui met en cause ses ennemis sans les nommer, réclamant à mots à peine couverts leur mise en accusation. Les intéressés demandent que Robespierre fournisse des noms, il s’y refuse. Les autres obtiennent par décret que le discours ne soit pas diffusé dans les comités.
26/07 au soir : au Club des Jacobins, Robespierre relit son discours et est acclamé. Il demande alors l’insurrection contre la Convention. Tous ses ennemis sont violemment conspués et physiquement expulsés du Club : Tallien, Fréron, Billaud-Varenne, Collot d’Herbois et une trentaine d’autres, dont beaucoup d’anciens dantonistes, aux cris de « à la guillotine ! » Dumas, président du tribunal révolutionnaire, éternel soutien de Robespierre, les apostrophe en leur disant qu’il les attend le lendemain dans son tribunal !
Nuit du 26/07 au 27/07 : craignant à juste titre pour leur vie, les ennemis de Robespierre conspirent sa chute. Ils prennent contact avec les membres les plus influents de la Plaine, et leur promettent la fin de la Terreur en échange de leur soutien à la Convention. N’aimant pas plus les montagnards de Robespierre que les terroristes qui leur tendent la main, les députés de la Plaine hésitent longuement, mais la présence parmi les conjurés de Barère et de Carnot, eux-aussi issus de la Plaine, les décide à accepter.
27/07 dans la journée : à la Convention, le plan des conjurés se révèle très vite. Robespierre est violemment attaqué par Billaud-Varenne, puis Vadier, puis Fréron. A chaque fois qu’il veut prendre la parole pour répondre, des « A bas le tyran ! » couvrent sa voix. Incapable d’en placer une, « L’Incorruptible » finit par abandonner et se réfugier dans le mutisme. A la fin de la séance, il est mis en état d’arrestation avec Couthon, Saint-Just et Dumas. Indignés, Augustin Robespierre et Lebas demandent à être arrêtés avec eux. Il est 16 heures.
27/07, 17 heures : dès que l’arrestation de Robespierre est connue, les membres de la Commune de Paris, qui lui sont favorables, se rassemblent et votent une insurrection contre la Convention. Hanriot, commandant de la Garde Nationale, est chargé de libérer les prisonniers, mais se fait lui-même arrêter à 17 h 30 et jeter en prison avec ceux qu’il venait délivrer. Les ennemis de Robespierre réalisent le danger et décident de dispatcher leurs prisonniers dans toutes les prisons de Paris.
27/07, 19 heures. Le concierge du Luxembourg refuse d’écrouer Robespierre qui est libéré le premier. Pendant ce temps, Coffinhal, vice-président du tribunal révolutionnaire, a pris la tête d’une colonne pour libérer Hanriot. La Convention, rentrée en séance à 19 h 00, est juste à côté et presque sans défense, Collot d’Herbois ne s’y trompe pas d’ailleurs en disant : « Messieurs, voici le moment de mourir à nos postes ! »…Mais les autres ratent le coche et s’en retournent à la Commune !
A la Convention, on profite de cette aubaine pour faire quérir des troupes dans les quartiers qui lui sont favorables, et on nomme Barras au commandement miltaire. On décrète aussi les Robespierristes hors-la-loi, ce qui veut dire qu’ils seraient exécutés sans jugement, et donc sans pouvoir se défendre.
A l’Hôtel de Ville, que viennent rejoindre les prisonniers libérés un à un, tout au long de la soirée, on atermoie. Même Robespierre hésite, il préférerait sans doute gagner légalement. Saint-Just, pourtant expérimenté en la matière, refuse de prendre la tête de la force armée. Le jugement d’Hanriot, disent certaines sources, serait obscurci par son état d’ébriété. Ces hésitations seront fatales, car certaines troupes favorables à Robespierre apprennent sa mise hors-la-loi, prennent peur et changent de camp. On finit tant bien que mal par établir une liste d’ennemis à arrêter à la Convention, mais beaucoup trop tard.
28/07, 2 h 00 du matin. Une colonne envoyée par la Convention et commandée par Léonard Bourdon fait irruption dans l’Hôtel de Ville : la messe est dite. Lebas se suicide d’un coup de pistolet. Augustin Robespierre se jette par la fenêtre et se casse une jambe. Maximilien Robespierre essaie de se suicider et se rate (ou le gendarme Merda lui tire un coup de pistolet au visage, selon une thèse concurrente). Couthon, déjà paralytique, tombe dans l’escalier et se blesse à la tête. Hanriot saute par la fenêtre[5], se blesse sur du verre brisé, se traîne jusqu’à un égout où il est découvert par la troupe quelque temps plus tard. Au moment de son arrestation, un coup de baïonnette lui arrache un œil. Saint-Just, Dumas, le maire Fleuriot-Lescot[6], se laissent eux arrêter sans résister.



Hanriot - Couthon - le fauteuil roulant de Couthon (Musée Carnavalet)


Le matin du 28 juillet, Sanson est informé qu’il doit à nouveau déplacer les bois de justice de la Place du Trône Renversé à la Place de la Révolution. La foule, immense, accompagne le convoi tout du long. Arrivé à bon port, on doit faire donner la troupe pour dégager la place nécessaire au montage de l’échafaud.
Le bourreau se rend à la Conciergerie. Robespierre, ironie du sort, a été écroué dans un cachot où Danton avait été détenu. Malgré sa blessure, pas une plainte ne sort de sa bouche. Le peu de paroles qu’il sort sont inintelligibles car il a la mâchoire fracassée. Il demande de quoi écrire, on lui refuse.
On fait transporter les condamnés au tribunal révolutionnaire pour que leur identité soit reconnue, puis on les renvoie illico à la Conciergerie.
A deux heures de l’après-midi, Sanson fait son entrée dans le cachot de « l’Incorruptible ». Voyant qu’il veut lui couper les cheveux, il se retourne en offrant sa nuque, mais le bourreau lui dit que dans cette position, il sera impossible de ne pas toucher au pansement. Des aides le portent alors jusqu’à une chaise. Charles-Henri maintient le pansement en place pendant que son frère coupe les cheveux. Quand c’est fini, Robespierre retourne à son lit non sans avoir fait un signe de tête signifiant probablement « merci ».
Saint-Just fait les cent pas dans sa cellule quand les bourreaux entrent. Il s’assied sans rien dire et se laisse faire, puis tend ses mains pour les liens.
- Pas encore ! dit le bourreau
- Tant pis ! répond Saint-Just.

Les 21 condamnés[7] prennent place dans les charrettes à la sortie de la Conciergerie.
Ironie du sort, le triste cortège n'est pas sans en rappeler un autre : le cadavre de Lebas suit dans la dernière charrette, comme suivait le cadavre de Valazé dans la dernière charrette des Girondins.
Robespierre est assis sur de la paille, les yeux fermés, impavide. Les imprécations de la foule, excitées par les gendarmes de l’escorte, atteignent des records. Couthon paraît abasourdi par cette hostilité. Fidèle à lui-même, Dumas s’écrie :
- Je n’ai qu’un regret, celui de ne point avoir fait guillotiner tous les scélérats qui nous injurient !
Saint-Just affronte la colère du peuple debout, impassible. Lorsqu’une femme s’avance pour reprocher à Robespierre la mort de sa fille, le jeune fanatique murmure simplement :
- Sa fille ! Peut-être l’eût-elle vendue pour 20 livres !
On arrête le cortège devant la fameuse maison Duplay[8] qui avait abrité Robespierre ces dernières années. Des rondes dansantes se forment, avec la complicité des gendarmes. On barbouille les murs de la maison avec un seau de sang de cochon. Une bourgeoise s’accroche à la charrette et hurle : « Va aux enfers, scélérat, avec les malédictions de toutes les épouses et de toutes les mères ! » Elle s’accroche tellement qu’on doit la déloger par la force.

Avant de monter à l’échafaud, Saint-Just embrasse Couthon, puis, passant devant Robespierre, il dit simplement : « Adieu ! » L’autre répond par un signe de tête et le regarde monter à la mort.
Robespierre monte le dixième, son regard est froid et calme. Comme il en a reçu l’ordre, un aide lui arrache ses pansements. La douleur est horrible, Robespierre ne peut retenir un hurlement. La mâchoire désarticulée pend, la bouche est affreusement béante et du sang abondant s’en écoule. On se dépêche alors d’en finir avec les souffrances de « l’Incorruptible. »
L’historien Louis Blanc reprochera au bourreau « l’inutile barbarie et la lâche cruauté » consistant à arracher le pansement. Le petit-fils de Sanson défendra alors son grand-père en précisant que la blessure du condamné était maintenue par une large compresse tenue par une serviette croisée sur la tête, et qu’une double bande de toile enveloppait son front et sa nuque, et qu’exécuter Robespierre ainsi aurait été l’exposer à des souffrances bien pires encore, et il pense évidemment à celles d’une décollation incomplète[9]
Après avoir étudié dans ses moindres détails le personnage de Charles-Henri Sanson, on ne peut que défendre la thèse de son petit-fils. On peut sans doute reprocher bien des choses à ce bourreau, mais sûrement pas la « barbarie inutile », ni la « lâche cruauté ».


Louis-Antoine de Saint-Just - Augustin Robespierre - Maximilien Robespierre, "l'Incorruptible"


En bonus, les « géniaux inventeurs »

Le parcours du bourreau fut jalonné de rencontres avec des exaltés, jamais en mal d’idées pour améliorer cette merveilleuse machine qu’était la guillotine.
Tout ceci en dit long sur le délire meurtrier qui affecta plus ou moins toutes les franges de la population durant cette triste période. Laissons une dernière fois la parole au vieil exécuteur pour nous narrer ces improbables rencontres :

28/02/1794 :
« Depuis que la guillotine est à l’ordre du jour, les inventeurs se torturent la cervelle pour la modifier. Plus de 20 projets ont été soumis au Comité, mais ils étaient tellement saugrenus qu’il n’en a fait expérimenter qu’un seul. Dans celui-là, une trappe s’ouvrirait à gauche de la bascule et le corps du supplicié glisserait […] sous la guillotine, ce qui éviterait l’encombrement sur la plateforme. Le citoyen Vouland[10] […] a voulu assister à l’essai. Les ressorts ont mal fonctionné et les sacs de sable qu’on avait placés sur la bascule sont restés deux fois engagés dans la trappe. Le citoyen Vouland m’a demandé mon avis. Je lui ai fait observer que cette modification était pleine de dangers ; que si la trappe venait à ne pas se refermer […], les exécuteurs ou les condamnés pourraient tomber avec les cadavres, ce qui serait un triste spectacle. Il m’a dit :
- Tu as raison : d’ailleurs on n’y gagnerait pas une tête à l’heure, c’est le moyen d’aller plus vite qu’il faudrait chercher. »

18/05/1794 :
« Il est venu ce matin un fou enragé de mécanique et de patriotisme pour me prier d’examiner le modèle d’une guillotine à trois couperets qu’il a fabriquée ; si je savais encore rire, ses propos m’eussent considérablement diverti […] Il ne voyait rien moins que le Panthéon pour récompenser sa découverte, qui, disait-il, consommant l’extermination des aristocrates, devait consolider à jamais la République. »

Selon une source, un certain Guillot (au nom prédestiné), proposa l’été 1794 le plan d’une guillotine à neuf couperets. Il fut lui-même guillotiné en septembre 1794 pour trafic de faux-assignats !

Finalement, la guillotine ne changea jamais et resta telle qu’elle était jusqu’à l’abolition de la peine de mort en 1981, à l'exception d'une légère modification en 1872 avec la suppression de l'échafaud.

_________________________________
1. Aujourd’hui Place de la Nation. On avait, à cette époque, déplacé la guillotine de la Place de la Révolution pour la mettre Place du Trône Renversé, car on avait remarqué que les riverains sur le trajet entre la Conciergerie et la Place de la Révolution commençaient à devenir franchement hostiles à ces marches funèbres. C’est déjà Place du Trône Renversé qu’avait eu lieu l’exécution des 54 chemises rouges, et c’est là aussi qu’aura lieu celle des 45 condamnés du 9 Thermidor (27 juillet 1794).

2. Le terme serait de Barère.

3. Et non pas sur l’échafaud, comme on le lit souvent.

4. Dans certaines sources, très minoritaires, on trouve qu’elle était sourde et aveugle, et que Fouquier-Tinville aurait dit « conspiré sourdement et aveuglément ». Pour être honnête, ça sent l’invention à plein nez, d’autant plus que « conspirer aveuglément », ça semble quand même très difficile à faire.

5. Ou se fait défenestrer par Coffinhal qui lui reprochait son incompétence, selon une thèse concurrente. Cet imbécile de Coffinhal réussit à se cacher quelques jours chez quelqu’un qui lui devait de l’argent (!) et qui s’empressa bien sûr de le dénoncer. Il fut guillotiné seul, quelques jours après ses amis Robespierristes.

6. Etre maire de Paris était décidément un métier bien risqué en ce temps-là. On a vu que le premier, Bailly, avait été honteusement lynché avant d’être guillotiné, que le second, Pétion, avait dû se suicider en Gironde pour échapper à ses poursuivants. Le troisième, Pache, pourtant un hébertiste notoire, en réchappa miraculeusement grâce à des amis bien placés. Fleuriot Lescot était le quatrième.

7. A noter que parmi eux se trouvaient, en tant que membre de la commune ayant soutenu Robespierre, l’infâme cordonnier Simon à qui on avait confié « l’éducation républicaine » du jeune dauphin Louis XVII après qu’on l’eût retiré à sa mère Marie-Antoinette.

8. Toute la famille Duplay sera jetée en prison pour son amitié avec « l’Incorruptible ».

9. Ce type d’incident avait déjà eu lieu et devait ensuite se reproduire bien des fois. Cela alimenta d’ailleurs les réquisitoires de Victor Hugo contre la peine de mort.

10. Même si Sanson oublie un l, il s’agit très probablement du même Voulland qui était à l’origine de la pseudo-conspiration de Bicêtre.

draleuq, 14h18 :: :: :: [8 haineuses invectives]

21 Juillet 2010 ::

« Charles-Henri Sanson, la Terreur à travers les yeux du bourreau - 8 »

:: Histoire contemporaine, 1794

Ce billet fait partie d’un sujet qui en comporte neuf :
1ère partie2ème partie3ème partie4ème partie5ème partie
6ème partie7ème partie – 8ème partie – 9ème partie


08/05/1794 : Les fermiers généraux, dont Lavoisier

Sous l’Ancien Régime, les Fermiers Généraux étaient des hommes qui, schématiquement, bénéficiaient d’une délégation de service public qui leur permettait de percevoir les impôts et taxes au nom du Roi. Au nombre de 40 sur toute la France, leur poste était très convoité car il permettait de s’enrichir très rapidement et légalement. Nommés par le Ministre des Finances, les candidats à la Ferme Générale n’hésitaient pas parfois à verser à celui-ci un important pot-de-vin pour accéder à l’un de ces postes.
Pendant la Révolution, les Fermiers Généraux devinrent, évidemment, l’un des symboles des inégalités de l’Ancien Régime, et furent haïs comme étant des accapareurs. Ils firent d’immenses dons sur leur fortune personnelle à la Révolution, mais cela ne suffit pas à sauver leur tête, et 28 d’entre eux furent condamnés à mort[1], parmi lesquels Antoine-Laurent de Lavoisier, né en 1743, qui était de surcroît un grand chimiste que beaucoup considèrent aujourd’hui comme le père de la chimie moderne[2].


Sanson ne parle pas de l’exécution de Lavoisier dans son journal, en revanche il se fait l’écho de ce qui s’est passé au Tribunal Révolutionnaire. Lavoisier a demandé un sursis de quinze jours afin de terminer une découverte qui intéresse la nation. Le vice-président du Tribunal, Jean-Baptiste Coffinhal, lui a répondu : « le peuple n’a pas besoin de chimie et ne se soucie point de tes découvertes. »[3]

Sanson rapporte aussi cette phrase qu’un autre fermier général, Papillon d’Hauteroche, prononce dans la charrette en voyant la foule déchaînée : « Ce qui me chagrine, c’est d’avoir de si déplaisants héritiers ! »


Lavoisier


10/05/1794 : « Madame Elisabeth »

Elisabeth de France, née en 1764, était la sœur de Louis XVI, que celui-ci aimait tendrement. Elle avait suivi son frère dans tous les coups durs, de la Fuite de Varennes à la Prise des Tuileries, et avait été écrouée comme lui à la Prison du Temple. Après l’enlèvement du dauphin et la mort de Marie-Antoinette, c’est elle qui s’occupa, en prison, de l’éducation de sa nièce de 15 ans.
A son procès, on lui porta des accusations ridicules : d’avoir participé à une orgie, alors qu’elle était très pieuse, d’avoir « mâché » les balles des royalistes lors de la Prise des Tuileries pour les rendre plus mortelles. Elle nia très calmement.
Enfin, on lui reprocha d’avoir pansé les blessures des gardes nationaux qui avaient attaqué des fédérés Marseillais : « Je n’ai jamais su que mon frère ait ordonné d’assassiner qui que ce fût ; s’il m’est arrivé de donner des secours à quelques blessés, l’humanité seule a pu m’y conduire. Je n’avais point à m’occuper de la cause de leurs maux pour m’occuper de leur soulagement. Je ne m’en fais point un mérite, mais je ne m’imagine pas que l’on puisse m’en faire un crime. », répondit-elle.
Finalement, elle fut condamnée à mort en tant que « chef de complot » avec 22 autres personnes issues de la noblesse et du clergé. En tant que telle, elle devait être guillotinée en dernier.


Quand Sanson entre pour prendre possession de la condamnée, celle-ci, vêtue d’une robe noire, est assise, les cheveux dénoués, et lit un livre saint en se frappant la poitrine. Juste avant que le bourreau ne lui attache les mains, elle fait le signe de la croix.
En la reconnaissant, tous les autres condamnés s’inclinent, même les femmes qui pleuraient se taisent. Elle leur rend leur salut.

Elle s’entretient quelques minutes en privé avec l’un des frères Loménie, celui qui est évêque (l’autre, exécuté le même jour, est un ancien ministre). Puis elle courbe la tête, et Loménie semble murmurer une prière, sans doute une absolution.

Dans la première charrette avec les frères Loménie, elle est la seule assise, mais préfère plus tard se lever, les cahots semblant la fatiguer. L’évêque lui parle de Dieu qui va récompenser son martyre, alors elle lui répond en souriant :
- C’est assez vous occuper de mon salut. La charité ne doit point vous faire oublier le soin de votre âme, Monseigneur.

Pendant l’exécution des autres condamnés, elle reste debout au milieu des gendarmes, la tête tournée du côté de l’échafaud sans regarder ce qui s’y passe, et semble prier sans cesse. Deux condamnés crient « Vive le Roi ! », ce qui excite la fureur de la foule, mais elle ne semble pas y prêter attention.
Quand vient son tour, elle monte seule en frissonnant légèrement, la tête inclinée sur la poitrine. Comme un des aides enlève le fichu qu’elle a autour des épaules, elle s’écrie au nom de la pudeur : « Oh ! Monsieur ! Par pitié ! » mais elle est aussitôt bouclée sur la bascule et sa tête tombe.


Elisabeth de France, dite "Madame Elisabeth"
(par Elisabeth Vigée Lebrun)


22/05/1794 : Leflot, capitaine des douanes de Tréguier

A Tréguier[4], durant l’hiver 1793-1794, une « femme de brigands » erre avec son enfant, mourant tous deux de faim et froid. Un douanier les cache dans une grotte, leur procure des vêtements, de la paille, et se prive de la moitié de sa ration pour les nourrir. Bientôt ses camarades sont rendus soupçonneux par ses allées et venues. Au courant du secret, non seulement ils couvrent le courageux douanier, mais utilisent leur péniche pour aborder un navire anglais et mettre les deux malheureux en sûreté à bord.
Malheureusement, fiers de leur coup, ils en parlent un peu trop et cela remonte aux oreilles de la hiérarchie. Le capitaine des douanes Leflot veut avoir le nom des coupables, mais aucun de ses soixante hommes ne veut balancer. Leflot les menace alors de tous les faire exécuter, mais ils rient et lui répondent qu’il est bien trop brave et qu’il en serait incapable !
Et les douaniers ne se trompent pas : effectivement, Leflot ne les dénonce pas. Il espère que les rumeurs qui courent dans Tréguier finiront par s’étouffer, ou seront couvertes par les faits divers qui font tomber chaque jour les têtes par dizaines.
Hélas, Leflot paiera de la sienne d’avoir courageusement couvert ses hommes.

17/06/1794 : les 54 chemises rouges

Cette affaire fut probablement l’une des plus grosses fumisteries de la Terreur, et c’est un tel amalgame qu’elle est d’ailleurs bien difficile à démêler.
Quelques semaines avant cette date, il y eut deux tentatives d’assassinat sur des responsables révolutionnaires : un certain Ladmirat voulut tirer sur Collot d’Herbois, mais ses deux pistolets firent long feu et il fut arrêté par celui-là même qu’il voulait tuer, puis Cécile Renault, une jeune fille de vingt ans, fut soupçonnée d'avoir voulu poignarder Robespierre, mais le couteau qu’on trouva sur elle était tellement ridicule qu’elle avait plus de chances de se blesser avec que de tuer quiconque.
Ladmirat était en fait un voisin de Collot d’Herbois et on n’est sûr de rien concernant ses motivations, mais certains parlent de jalousie. Quant à Cécile Renault, fille d’un papetier parisien, elle semblait être un peu simple d’esprit.
Sur l’idée de Barère, Collot et Billaud-Varenne, on créa de toutes pièces un vaste complot « visant à détruire les pères du peuple ». On n’hésita pas à faire de Cécile Renault une « nouvelle Charlotte Corday », à ajouter aux deux apprentis assassins la famille Renault presque au grand complet, d’autres voisins de Collot et Ladmirat qui les connaissaient à peine, des criminels de droit commun (trafiquants de faux-assignats), d’autres prisonniers encore qui ne se connaissaient pas, tels que Françoise-Augustine d’Eprémesnil, veuve de Jean-Jacques Duval d’Eprémesnil, ou Madame de Ste Amaranthe[5]. Pour donner à tout ceci une apparence de complot royaliste, on décréta que l’initiateur en était le baron Jean-Pierre de Batz[6], contre-révolutionnaire toujours en fuite qui avait notamment essayé de faire évader Louis XVI.
Enfin, pour parfaire l’image de cette farce, on décida, pour donner à tout ce fatras de condamnés sans lien une apparence d’unité, de les affubler d’une chemise rouge[7], d’où le nom donné par la suite au « complot ».

Dans son journal, Sanson, qui prêtait encore jusque là quelque crédit à Robespierre malgré la mort des dantonistes, ne lui pardonne pas ce « complot ». Il le soupçonne de vouloir obtenir par ce « martyre » la même notoriété surfaite que feu Marat.
Or, tout comme pour les conspirations des prisons, il est aujourd’hui généralement établi que Robespierre ne fut pour rien dans cette histoire de complot. On estime plutôt que Barère, Collot et compagnie montèrent cette histoire pour accréditer une image de tyran qui commençait sérieusement à lui nuire : après tout, qui d’autre qu’un tyran pourrait faire exécuter une gamine responsable d'un pseudo-projet d'assassinat avec toute sa famille et 50 autres condamnés ? N’oublions pas que nous ne sommes plus qu’à un peu plus d’un mois de la chute de Robespierre, et que la rupture est déjà consommée entre les Robespierristes et la clique des Barère, Billaud-Varenne, Voulland, Collot d’Herbois, Vadier. Or, si l’on en croit la réaction de Sanson, la (sanglante) ruse de ces derniers réussit fort bien !



Le baron Jean Pierre de Batz - Collot d'Herbois (selon une gravure de 1849) - Maximilien Robespierre


De l’exécution-même, Sanson ne dit pas grand-chose car il ne la dirigera pas jusqu’au bout comme on va le voir. Il parle en particulier de l’une des condamnées, Nicole Bouchard, « qui n’avait que dix-huit ans et qui n’en paraissait pas quatorze ».
Lorsqu’elle présente ses mains à l’aide Larivière pour qu’il les lie, celui-ci se retourne vers le premier aide Desmorets[8] et lui dit :
- C’est pour rire, n’est-ce pas ?
Desmorets hausse les épaules. C’est Nicole Bouchard qui répond :
- Mais non, monsieur, c’est pour de bon !
Alors Larivière jette les cordes et s’écrie :
- Cherches-en un autre qui t’attache, ce n’est pas mon métier de sevrer les enfants !

Il y a un retard au départ. On n’a commandé que 6 chemises rouges, or un ordre arrive comme quoi les 54 condamnés du jour doivent en porter une (voilà qui en dit long !)
Quand enfin les condamnés sont tous affublés, le convoi part et le peuple se montre aussi apitoyé que les bourreaux.
- Pas d’enfants ! crient les spectateurs indignés en voyant Nicole Bouchard. Dans le Faubourg St Antoine, des femmes à leur fenêtre la montrent du doigt et pleurent en la voyant.

Ils arrivent à l’échafaud. Nicole Bouchard monte la neuvième.
- Citoyen, suis-je bien ainsi ? dit-elle de sa petite voix.
Sanson est alors, pour la première fois, au bord de s’évanouir.
L’aide Marin, voyant son état, lui dit :
- Tu es malade, rentre chez toi !
Sanson obéit et rentre chez lui sans se retourner. Il raconte que ses hallucinations ne le quitteront pas de la journée, et que quand une mendiante l’accoste, il croit voir Nicole Bouchard et manque de tomber à la renverse. Le soir à table, il soutiendra à sa femme voir des taches de sang sur la nappe.

A partir de là, Charles-Henri Sanson va s’éloigner progressivement de l’échafaud et, même si sa charge l’oblige en principe à rester exécuteur en chef jusqu’à sa mort, il devra y renoncer par la force des choses, en 1795, et c’est alors son fils Henri qui lui succèdera.

C’est ce mal, révélé lors de l’exécution des 54 chemises rouges et le contraignant ce jour-là à s’aliter, qui finira par l’emporter, précise son petit-fils Henri-Clément. Toutefois, il ne décèdera en vérité qu’en 1806, à l’âge respectable de 67 ans (il était né en 1739). On ne sait pas grand-chose d’autre de sa mort, ni de ce mal que l’on appellerait aujourd’hui une forme d’hématophobie[9], si ce n’est ces quelques phrases de son petit-fils :
« […] le vieil exécuteur pliait visiblement sous le faix de sentiments qui ressemblaient à des remords. Il était pâle, agité, inquiet ; il cherchait la solitude, et cependant la solitude fut bien souvent pour lui l’occasion d’inexplicables épouvantes. Tout bruit inattendu le faisait frissonner. […] Les sympathies, les haines, les regrets, les colères auxquels jadis il donnait si aisément libre cours, semblaient s’être effacés de son âme pour le laisser sous l’obsession de ce que je n’oserais pas appeler de l’horreur, mais qui était sûrement du dégoût et de ceux qui commandaient, et de lui qui obéissait. »

_________________________________
1. Le tribunal révolutionnaire en acquitta 4. On applaudit à la performance ! Mais il en restait 6 autres à juger.

2. Qui n’a pas entendu son prof de physique-chimie dire un jour cette bonne vieille phrase de Lavoisier : « rien ne se perd, rien ne se créé, tout se transforme. » ?

3. L’authenticité de cette phrase n’est pas établie, mais cadre bien avec ce « brillant » personnage qu’était Coffinhal. Ce n’est tout de même pas pour rien qu’il était un grand ami de Fouquier-Tinville.

4. Ce port du département des Côtes-du-Nord, aujourd’hui Côtes d’Armor, sur la Manche, était à l’époque une ville beaucoup plus importante que St Brieuc.

5. Le bruit courut que Robespierre jeune avait eu une relation trouble avec celle-ci, et que les Robespierristes voulaient ainsi se débarrasser d’elle pour la faire taire. Là-encore, il semble que c’était totalement faux, et qu’ « on » ne pardonna surtout pas à cette dame d’avoir reçu Danton dans son salon !

6. Né en 1754, Batz eut une histoire rocambolesque. Il survécut à la Révolution sans jamais émigrer, et de complot en insurrection, il fut arrêté plusieurs fois, mais à chaque fois il fut sauvé in extremis ou parvint à s’évader. Il fut probablement l’un des royalistes les plus recherchés et Sanson quand il en parle dit « le fameux Baron de Batz ». Comblé de titres et de récompenses sous la Restauration, il mourut dans son lit en 1822.

7. La chemise rouge, destinée à flétrir les assassins et les empoisonneurs, fut notamment portée par Charlotte Corday.

8. Les Desmorets sont eux-mêmes une immense dynastie de bourreaux de province. Michel Desmorets, un de leurs descendants, a dénombré dans un livre généalogique pas moins de 256 Desmorets ayant occupé un emploi de bourreau durant l'histoire de France !

9. Charles-Henri Sanson ne fut pas un cas unique. Quelques autres exemples d’hématophobie chez des bourreaux :
- Le plus célèbre, Louis Deibler, exécuteur en chef de la fin du XIXème siècle (Ravachol, Henry, Vaillant, Caserio notamment), devint hématophobe après avoir été aspergé de sang accidentellement par un de ses aides en 1897.
- L’exécuteur de Rodez mourut à la suite d’une crise d’hématophobie, le lendemain de l’exécution, le 07/05/1853, d’un certain Ratier, une sorte de Landru avant l’heure qui séduisait, dépouillait et assassinait des femmes.
- Lors de l’exécution de Damiens en 1757, qui avait tenté d’assassiner Louis XV, et qui fut le dernier à être écartelé en place publique, le bourreau Nicolas Charles Gabriel Sanson, bourreau de Reims, faillit s’évanouir et provoqua les huées de la foule, incapable qu’il était d’en finir avec les insoutenables souffrances du régicide. C’est son neveu, alors âgé de 17 ans, qui lui prêta efficacement main forte. Il s'appelait... Charles-Henri Sanson.

draleuq, 15h08 :: :: :: [1 cri de désespoir]

19 Juillet 2010 ::

« Charles-Henri Sanson, la Terreur à travers les yeux du bourreau - 7 »

:: Histoire contemporaine, 1794

Ce billet fait partie d’un sujet qui en comporte neuf :
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6ème partie – 7ème partie – 8ème partie9ème partie




13/04/1794 : Marie Hébert et Lucile Desmoulins

Juste après le procès des dantonistes, on imagina une nouvelle méthode pour vider les prisons qui débordaient d’opposants dont certains savaient des choses plutôt compromettantes pour certains membres de la clique de truands qui régnait sur le pays. On appela ce phénomène les « conspirations des prisons » : il s’agissait soit d’introduire un faux-prisonnier auprès des autres, de lui faire ensuite faire un faux-témoignage sur ce qu’il avait entendu, et de l’acquitter au moment du procès, ou alors d’obliger un vrai prisonnier à faire un faux-témoignage pour sauver sa peau (quitte à l’exécuter dans le complot suivant !) Tous ces faux-témoignages consistaient à dire que les prisonniers « conspiraient » en prison pour renverser la République, ce qui en soi est déjà risible : comment des taulards pourraient-ils faire un coup d’état ? Ce qui était encore plus ridicule, on le verra, c’est que les prisonniers inclus dans le même complot provenaient de toutes obédiences, et étaient même parfois de grands ennemis.
L’histoire recense ainsi 3 conspirations à la Prison du Luxembourg (315 victimes en tout), une à la Prison St Lazare (165 victimes), une à la Prison de Bicêtre (76 victimes), une à la Prison des Carmes (49 victimes).
D’autres « conspirations » étaient encore prévues après le 9 Thermidor (arrestation de Robespierre), et les listes de « coupables » étaient d’ailleurs déjà prêtes[1], mais les instigateurs de ces massacres (parmi lesquels il y aurait eu notamment Herman, président du Tribunal Révolutionnaire puis Ministre, et le député Barère) jugèrent que le moment était opportun pour cesser, de façon à faire coïncider l’exécution de Robespierre avec la fin des « complots », et à faire porter le chapeau à « l’Incorruptible ».[2] Les prisons furent donc ouvertes le lendemain de la mort de Robespierre.
Parmi toutes ces conspirations imaginaires, je vais me pencher tout particulièrement sur la première, dite "première conspiration du Luxembourg", puisque Lucile Desmoulins et Marie Hébert[3], les épouses respectives de Camille Desmoulins et de Jacques-René Hébert, les deux ennemis jurés désormais morts, y furent incluses avec 17 autres « conjurés », parmi lesquels on trouve pêle-mêle des hébertistes (comme Chaumette, l’évêque constitutionnel Gobel, le général Beysser, l’acteur Grammont et son fils) et des dantonistes (comme le général Dillon).[4]


L’évêque Gobel se montre plein de remords, et passe son temps à implorer le nom de Dieu qu’il avait renié. Il cherche à prêcher Chaumette, mais celui-ci lui oppose une fin de non recevoir :
- Meurs dans ta croyance, je mourrai dans la mienne. S’il y a un Dieu, il pourra me pardonner des fautes commises de bonne foi, il ne me pardonnerait pas un mensonge engendré par la peur.
Lucile Desmoulins s’est habillée comme pour un mariage et se montre souriante. Comme Marie Hébert pleure beaucoup, Lucile embrasse la femme du pire ennemi de feu son mari, et fait tout pour la consoler !
Elle s’adresse ensuite à Dillon et lui dit qu’elle regrette amèrement d’être la cause de sa mort[5].
- Vous n’en aurez été tout au plus que le prétexte, répond Dillon, et il se désespère sur le sort qu’on fait à une si jeune et charmante personne.
- Regardez-donc si mon visage est celui d’une femme qui a besoin d’être consolée ! Depuis huit jours, je ne forme plus qu’un vœu, celui d’aller retrouver Camille. Ce vœu, il va s’accomplir. Si je ne haïssais pas ceux qui m’ont condamnée, parce qu’ils ont assassiné le plus honnête et le meilleur des hommes, je les bénirais pour le service qu’ils me rendent aujourd’hui !

Durant le trajet, Lucile Desmoulins plaisante avec tant de gaieté auprès de deux jeunes condamnés qui sont près d’elle qu’elle réussit à les faire sourire.
Pendant que la veuve Hébert pleure toujours, les Grammont père et fils se disputent. En particulier, le fils reproche au père d’avoir causé sa mort par ses conseils et ses exemples, et le traite de scélérat.
- Monsieur, l’interrompt Lucile Desmoulins, on prétend que vous avez insulté Antoinette dans la charrette. Je n’en suis pas étonnée. Mais vous auriez bien fait de conserver un peu de votre audace pour braver une autre Reine, la mort, à laquelle nous allons !
Grammont lui répond par des injures.
Au moment de mourir, le père voudra embrasser le fils, mais celui-ci le repoussera.


Lucile Desmoulins


22/04/1794 : Malesherbes, d’Eprémesnil, Le Chapelier

Chrétien Guillaume de Lamoignon de Malesherbes, né en 1721, commença sa carrière comme substitut du procureur au parlement de Paris. Botaniste passionné, il s’imposa comme un homme des lumières en utilisant son poste de responsable de la censure royale pour soutenir l’Encyclopédie. Membre de l’académie des sciences, puis de l’académie française, il proposa au Roi de le défendre lors de son procès : « Votre sacrifice est d’autant plus généreux que vous exposez votre vie et que vous ne sauverez pas la mienne. » lui répondit Louis XVI.
« J’ai été appelé deux fois au conseil de celui que vous allez juger, dans le temps où cette fonction était ambitionnée de tout le monde, je lui dois le même service lorsque bien des gens trouvent cette fonction dangereuse. » écrivit Malesherbes à la Convention.
Retiré sur ses terres après la condamnation du Roi, « on » se rappela de lui en décembre 1793. Il fut arrêté, et dans la prison de Port-Libre où il fut interné, il retrouva un ancien commis de son ministère qui s’écria : « Vous ici Monsieur ? »
- Oui mon ami, dans mes vieux jours je deviens mauvais sujet, et je me fais mettre en prison, lui répondit Malesherbes en riant.
Condamné, il fut guillotiné avec sa fille, son gendre et sa petite fille !

Né à Pondichéry en 1745, Jean-Jacques Duval d’Eprémesnil fit d’abord parler de lui en s’opposant à la réhabilitation du Comte de Lally-Tollendal (cuisant souvenir d’exécution ratée pour Sanson), en mémoire de son oncle qui en avait été l’accusateur, s’opposant ainsi à Voltaire et à Marie-Antoinette, favorable à cette réhabilitation. D’Eprémesnil obtint d’ailleurs gain de cause, puisque la mémoire de Lally ne fut jamais lavée. En poste au parlement de Paris, il s’opposa souvent à la Monarchie, et devint même pour un temps le héros-malgré-lui de la Révolution en demandant l’ouverture des Etats Généraux dès 1787, et en étant arrêté en mai 1788[6], et emprisonné quelques mois dans une île de Méditerranée. Mais il ne fit pas illusion longtemps, refusant par exemple, en tant que député de la noblesse, de se réunir aux députés du Tiers-Etat comme l’avaient fait Mirabeau ou Lafayette, et se consacra dès lors à la contre-révolution. Membre du Club des Feuillants[7], le 17 juillet 1792, des fédérés s’en prirent à lui, le rouèrent de coups, le blessèrent à coups de sabres et de piques, et voulurent le lyncher. Il ne dut la vie sauve qu’au Maire de Paris, Pétion[8], qui promit qu’il serait jugé. « Et moi aussi, Monsieur Pétion, j’ai été comme vous, l’idole du peuple ! », lui dit d’Eprémesnil. Libéré juste avant les massacres de septembre, il fut de nouveau arrêté en 1793, pour de bon cette fois.

Isaac Le Chapelier, breton d’origine, est né en 1754. Député du Tiers-Etat aux Etats Généraux, ses talents d’orateur le propulsèrent un temps président de l’assemblée nationale constituante. Egalement précurseur du Club des Jacobins dont il fut le premier président, il défendit la transformation des biens du clergé en biens nationaux. Rendu suspect par ses amitiés au Club des Feuillants[7], il eut la mauvaise idée de provoquer Robespierre

Sept autres condamnés furent exécutés avec eux.


Quand Sanson invite Malesherbes à s’asseoir, il est en train de remonter sa montre.
- Je suis à vous à l’instant, mon ami, dit-il simplement en remettant sa montre dans son gousset.
Quand ses cheveux sont coupés et ses mains liées, il demande au bourreau de lui remettre sa perruque :
- Non pas qu’un rhume aurait pour moi de grands inconvénients, mais le froid m’est très désagréable, et je vois bien que je vais mourir comme j’ai vécu : très douillet !

En descendant les marches pour sortir de la Conciergerie, il trébuche et ne doit qu’au soutien de ses bourreaux de ne pas tomber :
- Voilà ce qui s’appelle un mauvais présage. A ma place, un Romain serait rentré.

Dans la charrette, la fille et la petite-fille de Malesherbes lui assurent qu’elles sont contentes de mourir avec lui, et les paroles du vieillard sont bien touchantes.
Le Chapelier dit à d’Eprémesnil :
- Monsieur, nous allons avoir tout à l’heure un terrible problème à résoudre !
- Et quel problème, Monsieur ?
- Celui de savoir auquel de nous deux s’adresseront les huées du peuple.
Les deux hommes avaient été, en effet, des adversaires acharnés lorsqu’ils étaient à l’Assemblée Constituante.
- A tous les deux ! répond simplement d’Eprémesnil.


Malesherbes - d'Eprémesnil - Le Chapelier


28/04/1794 : Angrand d’Alleray

Ce jour sont exécutées 35 personnes, presque tous des magistrats et grands seigneurs issus de la haute-noblesse de l’Ancien Régime. Parmi eux, une fois n’est pas coutume, l’accusateur public Fouquier-Tinville a essayé d’en sauver un, Monsieur Angrand d’Alleray, par reconnaissance parce qu’il lui avait rendu des services autrefois en tant que lieutenant civil.
Pour le sauver, Fouquier l’a recommandé à Sellier, un des jurés les moins enragés du Tribunal.

Comme le Président Dumas interroge le vieillard, qui est accusé d’avoir fait passer des sommes d’argent à ses fils émigrés, le juré Sellier prend la parole et suggère que peut-être le bonhomme est un peu gâteux et ne connaît pas la loi qui interdit toute communication avec les émigrés.
Angrand d’Alleray fait alors un gigantesque pied-de-nez à Fouquier et répond ceci, admirable :
- Ce qui me reste d’existence ne vaut pas la peine d’être acheté par un mensonge. Je connaissais parfaitement la loi, mais les lois de la nature passent avant celles de la République !

05/05/1794 : Les ouvrières de mode

En même temps que 6 autres suppliciés, Françoise Loiselier, Marie-Madeleine Virolle et Félicité Enouf, ouvrières de mode, sont guillotinées pour avoir placardé des affiches sur les murs pour protester contre les exécutions croissantes pour des motifs de plus en plus iniques. Motif officiel : « convaincues d’avoir composé et colporté des écrits contre-révolutionnaires ».

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1. Parmi elles, des noms célèbres : le général Hoche, la Duchesse d’Orléans (femme de Philippe Egalité), ou encore Joséphine de Beauharnais, future femme de Napoléon !

2. La tactique fut efficace, car ce n’est que tardivement que les historiens réussirent à établir que Robespierre n’était probablement pour rien dans cette histoire.

3. A noter que la veuve Hébert était une ancienne religieuse du couvent de la Conception de la Rue St Honoré. « Conception » c’est le cas de le dire d’ailleurs, puisqu’elle se déclara enceinte après sa condamnation. La grossesse permettait aux femmes d’obtenir un sursis à leur exécution jusqu’à la mise au monde de leur enfant, et nombreuses sont celles qui échappèrent à leur sort de cette manière durant la Terreur. Malheureusement pour Marie Hébert, les officiers de santé qui l’examinèrent déclarèrent qu’il n’y avait pas lieu de surseoir à l’exécution.

4. A noter que Boyenval, le personnage particulièrement sordide qui dénonça tout ce beau monde, sévit plusieurs fois par la suite et acquit même la réputation de faire du zèle et de devancer les attentes de ses misérables commanditaires. Boyenval et Fouquier-Tinville furent tous deux guillotinés le même jour, 7 mai 1795.

5. Dillon était un grand ami du couple Desmoulins.

6. Son arrestation se fit en pleine séance, et comme ceux qui venaient l’arrêter demandaient que le président du parlement le désigne, tous les conseillers se levèrent ensemble et s’écrièrent : « Nous sommes tous d’Eprémesnil ! »

7. Pour mémoire, scission du club des jacobins, le club des feuillants était pour la monarchie constitutionnelle. Ses membres furent arrêtés après la Prise des Tuileries le 10 août 1792.

8. Successeur de Bailly, Pétion n’eut guère un destin plus enviable que son prédécesseur. Partisan des girondins, il fut décrété d’arrestation avec eux et partit se cacher en Aquitaine, où il se suicida en même temps que Buzot, l’amant de Manon Roland, pour échapper à l’arrestation.

draleuq, 11h26 :: :: :: [0 lettre de suicide]

17 Juillet 2010 ::

« Charles-Henri Sanson, la Terreur à travers les yeux du bourreau - 6 »

:: Histoire contemporaine, 1794

Ce billet fait partie d’un sujet qui en comporte neuf :
1ère partie2ème partie3ème partie4ème partie5ème partie
6ème partie – 7ème partie8ème partie9ème partie


24/03/1794 : Les Exagérés

Peu fortuné, Jacques-René Hébert, né en 1757, ne peut être ni député, ni membre du club des jacobins, et doit se contenter d’un poste à la Commune de Paris. Cela ne l’empêchera pas d’avoir un rôle prépondérant dans la Révolution, par l’entremise du club des cordeliers, et surtout de son journal « Le Père Duchesne[1] », qui tirera jusqu’à 600 000 exemplaires. Ecrit dans un langage volontiers ordurier, entrecoupé de jurons, son journal rend Hébert très influent auprès de la base populaire de la Révolution, les sans-culottes. Instigateur de la manifestation du champ-de-mars, et donc à l’origine de la fusillade du même nom, ainsi que des massacres de septembre (tout comme Marat), acharné à la perte du Roi, puis à celles des Girondins, de Manon Roland, de Bailly, on appelle très vite son mouvement « les exagérés »[2], partisans qu’ils sont de la guerre à outrance à l’extérieur, de la Terreur et de la déchristianisation à l’intérieur.
Déjà menacé en cette fin d’année 1793, Hébert est attaqué par Camille Desmoulins[3] dans son journal « Le Vieux Cordelier », et accusé de détournements de fonds, ce qui lui porte un sérieux préjudice auprès de sa base populaire. Les deux pamphlétaires vont s’acharner à se détruire par articles interposés pendant des semaines.
Le 4 mars 1793, les Hébertistes tentent d’organiser une insurrection, mais ne sont pas tous d’accord et celle-ci est mal préparée. Arrêtés le 13 mars avec leurs soutiens et bâilleurs de fonds étrangers pour appuyer la thèse d’un « complot avec l'étranger », ils sont condamnés à mort 10 jours plus tard à l’issue d’une parodie de procès.


Hébert et ses partisans sont conduits à la guillotine dès en sortant du Tribunal Révolutionnaire. « Chaque seconde de leur existence devient un outrage pour la majesté du peuple », a dit Fouquier-Tinville.

Le général Ronsin arrive fièrement. Anarcharsis Clootz encourage ses camarades à sa façon : « Ne démentez point vos principes ! Tout finira bien pour vous à la guillotine, vous ne trouverez rien par-delà ! Donnez au monde le spectacle d’une mort républicaine ! » Mais les autres ne l’écoutent pas, trop occupés qu’ils sont à se reprocher mutuellement leur mort. Vincent manque d’assurance. Quant à Hébert, il doit être soutenu par deux gardiens : livide, il pleure et sue à grosses gouttes. Ronsin, en colère devant cette lâcheté, se tourne vers Momoro, un peu abattu également, et lui dit : « Nous avions mis nos têtes pour enjeu, nous avons perdu la partie. Il faut payer en gens de cœur ».

Sur le chemin, la foule est grande, toutes les fenêtres sont garnies. Les fanas de la guillotine qui approuvaient autrefois les vues d’Hébert se montrent à présent les plus acharnés contre lui :
- Eh ! Père Duchesne ! Tu vas regarder à la lucarne, tu nous diras demain dans ta feuille ce qu’on y voit !
- Tu prenais douze sous pour saigner, père Duchesne. Charlot est plus généreux que toi, il te saignera gratis.
De tout cela, Hébert n’entend probablement rien : il est pâle comme un mort et a les yeux troubles. En arrivant, il faut l’asseoir sur le pavé car il ne tient pas debout. Or, il doit être exécuté en dernier.
Clootz, lui, doit monter le premier, mais il refuse : « je veux, en voyant tomber la tête de mes camarades, me fortifier dans l’incrédulité de l’autre vie, et les engager jusqu’à la dernière minute à faire comme moi ! De plus, passer en premier est un privilège auquel je suis libre de renoncer ».
L’huissier fait signe à Sanson de consentir à la demande, et les 18 exécutions commencent.
Vient le tour de Vincent, Momoro, puis Ronsin, ferme jusqu’au bout. Il ne reste plus que Clootz et Hébert : le bourreau dit aux aides d’amener Hébert, mais celui-ci balbutie : « pas encore ! »
En l’entendant, Clootz monte l’escalier de lui-même et crie plusieurs fois : « Vive la fraternité des peuples ! Vive la République du monde ! »
Après Clootz, on boucle enfin Hébert sur la bascule, il est comme évanoui. Sanson fait signe à son aide Larivière de déclencher le déclic. Mais celui-ci, peut-être flatté par la rage sanguinaire du peuple contre Hébert, n’obéit pas et fait durer le plaisir. Alors l’exécuteur en chef, toujours aussi consciencieux, se précipite pour abréger lui-même les souffrances du Père Duchesne.


Jacques-René Hébert - le général Charles-Philippe Ronsin


Tous les Exagérés sont loin d’avoir été liquidés par cette purge. D’autres y ont échappé, soit parce qu’ils étaient déjà en prison ou ont lâché Hébert à la dernière minute pour sauver leur tête (Chaumette, Carrier[4]), soit parce qu’ils attendent leur heure, ou ne sont pas du même monde qu’Hébert, ou sont tout simplement des Exagérés sans être des Hébertistes : Collot d’Herbois, Billaud-Varenne, Vadier, Barère… Et ce sont ceux-là qui seront à l’origine de la chute de Robespierre.

05/04/1794 : Les Indulgents

Georges-Jacques Danton est né en 1759. Avocat, il entra au club des cordeliers où il fit immédiatement preuve d’un grand talent d’orateur, puis au club des jacobins, d’où il entra au gouvernement en 1792. Défenseur zélé de la République, il fut ovationné à l’Assemblée pour son fameux discours sur la Patrie en danger : « il nous faut de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace, et la France sera sauvée ! », dit-il quelques jours avant la bataille de Valmy, et il n’hésita pas à se rendre plusieurs fois en Belgique pour se rendre compte de l’état des armées du Nord.
Très affecté par la chute des Girondins, il prit de fait la tête des « indulgents » ou « dantonistes » qui demandaient la paix avec l’extérieur, et la fin de la Terreur à l’intérieur. Ils obtinrent la condamnation des « exagérés », avec l’approbation de Robespierre, puis s’attaquèrent à la clique des Barère, Collot, Billaud-Varenne et Vadier, par la voix de Camille Desmoulins dans « Le Vieux Cordelier ». En réponse, ces derniers accusèrent les indulgents de « modérantisme » et réclamèrent leur mise en accusation avec le soutien des Robespierristes, pourtant anciens amis de Danton et Desmoulins. A l’issue d’un procès truqué où l’on mêla, comme pour Hébert, des financiers étrangers pour faire croire à un complot, les indulgents furent condamnés à mort.


Dès que Sanson est mis au courant de l’exécution, le ton est donné : on le prévient que les condamnés sont susceptibles de se rebeller, qu’ils vont donc sortir un par un et qu’il faut les garrotter au fur et à mesure. On cherche à limiter le nombre de charrettes pour les rendre plus aisées à défendre, car on craint une action du peuple pour essayer de les libérer. On lui dit aussi qu’il faudra faire fissa, et que « la République ne sera sauvée que quand la tête des scélérats sera tombée sous le fer vengeur. »

Les condamnés se voient lire leur jugement dans une salle, puis passent directement dans une autre où les aides les attendent pour la toilette.
Le premier à arriver, Chabot, est livide et marche avec peine. Il a essayé de s’empoisonner à la prison du Luxembourg. Il s’inquiète d’être seul, mais voit bientôt arriver Bazire. Chabot se précipite vers lui en pleurant : « mon pauvre Bazire, c’est à cause de moi que tu vas mourir ! »
Magnanime, Bazire le serre contre son cœur sans rien lui reprocher.

Viennent ensuite 3 autres, puis Philippeaux, Lacroix, Westermann[5] et Fabre d’Eglantine, soutenu par deux gardiens, qui semble malade :
- J’ai encore une communication à faire ! dit-il.
- C’est impossible, lui répond l’huissier.
- Ce ne serait pas assez de m’assassiner, il faut dépouiller celui qu’on égorge ! Je proteste publiquement contre l’infamie des scélérats du Comité qui m’ont volé une comédie[6] étrangère à mon procès, et qui la retiennent !

Mais tout à coup, on entend la voix de Danton tonner dans la salle voisine où on lui lit son jugement :
- Je m’en fous de ton jugement, je ne veux pas l’écouter ! Nous autres révolutionnaires, c’est la postérité qui nous juge. Elle mettra mon nom au Panthéon, et les vôtres aux gémonies !
Il continue à se répandre en invectives, et les gendarmes doivent le pousser dans la salle voisine. Quand il voit Sanson, il se dirige vers lui, se laisse tomber sur une chaise, arrache son col de chemise et dit : « Fais ta besogne, citoyen Sanson ! »
Et quand il est apprêté, il dit encore : « Nous avons accompli notre tâche, allons dormir ! »

Arrivent enfin Hérault de Séchelles et Camille Desmoulins. Le premier est calme, le second pleure en parlant de sa femme et de son fils. Mais quand il voit les aides, il entre dans une rage folle et se précipite sur eux. La lutte ne cesse que parce que les gendarmes s’en mêlent. Les vêtements de Desmoulins sont en lambeaux. Il doit être assis et maintenu sur la chaise par quatre personnes et se débat comme un diable, parvenant à renverser plusieurs aides.
Fabre et Danton essaient de le calmer : « Laisse ces hommes, lui dit Danton. Pourquoi t’en prendre à ces valets de guillotine ? Ils font leur métier, fais ton devoir. »

Pour le trajet, l’escorte est aussi forte que pour Marie-Antoinette ou les Girondins.
Chabot, de plus en plus malade, vomit à plusieurs reprises, pendant que Bazire tente de le réconforter.
- Les foutues bêtes, ils vont crier « Vive la République ! » en nous voyant passer ! Dans deux heures, la république, elle n’aura plus de tête, rage Danton.
Comme Fabre se désole encore de la perte de sa comédie, Danton lui dit en riant :
- Des vers, avant huit jours tu en feras plus que tu ne voudras, et nous aussi !

Sur les quais de Seine, Camille Desmoulins hurle :
- Ne me reconnaissez-vous pas ? C’est à ma voix que la Bastille est tombée[7] ! Je suis le premier Apôtre de la Liberté ! Sa statue va être arrosée par le sang d’un de ses enfants ! A moi peuple du 14 juillet, ne me laissez pas assassiner !
Mais seules des huées lui répondent.
- Tais-toi, tais-toi, n’espères-tu pas attendrir cette vile canaille ? lui intime Danton.

En passant devant un café, les condamnés voient un homme assis sur un rebord de fenêtre qui semble les dessiner. Ils reconnaissent David.[8]
- Te voilà, valet ! Va donc apprendre à ton maître[9] comment meurent les soldats de la Liberté ! lui crie Danton.

Puis on passe devant la maison de Robespierre, tous volets clos, et là c’est le déchaînement :
- Vil Tartufe ! crie Fabre d’Eglantine
- Le lâche, il se cache comme il s’est caché au dix août[10] ! dit Lacroix.
- Monstre, auras-tu soif après t’être gorgé de mon sang ; pour te soûler, faudra-t-il celui de ma femme ![11] crie Desmoulins.
- Robespierre, c’est en vain que tu te caches ! Tu y viendras, et l’ombre de Danton rugira de joie dans son tombeau quand tu seras à cette place ![12] finit Danton.

Danton n’a qu’un moment de faiblesse, au moment où il aperçoit la guillotine. Sanson voit distinctement ses yeux se mouiller. Mais Danton, qui se rend compte que le bourreau l’observe, lui donne un coup de coude et lui dit :
- N’as-tu pas une femelle, des enfants ?
Et comme Sanson hoche la tête, il reprend :
- Moi aussi. Eh bien, pensant à eux, je redeviens un homme !
Il baisse la tête et murmure :
- Ma femme bien-aimée, je ne te reverrai plus. Mon enfant, je ne te verrai donc pas.[13]
Mais aussitôt, il se reprend : « Danton, point de faiblesse ! » se dit-il à lui-même.

Lorsque vient le tour de Desmoulins, il demande au bourreau s’il peut faire parvenir à ses beaux-parents une mèche de cheveux de sa femme qu’il tient dans sa main. Sanson accepte. Il meurt en répétant : « Lucile ! Lucile ! » et ne sait pas à ce moment que lui et sa femme deviendront les symboles romantiques de la Révolution.

Vient le tour de Fabre d’Eglantine : « Sachons mourir ! » tente-t-il difficilement de se convaincre.

Puis c’est Hérault de Séchelles, l’avant-dernier, et Danton le suit sans qu’on le lui commande. Les aides saisissent Hérault qui veut s’approcher de Danton pour l’embrasser, mais on l’en empêche.
- Les imbéciles ! vitupère Danton. Empêcherez-vous nos têtes de se baiser au fond du panier ?
Il regarde alors son ami mourir sans broncher, avec un « sang-froid qui n’appartient pas à notre espèce », écrira Sanson. Comme Danton s’avance déjà vers la guillotine, le bourreau le retient le temps de débarrasser le corps et d’essuyer le sang, et l’enjoint de regarder ailleurs.
L’autre lui répond en haussant les épaules :
- Un peu plus, un peu moins de sang à ta machine, qu’importe ? N’oublie surtout pas de montrer ma tête au peuple, il n’en voit pas tous les jours de pareille !


à gauche : Danton, par Constance Charpentier (Musée Carnavalet)
à droite : Desmoulins, par Jean-Sébastien Rouillard (Assemblée Nationale)


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1. Le nom du journal inspirera le nom de la « Chanson du Père Duchesne », très en vogue chez les anarchistes 100 ans plus tard, et qui sera chantée par Ravachol le jour de son exécution capitale.

2. On ne l’appellera « hébertistes » qu’après sa mort. On confond souvent les « exagérés » avec les « enragés » de Jacques Roux. Celui-ci, prêtre à l’origine, fut surnommé le « curé rouge » et fut l’un des premiers à prêter serment à la constitution civile du clergé. Décrété d’arrestation en septembre 1793, il se suicida dans sa prison de Bicêtre en février 1794 pour échapper à la guillotine. Hébert reprit pas mal de ses idées fin 93 et début 94.

3. Il avait déjà plus ou moins directement causé la perte de son ancien ami Brissot de cette manière, et se l’était amèrement reproché au moment de l’exécution des Girondins.

4. Le premier sera rattrapé par la guillotine le 13 avril 1794, le second le 16 décembre 1794

5. Récemment rappelé des armées de l’ouest, le « boucher de la Vendée » n’avait évidemment rien d’un indulgent, mais il était là car on lui prêtait une grande amitié avec Danton (qui le nia d’ailleurs énergiquement lors de son procès.) Westermann était peut-être le seul de toute la fournée qui méritait vraiment son sort.

6. Fabre d’Eglantine était également poète et dramaturge.

7. Son discours du 12 juillet 1789 au Palais Royal, suite au renvoi de Necker, fut en grande partie à l’origine de la Prise de la bastille.

8. Le peintre Jacques-Louis David (1748-1828). En voilà un qui a su s’adapter ! Portraitiste de la haute-société sous l’ancien régime, puis grand peintre de la révolution, puis peintre officiel de Napoléon Bonaparte, il n’y a guère que la Monarchie Restaurée qui n’a pas voulu de lui et l’a exilé en Belgique en 1816. Toiles les plus connues : Le Serment du Jeu de Paume (1791), Marat assassiné (1793), Fête de l’Etre Suprême (1794), Le Sacre de Napoléon (1808). Ce dernier est particulièrement célèbre parce que l’Empereur a exigé que soit rajoutée sur le tableau sa mère (qui n’était pas présente au sacre).

9. Il parlait évidemment de Robespierre.

10. 10 août 1792, Prise des Tuileries, aboutissant à l’emprisonnement de la famille royale et à la chute de la Monarchie.

11. Lucile Desmoulins était déjà écrouée à la Prison du Luxembourg au moment de l’exécution de son mari, et devait être guillotinée à son tour une semaine plus tard. A noter que Robespierre et Desmoulins étaient des amis de collège et que Robespierre était même le parrain du fils de Camille et Lucile Desmoulins, né en 1792 !

12. Paroles prophétiques comme on le sait !

13. La deuxième femme de Danton était enceinte quand son mari fut exécuté. Sa première femme était morte en accouchant de leur quatrième enfant, le 10/02/1793, au moment où il était en mission en Belgique. Durement choqué, il fit déterrer le corps de sa femme de nuit, en revenant à Paris, pour faire faire un moule de son visage ! (Le buste mortuaire de Mme Danton se trouve au Musée de Troyes)

draleuq, 11h32 :: :: :: [5 obscénités]

15 Juillet 2010 ::

« Charles-Henri Sanson, la Terreur à travers les yeux du bourreau - 5 »

:: Histoire contemporaine, 1793

Ce billet fait partie d’un sujet qui en comporte neuf :
1ère partie2ème partie3ème partie4ème partie – 5ème partie
6ème partie7ème partie8ème partie9ème partie



29/11/1793 : Barnave

Né en 1761, issu de la haute-bourgeoisie grenobloise, Antoine Barnave fut dès le début de la Révolution, en tant que député du Tiers-Etat, un orateur influent. Partisan d’une monarchie constitutionnelle, il fut l’un des leaders du club des feuillants[1], et fut choisi par la Convention pour ramener la famille royale à Paris lors de la Fuite de Varennes. Il exhorta le Roi, par l’entremise de Marie-Antoinette avec laquelle il eut une correspondance très suivie, à reconnaître sincèrement la Constitution et à condamner les menées des émigrés, mais en vain. A la Prise des Tuileries, il fut compromis par la découverte d’une partie de sa correspondance dans le secrétaire du cabinet du Roi. Arrêté dès le 17 août 1792, il fut jugé les 27 et 28 novembre 1793. Avocat à l’origine, c’est lui qui prononça sa propre plaidoirie, qui fut brillante, mais ne le sauva pas bien entendu !


Au moment de la toilette, Barnave s’avance vers Sanson et lui dit en lui montrant ses mains : « Lie ces mains qui ont signé les premières la déclaration des droits ! »[2]

Emmené dans la même charrette que l’ex-ministre de la justice Duport du Tertre, qui doit être exécuté en même temps que lui, Barnave s’entretient avec lui. Ils disent que la ruine prochaine de la République entraînera la Liberté avec elle (ce qui n’est pas loin d’être totalement vrai !)
Les cris et les moqueries fusent autour de la charrette. Ainsi, un spectateur dit à Barnave :
- Si jeune, si éloquent, si courageux, en vérité, c’est dommage !
L’autre lui répond simplement :
- Vous l’avez dit !

Il sera guillotiné le dernier des 5 qui doivent y passer ce jour-là, juste après Duport du Tertre. Montant à l’échafaud, il s’arrête un moment pour regarder l’instrument du supplice et dit :
- Voilà ce qui va récompenser les services que j’ai rendus à la liberté ![3]


Antoine Barnave


30/11/1793 : Quatresous de Marolles père, mère et fils

Ce jour-là, avec 6 autres condamnés, sont exécutés Gédéon-Alexandre Quatresous de Marolles, noble, son fils Charles-Nicolas, 23 ans, officier de la garde nationale, et sa femme Louise-Madeleine.
Dès la toilette, la mère pousse des cris lamentables en voyant tomber les cheveux de son fils.
En entendant les supplications de la mère pour son fils, Sanson note que durant le trajet, les harpies habituelles n’osent même pas crier, et que certaines vont même jusqu’à la plaindre.
Le fils n’a de cesse de lui répéter qu’il est content de mourir avec elle, mais sa mère lui répond avec colère qu’il se taise, et qu’elle ne veut pas qu’il meure !
Elle est exécutée la première, et jusqu’à la guillotine elle se persuade que la grâce de son fils peut encore venir, elle en demande d’ailleurs la confirmation au bourreau, qui, apitoyé, répond affirmativement.

08/12/1793 : La comtesse du Barry

Née en 1743, Jeanne Bécu, devenue Comtesse du Barry par son mariage, devint en 1764, à la mort de Madame de Pompadour, la dernière favorite du Roi Louis XV. Durant les dernières années du règne de Louis XV, sa cohabitation avec Marie-Antoinette, épouse du dauphin et futur Roi de France Louis XVI, fut très difficile : Marie-Antoinette ne pouvait pas la voir. Aussi, à la mort de Louis XV en 1774, Madame du Barry fut aussitôt évincée de la Cour. Encore jeune, elle se consacra alors au mécénat et devint une véritable femme des Lumières. Durant la Révolution, elle soutint la monarchie jusqu’au bout et ne chercha pas à s’enfuir, et c’est ce qui causa sa perte.


Quand elle arrive dans l’avant-greffe du tribunal où l’on prépare déjà ceux qui doivent être exécutés avec elle, Mme Dubarry doit se tenir aux murs car ses jambes la soutiennent à peine. Quand elle aperçoit Sanson, elle pousse un grand « Ah ! » en se cachant les yeux derrière son mouchoir, puis tombe à genoux en criant « Je ne veux pas, je ne veux pas ! »
Ainsi, le ton est donné à cette exécution qui va être pitoyable.
La comtesse se relève bientôt et dit : « Où sont les juges ? Je n’ai pas tout déclaré ! Je n’ai pas tout avoué ! »
On fait alors revenir deux responsables, Royer et Denizot, qui la somment de tout avouer sur le champ.
Elle déclare encore quelques objets précieux[4] cachés dans sa maison ou confiés à des particuliers[5], mais elle s’interrompt sans cesse pour se lamenter.
On veut lui faire signer le procès-verbal de ses déclarations, mais à chaque fois elle repousse le papier, assurant qu’elle a encore des choses à ajouter, fouillant désespérément dans sa mémoire pour gagner quelques secondes de plus.
Royer et Denizot obtiennent finalement une signature et lui disent : « il faut maintenant vous soumettre aux décrets de justice, et racheter par votre courage l’ignominie de votre vie passée. »
Espérant probablement encore une grâce, Dubarry est anéantie par cette dernière phrase.

Un aide veut lui couper les cheveux, mais elle le repousse violemment, alors ils doivent se mettre à trois pour l’attacher et la maîtriser. Elle finit par se laisser faire, pleurant toutes les larmes de son corps.

Sur le chemin vers l’échafaud, des cris accompagnent les condamnés, mais sont bientôt couverts par ceux de la comtesse, de sorte que les spectateurs finissent par se taire, consternés.
- Bons citoyens, délivrez-moi, je suis innocente ! Bons citoyens, je suis du peuple comme vous, ne me laissez pas mourir !
Les « lécheuses de guillotine », les mêmes qui auraient volontiers lynché Bailly un mois plus tôt, baissent la tête en silence. Même Jacot le saltimbanque fait un bide avec ses grimaces habituelles !
Dubarry s’abandonne aux cahots de la charrette et doit être soutenue par les aides pour ne pas tomber. Elle claque des dents, passe par toutes les couleurs, supplie le bourreau, qui avouera avoir été à deux doigts de pleurer !
Ce dernier lui conseille de prier, mais elle ne se souvient plus des prières et ne fait que répéter machinalement : « Mon Dieu ! Mon Dieu ! Mon Dieu ! »

L’ordre d’exécution stipulait, ce jour-là, que la comtesse devait être la dernière à mourir. C’était la personnalité la plus importante, et plusieurs autres condamnés étaient « ses complices ». Mais voyant la tournure que cela prend, l’huissier vient voir Sanson et lui dit de « faire pour le mieux ».
Comme elle a une défaillance en voyant la guillotine, le bourreau décide d’en profiter pour la monter en premier. Mais se sentant empoignée, elle se réveille et commence à se débattre en criant : « Pas tout de suite ! Encore un moment messieurs les bourreaux, je vous en prie ! » D’autres aides prêtent main forte, mais elle se débat de plus belle et commence à mordre ! Comme elle pèse son poids, il faut plus de trois minutes pour la monter là-haut.
Le peuple se tait, beaucoup même se sauvent.
La comtesse hurlera jusqu’à son dernier instant.

Le lendemain sera exécuté Jean-Baptiste Noël, député des Vosges, hors-la-loi. Il demandera au bourreau « si c’est vrai que la Dubarry a eu si grand peur », et, un peu plus loin, il lui demandera s’il a bien essuyé le couteau, « parce qu’il ne conviendrait pas que le sang d’un républicain soit souillé par celui d’une prostituée ».


La comtesse Dubarry, par Elisabeth Vigée Lebrun
(qui était son amie)


Considérations misanthropiques :
Le spectacle consterna tellement l’assistance que Sanson écrira : « Si tous les condamnés criaient et se débattaient comme Madame Dubarry, la guillotine ne durerait pas longtemps ! »
Il s’interrogera longuement sur cette chose qui lui paraît si étrange : quand un condamné reste ferme et déterminé, qu’il affronte la sentence avec courage, voire une certaine morgue, la foule ne le supporte pas, l’injurie, voire lui jette des pierres. Par contre, quand le condamné pleure et se lamente, la foule se montre pleine de pitié et de compassion.
Pour les historiens en revanche, et en particulier pour les historiens à la petite semaine (comme moi, quoi), c’est exactement l’inverse : ils n’ont de cesse de glorifier ceux qui sont allés à l’abattoir la tête haute, en plaisantant ou en affirmant leurs convictions jusque sous le couteau, tels des martyrs. Par contre, ils n’ont généralement pas de mots assez durs pour qualifier ceux qui ont flanché, comme la Dubarry, ou plus tard, Camille Desmoulins : à les lire, ce sont de pitoyables lâches, des couards, des dégonflés.
Je ne dis pas qu’il ne faut pas admirer la fermeté des Girondins, de Charlotte Corday, de Marie-Antoinette ou de Bailly. Je ne dis pas qu’il faut féliciter Dubarry d’avoir balancé d’autres personnes pour essayer de sauver sa peau. Mais par contre, j’aimerais bien que ceux qui fustigent sa couardise se demandent un instant comment ils réagiraient eux-mêmes s’ils étaient traînés dans une charrette pour avoir la tête tranchée !

31/12/1793 : Le général Biron

Armand Louis de Gontaut-Biron est né en 1747. Il épousa très tôt la carrière des armes et reçut son premier commandement en 1774. En 1778, il se porta volontaire pour la guerre d’indépendance américaine, et commanda l’expédition de conquête du Sénégal en 1779. De retour en Amérique en 1781, son rôle fut décisif face aux Anglais au siège de Yorktown. En 1789, il fut élu député de la noblesse aux Etats Généraux, mais rallia très vite la Révolution, combattant successivement à l’armée du Nord, à celle du Rhin, avant d’obtenir le commandement de l’armée d’Italie début 1793, d’où il fut rappelé en mai pour commander les armées de l’Ouest en Vendée, où il se distingua notamment par les victoires de Saumur et de Parthenay. Pourtant, sa modération envers les prisonniers le rendit suspect, et il fut notamment dénoncé par le général Westermann[6] qui lui reprochait de ne pas l’avoir secondé dans un combat. Il fut alors renvoyé à Paris et condamné à mort par le Tribunal Révolutionnaire pour avoir « conspiré contre l’unité et l’indivisibilité de la République. » Sa femme, Amélie de Boufflers, fut guillotinée le 27 juin 1794.


Quand Sanson arrive à la Conciergerie pour prendre le général, il mange des huîtres avec appétit.
- Ah ah ! Tu me permettras bien de manger ma dernière douzaine d’huîtres ! dit Biron en voyant le bourreau.
- Je suis à vos ordres ! répond Sanson.
- Non morbleu ! Malheureusement, c’est moi qui suis aux tiens ! continue-t-il en riant.
Le général finit ensuite son repas en plaisantant sur ses connaissances qui l’attendent dans l’autre monde et à qui il souhaitera la bonne année.

En sortant dans la cour de la Conciergerie, il salue ainsi d’autres prisonniers qu’il connaissait : « Messieurs, c’en est fait de moi, il faut partir pour le grand voyage ! »

Sur le chemin, il ne parle que de choses sans rapport avec lui-même, excepté une fois où il dit à Sanson : « Je devais m’y attendre, mais je n’ai pas de regrets, et ce serait à refaire que je ne me conduirais pas autrement ! »
A un moment, un soldat lui crie : « Adieu, mon général ! »
- Adieu, mon camarade ! répond Biron.


Armand-Louis de Gontaut-Biron, dit le Général Biron


Beaucoup d’autres généraux de la République furent envoyés à la guillotine avant et après Biron : inutile de trahir comme Dumouriez, il suffisait pour cela d’un peu d’incompétence, ou même d’une seule défaite malheureuse. Biron, en l’occurrence, ne pouvait se reprocher ni l’une, ni l’autre.
On ne peut en tous cas que constater la différence de mentalité avec la première guerre mondiale, où les généraux étaient devenus intouchables, et où c’étaient souvent les pauvres bidasses qui payaient de leur vie, devant un peloton d’exécution, l’incompétence de leurs chefs.

_________________________________
1. Après l’affaire de la Fuite de Varennes en juin 1791, le club des jacobins demanda la destitution du Roi. La partie aristocratique et modérée de ce club le quitta alors pour créer le club des feuillants, partisan d’une monarchie constitutionnelle. Parmi ses membres, on trouva Lafayette ou Bailly. En mars 1792, le gouvernement Girondin se débarrassa de ses ministres feuillants en raison de leur opposition à la guerre avec l’Autriche. Le 10 août 1792, après la Prise des Tuileries, 841 feuillants furent arrêtés pour trahison.

2. Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, 26 août 1789. Ce texte, le premier du genre au monde, est encore aujourd’hui la raison pour laquelle la France est surnommée « la patrie des droits de l’homme ».

3. Sans vouloir ternir la mémoire de ce personnage qui ne fit pas que démériter, il faut tout de même préciser qu’il était attaché à la liberté des hommes à la condition expresse que leur peau soit blanche. En effet, c’était un farouche partisan du colonialisme et de l’esclavage, et en cela des gens comme Brissot ou Robespierre s’étaient violemment opposés à lui.

4. La fortune confisquée à la comtesse par la Révolution ne fut pas très considérable, car celle-ci avait notamment été ruinée par un récent vol de bijoux où était impliqué un espion anglais assez trouble du nom de Nathaniel Parker-Forth, qui les vendit aux enchères à son profit pour la bagatelle de 500 000 livres !

5. Particuliers qui iront sans doute rejoindre le palmarès de Sanson. On soupçonne la Dubarry d’avoir balancé pas mal de noms pour sauver sa peau. Or, vue l’ambiance de l’époque, cela suffisait amplement à perdre la tête ! Dans son journal du 24/12/93, Sanson écrit : « les révélations de Mme Dubarry n’ont pas sauvé sa tête, mais elles en ont fait tomber deux autres : Jacques-Etienne Labondie pour intelligence avec les ennemis de la république, et Denis Morin, valet de chambre de la Dubarry, pour recèle de bijoux précieux appartenant à la nation. » Et joyeux noël !

6. Il est vrai que celui-ci, surnommé « Le Boucher de la Vendée », ne pouvait guère être suspect de trop de compassion envers les prisonniers.

draleuq, 13h23 :: :: :: [4 contestations]

13 Juillet 2010 ::

« Charles-Henri Sanson, la Terreur à travers les yeux du bourreau - 4 »

:: Histoire contemporaine, 1793

Ce billet fait partie d’un sujet qui en comporte neuf :
1ère partie2ème partie3ème partie – 4ème partie – 5ème partie
6ème partie7ème partie8ème partie9ème partie





08/11/1793 : Manon Roland

Née en 1754, issue de la haute bourgeoisie provinciale, Manon Phlipon épousa en 1780 le vicomte Jean-Marie Roland de la Platière, de 20 ans son aîné. S’ennuyant ferme dans la vie conjugale, elle s’engagea corps et âme dans l’aventure révolutionnaire à partir de 1791, tout comme son mari qui devint ministre de l’intérieur sous le gouvernement girondin. Pendant ce temps, Manon ouvrit un salon où elle reçut tous les révolutionnaires influents de l’époque. Comme son mari, elle prit fait et cause pour les girondins et s’éprit d’ailleurs de l’un d’entre eux, Buzot. Fin janvier 1793, Jean-Marie Roland, fatigué des attaques des montagnards et durement choqué par la révélation de sa femme qui venait de lui avouer sa liaison avec Buzot, démissionna. Décrété d’arrestation avec les girondins, il s’enfuit à Rouen à l’été 1793, où Manon refusa de le suivre. Apprenant la mort de Manon en novembre, il se suicida avec sa canne épée dans un chemin sur la route Rouen-Paris.
De son côté, Buzot s’enfuit à Bordeaux où il se suicida également en 1794 pour échapper à l’arrestation.


Lorsqu’elle entend sa condamnation à mort, la première phrase de Manon Roland est : « Vous me jugez digne de partager le sort des grands hommes que vous avez assassinés. Je tâcherai de porter à l’échafaud le courage qu’ils ont montré. »

La toilette est un peu difficile, la condamnée étant très attachée à ses longs cheveux noirs. Elle porte ses mains à sa nuque et dit : « Au moins, laissez-en assez pour pouvoir montrer ma tête au peuple s’il demande à la voir ! »

Elle doit être exécutée en même temps qu’un autre condamné, Simon-François Lamarche, ancien directeur de la fabrication des assignats. Celui-ci est terrorisé par ce qui l’attend. Pendant tout le trajet entre la Conciergerie et la Place de la Révolution, Manon Roland n’aura de cesse que de consoler et de tenter d’encourager son compagnon d’infortune, ne se préoccupant pas des monstrueux quolibets de la foule, qui, selon Sanson, sont pires que pour les Girondins, Charlotte Corday et même Marie-Antoinette !

Lorsque le convoi arrive à l’échafaud, Lamarche flanche en descendant de la charrette. Il est livide, tremble de partout et un aide doit le soutenir.
- Je ne peux que vous épargner l’horreur de voir couler mon sang. Allez le premier, mon pauvre monsieur ![1]
Sanson dit qu’il ne peut pas laisser faire cela, qu’il a des ordres pour l’exécuter la première.
En effet, depuis la pagaille des Girondins, l’accusateur public a décidé de déterminer à l’avance l’ordre des exécutions. Pour ce faire, il considère le fait de passer en premier comme un « privilège », celui de ne pas voir couler le sang des autres avant soi. Les « chefs de complot » seront donc presque toujours exécutés en dernier, cependant que les femmes seront exécutées en premier (à moins qu’elles ne soient elles-mêmes des « chefs de complot » !)
Parce qu’elle était une femme, Fouquier-Tinville avait donc accordé à Madame Roland le « privilège » de passer en premier. Mais celle-ci ne l’entend pas de cette oreille, et insiste auprès du bourreau en souriant :
- Je suis certaine qu’on ne vous a pas donné l’ordre de refuser à une femme sa dernière prière !
Sanson finit par céder et met Lamarche, à moitié évanoui, sur la bascule. Manon Roland le regarde mourir sans frémir et s’avance d’elle-même vers la guillotine. Elle regarde une dernière fois la statue de plâtre dédiée à la liberté, qui trône toujours sur la Place depuis la fête du 10 août commémorant la Prise des Tuileries, et dit :
- O liberté, comme on t’a jouée ![2]


Manon Roland s'adressant au buste de la Liberté


11/11/1793 : Bailly, premier Maire de Paris

Né en 1736, Jean-Sylvain Bailly fut un mathématicien, un astronome et un littérateur reconnu, membre de l’académie des sciences et de l’académie française. Parmi les pères fondateurs de la Révolution, il fut député de Paris pour le Tiers-Etat et Président de l’Assemblée Nationale. Le 20 juin 1789, il fut le premier à signer le Serment du Jeu de Paume[3], et le 15 juillet 1789, il fut élu, le premier, Maire de Paris.
Suite à la fuite de la famille royale, le 20 juin 1791, connue sous le nom de « fuite de Varennes », le peuple ne faisait plus aucune confiance au Roi. A l’initiative du Club des Cordeliers[4], la signature d’une pétition pour la destitution du Roi fut organisée sur le Champ de Mars le 17 juillet 1791. Cette manifestation tourna à l’émeute : la garde nationale, commandée à l’époque par Lafayette, se fit caillasser. Un émeutier tira même sur Lafayette sans l’atteindre. Bailly, en tant que Maire, décréta la Loi Martiale qui autorisait la garde nationale à faire usage des armes pour ramener l’ordre. Lafayette ordonna dans un premier temps à ses hommes de tirer à blanc, mais la foule s’en rendit compte et recommença de plus belle ses jets de pierre. Deuxième fusillade, à balles réelles cette fois, suivie d’une charge de cavalerie : une cinquantaine de morts et une centaine de blessés restèrent sur le carreau.
Discrédités, Lafayette et Bailly démissionnèrent de leurs fonctions, respectivement en octobre et novembre 1791, et se retirèrent sur leurs terres.
Bailly fut décrété d’arrestation en juillet 1793. Il fut appelé à la barre comme témoin à charge au procès de Marie-Antoinette, mais il préféra témoigner en sa faveur, ce qui acheva de le perdre.


L’arrêt de condamnation à mort de Bailly est un peu spécial au sens où il stipule qu’il sera exécuté sur le Champ de la Fédération[5], c’est-à-dire sur le lieu-même de la fusillade qu’il a ordonnée deux ans plus tôt, et qui a motivé sa condamnation. D’autre part, il y est dit que le bourreau devra brûler devant le condamné le drapeau rouge de la Commune de Paris[6].

Bailly n’est pas encore sorti de la Conciergerie qu’il est déjà pris à partie par les
guichetiers (gardiens de prison) qui le font valdinguer entre eux, le font tomber en l’injuriant.[7] Sanson ordonne à ses aides de s’emparer du condamné et de le sortir de là pour le faire échapper à ses persécuteurs. Bailly leur dit alors en souriant et en rajustant sa chemise : « C’est que je suis un peu vieux pour ces jeux-là ! »

Après la toilette, Sanson l’encourage à se couvrir car la journée est froide.
- Avez-vous donc peur que je m’enrhume ? lui répond-il.

Jusqu’à la Place de la Révolution, Bailly est assis au fond de la charrette, et tandis que la foule l’insulte copieusement, il discute tranquillement avec le bourreau des derniers instants de quelques illustres condamnés qui l’ont précédé. Il lui demande même combien il gagne pour son travail !
Tout à coup, un aide se rend compte que quelques madriers du plancher de la guillotine ont été oubliés dans la précipitation (car l’instrument du supplice, qui a été démonté de la Place de la Révolution pour l’occasion, suit le cortège et doit être monté au champ de mars juste avant que l’ancien Maire n’y passe !) On retourne chercher les morceaux de bois, et comme il n’y a plus de place dans les autres charrettes, on les charge avec Bailly.
Le vieil homme est très gêné par les madriers, alors le bourreau lui propose de marcher à pieds, et il accepte. La foule en profite, s’infiltre, lui déchire sa chemise en lambeaux, le jette à terre. Remonté hâtivement dans la charrette, il reçoit une grêle de projectiles de toutes sortes. Malgré les prières de Sanson qui veut qu’il s’abrite, il veut faire face en disant : « Il serait fâcheux d’avoir appris à vivre avec honneur pendant cinquante-sept ans, et de ne pas savoir mourir avec courage pendant un quart d’heure ! »

En arrivant au Champ de la Fédération, les charpentiers commencent leur travail, mais la foule, furieuse, refuse que l’échafaud soit monté là, car "le sang d’un scélérat ne peut pas souiller le sol sacré où a coulé celui des martyrs" ! Les meneurs emmènent eux-mêmes les madriers dans un fossé, pendant que le condamné est entraîné par la foule, outragé, frappé, couvert de boue. Sanson le perd de vue, et quand il le retrouve, le pauvre Bailly est tout heureux… de revoir son bourreau !

Pendant que l’échafaud se monte enfin, le condamné grelotte. Quelqu’un dit :
- Tu trembles, Bailly ?
- Non, j’ai froid ! répond-il simplement.

Mais les dernières forces du condamné commencent à l’abandonner. Il est prêt de s’évanouir et réclame à boire. Quelqu’un lui jette à la figure de la boue liquide. D’autres spectateurs en sont indignés, l’un d’entre eux apporte une bouteille de vin et lui en verse un peu dans la bouche.
- Merci, dit Bailly.

Quand au bout de trois quarts d’heure, la guillotine est enfin montée, il faut soutenir l’ex-Maire pour qu’il monte.
- Vite, vite, Monsieur, finissons-en je vous en prie !
Hélas, il reste encore à accomplir la « formalité » du drapeau. Or, celui-ci est détrempé par la pluie, et on est obligé de casser quelques morceaux de bois des planches de l’échafaud pour improviser un brasier et y brûler le drapeau, ce qui prend du temps. Dans l’intervalle, Bailly menace de s’évanouir une seconde fois.

Quand le bourreau vient enfin le chercher, il se ranime un peu. Sanson lui dit :
- Courage ! Courage, Monsieur Bailly !
- Ah ! Maintenant je touche au port et…[8]


Jean-Sylvain Bailly, premier Maire de Paris


21/11/1793 : Boisguyon et Girey-Dupré

L’exécution de ces deux lascars mérite un petit détour.
Boisguyon était militaire, Girey-Dupré était un grand ami du Girondin Brissot, rédacteur du journal Girondin le « Patriote Français ».

Trois jours avant leur exécution, ils avaient hélé le bourreau en le voyant passer à la Conciergerie. Ils avaient alors fait allusion à une sorte de jeu de parodie de la guillotine à laquelle ils s’amusaient en prison avec d’autres. Quand Boisguyon eut sa réponse de Sanson, il se tourna vers Girey-Dupré et lui dit :
- Vous voyez que j’avais raison et que vous avez fort mal joué votre personnage ! Décidément, il faudra demander à Fouquier si le citoyen bourreau peut venir nous aider dans nos répétitions !
Et ils s’en allèrent en riant.

Au Tribunal Révolutionnaire, pour mieux signifier que son sort est déjà scellé, Girey-Dupré se présente en tenue d’échafaud ! Quand on le questionne sur Brissot, au lieu de le renier pour essayer de sauver sa peau, il dit simplement : « Mon intimité avec Brissot m’a convaincu qu’il avait vécu comme Aristide et qu’il est mort comme Sydney : en martyr de la liberté ! »

Lorsque Sanson vient pour la toilette, Girey-Dupré lui montre son « déguisement » en se tournant et en se retournant : « J’espère qu’il n’y manque que les ficelles, pour lesquelles vous êtes seul compétent ! », lui dit-il en lui tendant ses mains pour qu’il les lie.
Boisguyon, lui, apostrophe le bourreau en ces termes :
- C’est pour de bon aujourd’hui ! Vous serez étonné de voir comme je sais mon rôle !

Avec eux deux, un autre condamné doit être exécuté, un laboureur accusé de fabrication de faux-assignats. Dans la charrette, il explique à Boisguyon qu’il n’est pas coupable. Et celui-ci de lui répondre :
- Si de mourir deux fois pouvait te sauver, je consentirais à me prêter à l’expérience, car à présent que j’y suis, cela me semble bien peu de chose ; mais puisque c’est impossible, garde tes raisons pour le bon Dieu, devant lequel nous serons avant deux heures d’ici.
Girey-Dupré et Boisguyon entonnent une chanson que ce dernier a composée en prison.

Puis la charrette passe devant la maison de Robespierre :
- A bas le Cromwell ! A bas le dictateur, le tyran ! crie Girey-Dupré.

Après le laboureur, Boisguyon meurt sans broncher. Girey-Dupré veut parler au peuple, mais les bourreaux, qui en ont reçu l’ordre, l’en empêchent en l’empoignant et il ne peut que crier plusieurs fois : « Vive la République ! »

_________________________________
1. L’authenticité de cet épisode est contestée par certaines sources.

2. Ou, selon d’autres sources : « O liberté, que de crimes commis en ton nom ! »

3. Les députés du Tiers-Etat, unis dans la Salle du Jeu de Paume avec 43 députés de la Noblesse et quelques autres du Clergé, y jurent de ne pas quitter la salle avant d’avoir donné une constitution à la France.

4. Le Club des Cordeliers fut, comme le Club des Jacobins, très actif durant la Révolution. Plus proche des classes populaires que ce dernier, il avait cette autre différence que l’adhésion y était gratuite. Après la chute des Girondins, il se divisa en deux clans, les « Exagérés » d’Hébert et les « Indulgents » de Danton.

5. On appelait le champ de mars ainsi depuis la Fête de la Fédération du 14 juillet 1790.

6. Drapeau qui sera repris comme symbole par les Communards en 1871, puis par les Communistes et Lénine dans les années 1920.

7. Selon Sanson, ces mauvais traitements se firent sur les ordres d’Hébert, leader des « Exagérés » issus du Club des Cordeliers.

8. Plusieurs historiens, dont Lamartine et Thiers, en rajoutèrent pas mal, selon le petit-fils de Sanson, sur le calvaire de Bailly : il fut dit par exemple qu’on l’avait obligé à lécher le sol du champ de mars, ou qu’on l’avait obligé à faire le tour du champ de mars en portant des pièces de la guillotine. Ces assertions sont inexactes selon le bourreau, qui précise que les circonstances du supplice furent déjà assez horribles et qu’il n’était pas nécessaire qu’on en rajoute. Notons que pour une fois, les gendarmes essayèrent de faire leur travail et de préserver le condamné de la vindicte populaire, mais malheureusement il semble qu’ils étaient loin d’être assez nombreux.

draleuq, 12h08 :: :: :: [5 vilénies]

11 Juillet 2010 ::

« Charles-Henri Sanson, la Terreur à travers les yeux du bourreau - 3 »

:: Histoire contemporaine, 1793

Ce billet fait partie d’un sujet qui en comporte neuf :
1ère partie2ème partie – 3ème partie – 4ème partie5ème partie
6ème partie7ème partie8ème partie9ème partie



31/10/1793 : Les girondins

La Convention, qui gouvernait la France depuis la proclamation de la république en septembre 1792, comprenait plus de 700 députés et siégeait dans la salle du manège aux Tuileries. On pouvait la diviser en trois parties :
- Les Girondins, ainsi appelés parce que beaucoup d’entre eux venaient du sud-ouest de la France, étaient le plus souvent issus de la grande bourgeoisie provinciale. Souvent (mais pas toujours) plus modérés que les Montagnards, ils étaient plutôt opposés aux mesures d’exception, et certains d’entre eux étaient pour une monarchie constitutionnelle. Ils dominèrent la Convention de septembre 1792 à juin 1793.
- Les Montagnards, ainsi appelés parce qu’ils siégeaient sur les gradins les plus hauts, étaient davantage issus de la capitale et du peuple. Volontiers extrémistes, ils étaient favorables aux mesures d’exception, et tous ardents républicains. Ils dominèrent la Convention de juin 1793 à la chute de Robespierre, en juillet 1794.
- La Plaine (on disait aussi « Le Marais », péjorativement), ainsi appelée parce qu’ils occupaient les gradins du bas, comprenait tous les autres députés, les plus nombreux. Selon le sujet, ils penchaient du côté des Montagnards ou des Girondins. Ils étaient souvent (mais là encore, pas toujours !) parmi les plus modérés.

Les Girondins furent vaincus par leurs adversaires Montagnards et mis en accusation en juin 1793. Beaucoup quittèrent Paris pour se cacher, mais d’autres refusèrent de le faire. Sous un chef d’accusation grotesque (« traîtres liberticides à la solde de l’étranger »), 21 d’entre eux furent jugés à partir du 24 octobre 1793, et guillotinés une semaine plus tard.
La mort des girondins fut très durement ressentie en province, et des révoltes éclatèrent un peu partout dans les régions dont ils étaient issus.



Brissot et Vergniaud, principaux leaders des girondins


Dans les jours précédant la chute des Girondins, l’accusateur public Fouquier-Tinville prévient le bourreau qu’il doit trouver des aides supplémentaires. Or curieusement, en ces temps où le travail et le pain manquent et où le spectacle des exécutions attire une foule de curieux malsains, en particulier des femmes surnommées « lécheuses de guillotine », Sanson ne trouve personne.
Un se présente pourtant, un certain André Dutruy, surnommé « Jacot », une sorte de saltimbanque, ami d’Hébert. Faisant très mauvaise impression au bourreau, il est éconduit, mais Fouquier-Tinville intervient pour qu’il l’embauche tout de même.

Lorsque Sanson et ses aides viennent prendre possession des prisonniers, ils sont accompagnés d’un huissier du tribunal qui fait l’appel. Plusieurs répondent non sans ironie. Ainsi Vergniaud :
- Présent ! Et si vous m’assurez que notre sang suffira à cimenter la liberté, soyez les bienvenus !
Ou Ducos :
- Je n’aime point les longs discours, je ne sais pas outrager la raison et la justice (il parodie en fait Robespierre)
L’huissier l’interrompant avec humeur, il ajoute :
- Eh bien, présent sans phrases !
Quand l’appel est terminé, tous ensemble crient « Vive la République ! »

Pendant la « toilette », ils continuent de discuter avec animation. Duprat ajoute quelques mots à une lettre que vient d’écrire Mainvielle, destinée à une femme qu’ils ont aimée tous les deux. En coupant les cheveux de Ducos, Sanson lui en arrache quelques uns, ce qui lui fait dire : « Il faut espérer que le tranchant de la guillotine coupe mieux que celui de tes ciseaux ! »

Pour la sortie, Vergniaud décide de laisser passer en premier la civière avec le cadavre de Valazé, « notre aîné dans la mort », dit-il. Celui-ci s’était enfoncé un poignard dans le cœur au Tribunal révolutionnaire, à l’annonce de leur condamnation à mort.
Ils se placent ensuite à leur guise dans les quatre charrettes qui les attendent, malgré les protestations de l’huissier qui entendait les faire monter dans l’ordre de sa liste.

Sur les quais de Seine, « Jacot » fait pour la première fois une démonstration de ses bouffonneries, enfourchant un cheval, faisant des tours d’équilibre, excitant la foule contre les condamnés. Sanson tente désespérément de lui faire cesser ses clowneries, mais il continue de plus belle. La foule prend fait et cause pour le misérable qui semble beaucoup l’amuser, et Sanson doit renoncer.

Les Girondins crient « Vive la République ! » avec la foule.
L’un d’eux dit pourtant : « La République, vous ne l’aurez pas ! »
Mais Vergniaud corrige aussitôt : « Si ! Ils l’auront ! Elle nous coûte assez cher pour que nous emportions dans la tombe l’espoir de la leur laisser ! »
A deux reprises, ils entonnent la Marseillaise.

Quand ils arrivent enfin devant la guillotine, Ducos n’a toujours pas perdu son humour :
- Quel dommage que la Convention n’ait pas décrété l’unité et l’indivisibilité de nos personnes !

Après les six premières exécutions, les paniers et la bascule sont tellement inondés de sang que Sanson ordonne de jeter des seaux d’eau et d’éponger les pièces après chaque supplice.
Pendant toute la durée de l’exécution, ceux qui restent encore en vie ne cesseront pratiquement jamais de chanter.
Bientôt, il ne reste plus que Vergniaud et Vigée.
- Plutôt la mort que l’esclavage ! crie Vergniaud avant de monter à l’échafaud.
Quant à Vigée, mort en dernier, il chante encore au moment où le couperet tombe sur sa tête.


06/11/1793 : Philippe Egalité

Louis-Philippe d’Orléans, cousin du Roi Louis XVI, fut député de la noblesse aux Etats Généraux de 1789. Tout comme Mirabeau et Lafayette, il fit partie des 47 députés de la Noblesse qui se joignirent à ceux du Tiers-Etat pour le serment du jeu de paume.
Elu député à la Convention en 1792, il se rebaptisa « Philippe Egalité » afin de faire un peu oublier ses origines nobles, et n’hésita pas à voter la mort du Roi ![1]
Ses partisans voulurent sans doute lui faire récupérer la couronne pour un changement de dynastie, mais il ne semble pas qu’il ait eu réellement cette ambition. Ses ennemis, en revanche, ne lui pardonnèrent ni ses origines, ni sa fortune, ni surtout le fait que son fils aîné[2] ait trahi la France et fui à l’étranger aux côtés du Général Dumouriez.
Il fut écroué à Marseille en juin 1793 avec ses deux autres fils, le Duc de Montpensier et le comte de Beaujolais.[3] Ramené à Paris en octobre, emprisonné à la Conciergerie, il fut envoyé à la guillotine sous le prétexte de sympathie avec les Girondins (qu’il avait pourtant toujours méprisés).



Le Duc Louis-Philippe d'Orléans, alias "Philippe Egalité"


Lorsque Sanson se présente à Philippe Egalité, il cause en se promenant avec son aide de camp, le général Coustard, condamné en même temps que lui. Lorsqu’il voit le bourreau, il n’interrompt ni sa promenade, ni son bavardage.
A la demande de Sanson, il se laisse toutefois couper les cheveux sans mot dire. C’est alors que les trois autres condamnés du jour font leur apparition. Parmi eux figure Monsieur de Laroque, un noble de soixante-dix ans. Lorsque les aides veulent lui couper les cheveux, il retire sa perruque qui couvrait son crâne chauve et leur dit :
- Voici qui me dispense de cette formalité essentielle.
Puis le vieillard reconnaît le Duc d’Orléans et lui déclare alors avec indignation :
- Je ne regrette plus la vie, puisque celui qui a perdu mon pays reçoit la peine de ses crimes ; mais je suis, je vous l’avoue, Monseigneur, bien humilié d’être obligé de mourir sur le même échafaud que vous !
Egalité ne répond pas.

La charrette s’arrête volontairement plusieurs bonnes minutes devant le « Palais Egalité », ex-Palais Royal, demeure des ducs d’Orléans, sur lequel est inscrit en grosses lettres : « Propriété Nationale ». Le Duc regarde une dernière fois son ex-propriété, puis détourne les yeux avec dédain.

Mr de Laroque, exécuté le premier, met un point d’honneur à dire Adieu à ses compagnons d’infortune, y compris à l’ouvrier, sauf à Orléans auquel il n’adresse toujours pas la parole.
Philippe Egalité, passant en dernier, voit les quatre têtes tomber sans sourciller. Une fois monté sur l’échafaud, il regarde d’un air hautain la foule qui le hue, et hausse les épaules.
Les aides lui retirent son manteau et veulent lui enlever ses bottes, mais le Duc va vers la bascule tout en disant : « C’est du temps perdu, vous me débotterez bien plus aisément mort ; dépêchons-nous ! »
_________________________________

1. Même Robespierre fut, parait-il, profondément écœuré de cette traitrise à son sang.

2. Qui n’est autre que le futur Louis-Philippe 1er (1773-1850), Roi des Français, qui régna sur la France de la Révolution de 1830 jusqu’à celle de 1848. Il fut le dernier roi à régner sur la France, et l’on appela son régime la « Monarchie de Juillet ».

3. Tous deux moururent prématurément (1807 et 1808), en exil, des suites de la tuberculose qu’ils avaient contractée en prison.

draleuq, 15h20 :: :: :: [6 éclaircissements pompeux]

9 Juillet 2010 ::

« Charles-Henri Sanson, la Terreur à travers les yeux du bourreau - 2 »

:: Histoire contemporaine, 1793

Ce billet fait partie d’un sujet qui en comporte neuf :
1ère partie – 2ème partie – 3ème partie4ème partie5ème partie
6ème partie7ème partie8ème partie9ème partie






17/07/1793 : Charlotte Corday

La première fois que je suis allé au Musée Grévin, j’avais 8 ans et j’étais avec mes parents. Parmi tous ces étonnants mannequins de cire, celui qui m’avait marqué plus que tous les autres, sans doute parce que c’était le plus violent, était cette représentation de l’assassinat de Marat par Charlotte Corday. Je me souviens que l’un de mes parents m’avait dit que c’était cette femme, là, qui avait poignardé l’homme dans la baignoire, et que s’il était dans sa baignoire c’est qu’il avait une maladie de peau. Et je me souviens combien m’avait semblé cruelle cette femme qui avait osé poignarder un homme malade dans son bain !
30 ans ont passé, je suis retourné voir cette œuvre une fois depuis. J’ai aussi appris entre temps qui était vraiment ce Marat, et j’avoue qu’aujourd’hui, ma compassion va bien davantage à Charlotte Corday qu’à sa victime, même si c’est vrai que ce ne sont pas des manières, de poignarder un homme malade dans son bain !



"L'assassinat de Marat" au Musée Grévin


Jean-Paul Marat, né en Suisse en 1743, était un médecin et physicien, devenu ensuite journaliste et homme politique. A la Révolution, il se fit connaître comme principal rédacteur du journal « L’Ami du Peuple » (plus de 1 000 numéros entre septembre 1789 et septembre 1792), comme député Montagnard à la Convention et comme président du club des Jacobins. Dans son journal comme au parlement, il s’en prenait indifféremment, et avec une rare violence, aux royalistes, aux députés girondins, aux membres trop riches du tiers-état… Par ses appels au meurtre, il fut l’un des instigateurs des massacres de septembre 1792, où plus de 1 000 royalistes emprisonnés furent passés au fil de l’épée. Marat fut mis en accusation en avril 1793, mais acquitté par un jury acquis à sa cause. Issue de la petite noblesse normande, Charlotte Corday rencontra à cette époque des députés girondins qui avaient quitté Paris pour se réfugier du côté de Caen. C’est là qu’elle acquit la conviction que Marat était un tyran et un fauteur de massacre, et prit la décision de l’assassiner. Souffrant d’une maladie mal connue mais sans doute grave, Marat ne sortait plus de chez lui depuis début juin et ne paraissait plus à la Convention. Charlotte Corday le poignarda dans son bain le 13 juillet 1793.

Marat fut l’objet d’un étonnant culte de la personnalité : il reçut d’abord des obsèques nationales, avant d’être transféré au Panthéon un an plus tard (seulement pour 6 mois toutefois : ses restes furent inhumés au cimetière voisin de Ste Geneviève après la fin de la Terreur). Plusieurs villes de France se rebaptisèrent pour un temps « Marat ». Des citoyens ajoutèrent aussi Marat à leur nom de famille : Sanson note ainsi dans son journal du 11 floréal An III (1er mai 1794) que 15 personnes avaient été, fait rarissime, acquittées par le Tribunal Révolutionnaire, et que "plusieurs de ces individus, qui sont des patriotes de la ville du Mans, avaient, selon le mode de la province, ajouté le nom de Marat à leurs noms". Le président du tribunal, Dumas, leur avait d'ailleurs vertement rappelé "les devoirs que leur impose le patronage du grand citoyen".
Plus inattendu encore, Marat fut admiré 150 ans plus tard, en tant qu’extrémiste de gauche, par le régime communiste soviétique : un cuirassé fut baptisé « Marat » en 1921, et le prénom « Marat » y est encore utilisé de nos jours (ex : le tennisman Marat Safin)


Marat (portrait de Joseph Boze, 1793)



Quand le bourreau entre dans la cellule de Charlotte Corday, il s’y trouve déjà un gendarme et un homme qui peint son portrait. Elle est assise sur une chaise et écrit sur le dos d’un livre. Elle regarde le bourreau et lui fait signe d’attendre quelques instants. Quand elle a fini d’écrire, elle vient installer sa chaise au milieu de la pièce, enlève son bonnet, dénoue ses cheveux, et fait signe à Sanson de les couper. Lorsque ses cheveux sont tombés, elle en donne une partie au peintre. Sanson lui donne une chemise rouge, symbole des assassins et des empoisonneurs, qu’elle arrange elle-même. Elle demande au bourreau si elle doit garder ses gants pour être liée, car ceux qui l’avaient arrêtée avaient serré si fort les cordes qu’elle en conservait des cicatrices aux poignets. Sanson répond qu’elle peut faire comme bon lui semble, mais que c’est inutile car il saura lui attacher les mains sans lui faire mal.
Elle répond en souriant et en lui tendant ses mains nues :
- Au fait, ils n’en ont pas votre habitude !


Portrait de Charlotte Corday fait par Hauer dans sa cellule, quelques heures avant de mourir. Un autre portrait, de Bréa, s'intitule "Charlotte Corday peu avant son exécution".


Dans la charrette, elle refuse de s’asseoir.
Dans les rues, la foule est grande et le convoi avance lentement. Des citoyens qui marchent en même temps que la charrette injurient la condamnée et lui reprochent la mort de Marat. A une fenêtre de la Rue St Honoré, le bourreau reconnaît les députés Robespierre, Danton et Desmoulins, qui ne quittent pas Charlotte Corday des yeux.
- Vous trouvez cela bien long, n’est-ce pas ? ose Sanson.
- Bah, nous sommes toujours sûrs d’arriver ! répond la condamnée d’une voix parfaitement calme.

Quand le convoi débouche enfin sur la Place de la Révolution, le bourreau se place devant Charlotte Corday pour l’empêcher de voir l’échafaud. Mais elle se penche pour le voir quand même, tout en disant :
- J’ai bien le droit d’être curieuse, je n’en avais jamais vu !

En arrivant, pendant que Sanson s’adresse aux gendarmes pour qu’ils évacuent quelques inconnus qui se sont mêlés à ses aides, Charlotte Corday monte les marches toute seule et se jette d’elle-même sur la bascule. Du coup, Sanson estime qu’il ne doit pas prolonger inutilement le supplice et fait signe à son aide Fermin, déjà là-haut, de lâcher le déclic à sa place.[1]

Un charpentier qui avait participé dans la journée à des réparations sur la guillotine ramasse la tête et la montre au peuple, et va même jusqu’à lui mettre un soufflet. La joue ainsi profanée aurait, dit la légende, rougi à cette insulte.
Un journal prétendra que c’est un des aides de Sanson qui aurait commis cet outrage indigne. Le bourreau s’empressera de faire rectifier cette information calomnieuse.
Le charpentier sera incarcéré pour sa faute.[2]

Charles-Henri Sanson dira qu’il n’avait plus vu un tel courage pour mourir depuis l’exécution du Chevalier de la Barre.


Cette ancienne carte postale montre que le tourisme historique sur les traces
des martyrs de la Révolution exista très tôt.


16/10/1793 : Marie-Antoinette

Si Louis XVI a eu un semblant de vrai procès, celui de sa femme, haïe par le peuple sous le nom de « Madame Véto » ou de « L’Autrichienne », fut une parodie.
Les révolutionnaires allèrent jusqu’à influencer son fils de huit ans, Louis-Charles, héritier légitime du trône, pour appuyer une fausse-accusation d’inceste.
Le motif de haute-trahison fut pourtant le motif de sa condamnation à mort : il fut établi qu’elle avait été à l’origine du « manifeste de Brunswick », texte du Duc éponyme menaçant Paris de destruction si le moindre mal était fait à la famille royale. Ce texte avait été publié à Paris début août 1792, et il eut l’effet inverse de celui escompté, provoquant la Prise des Tuileries, l’emprisonnement de la famille royale au Temple, et les massacres de septembre.
Durant l’été 1793, on jugea qu’il n’était plus nécessaire de maintenir la Reine dans cette prison du Temple considérée comme un privilège (la famille royale étant seule à l’occuper), et on la transféra à la Conciergerie.


Lorsque Charles-Henri Sanson vient prendre ses ordres auprès de l’accusateur public Fouquier-Tinville, il demande à ce qu’on aille quérir une voiture fermée, semblable à celle qui avait conduit Louis XVI à l’échafaud 10 mois plus tôt.
Fouquier, avec sa délicatesse habituelle, dit au bourreau qu’il mérite la guillotine pour avoir fait une proposition pareille, qu’une charrette est encore trop bonne pour l’Autrichienne, et il continue à injurier copieusement l’ex-Reine.

Charles-Henri rentre du palais de justice chez lui à cinq heures du matin ce 16 octobre, la tête basse. Sa femme comprend tout de suite et fait une violente crise de nerfs. Le bourreau doit la cacher, de peur qu’on dénonce sa famille pour trahison !

Charles-Henri et son fils et futur successeur arrivent à la Conciergerie vers 10 heures. Ils se découvrent devant Marie-Antoinette, chose que ne font pas d’autres citoyens présents.
- Je suis prête, messieurs, nous pouvons partir ! dit-elle en se levant vivement.
Le bourreau lui dit qu’il est nécessaire de prendre quelques précautions.
La Reine se retourne et lui montre sa nuque où les cheveux avaient été coupés.
- Est-ce bien ainsi ? dit-elle simplement en tendant ses mains pour qu’on les lui liât.

Entre temps, l’Abbé Lothringer, un prêtre assermenté, fait son entrée. C’est le troisième, et Marie-Antoinette refusera ses secours comme elle avait refusé ceux des deux premiers.
On a placé un tabouret pour l’aider à monter plus facilement dans la charrette, mais celui-ci est branlant. Elle remercie ceux qui l’aident à monter.

Le parcours jusqu’à la Place de la Révolution est un calvaire : la foule est si compacte que la charrette ne peut parfois plus avancer, que les chevaux pris de panique se cabrent. Le peuple hurle des injures et des imprécations à l’adresse de « l’Autrichienne. » Les gendarmes, au lieu de tenir leur rôle de service d’ordre, laissent parfois passer les passants les plus agressifs, et se joignent à eux pour insulter la Reine.

A un moment, une inquiétude se peint sur le visage de Marie-Antoinette, qui ignore toujours les prières de Lothringer, et qui semble scruter les numéros de maisons qui défilent en cherchant quelque chose. Elle avait prévu que l’on ne permettrait à un prêtre non assermenté de lui apporter les derniers sacrements, aussi, un prêtre réfractaire, l’Abbé Magnien, lui avait promis de se trouver, le jour du supplice, dans une certaine maison de la Rue St Honoré.
Enfin la maison arrive, elle reconnaît le prêtre, baisse la tête et prie. Puis elle relève la tête et esquisse un léger sourire, comme de soulagement.

Quand elle voit l’échafaud, elle murmure : « Ma fille ! Mes enfants ! »
En descendant de la charrette, le bourreau lui dit en la soutenant :
- Courage, Madame !
- Merci, monsieur, merci, dit Marie-Antoinette en se retournant.
Il veut encore la soutenir pour marcher jusqu’à l’escalier, mais elle refuse :
- Non, j’aurai, Dieu merci, la force d’aller jusque là.
Elle monte les degrés seule, repoussant une dernière fois les conjurations du prêtre assermenté. Les aides l’attachent rapidement sur la bascule. « Adieu mes enfants, je vais rejoindre votre père ! » seront ses derniers mots.


Portrait de Marie-Antoinette par Elisabeth Vigée Le Brun (1778)

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1. Ce récit, publié par le petit-fils du bourreau, Henri-Clément Sanson, est présenté par ce dernier comme tiré directement des mémoires de son grand-père. Il est toutefois considéré comme apocryphe par un certain nombre de personnes (quelques uns vont même jusqu’à prétendre qu’il aurait été écrit par Honoré de Balzac). Ce qui peut accréditer cette thèse, c’est que Henri-Clément, dernier bourreau de la dynastie Sanson (il guillotina notamment le poète assassin Pierre-François Lacenaire en 1836) avait grandement besoin d’argent, et que le sensationnalisme pouvait éventuellement l’aider à vendre plus de livres. En effet, joueur compulsif et criblé de dettes, il a même été jusqu’à mettre en gage la guillotine en 1846 pour rembourser ses créanciers ! L’Etat, informé de cette faute grave, régla une partie de ses dettes pour récupérer les bois de justice, avant de le licencier.
Toutefois, apocryphe ou pas, ce récit est corroboré en bien des points par Jules Michelet dans son « Histoire de la Révolution ».


2. L’erreur consistant à dire que c’est le bourreau qui aurait souffleté avec mépris la tête de Charlotte Corday est encore répandue. Récemment, j’ai lu un article dans le Nouvel Observateur, à propos de l’ouverture d’une exposition sur la peine de mort, où Robert Badinter l’affirmait encore dans une interview.

draleuq, 11h05 :: :: :: [5 pleurnicheries]

7 Juillet 2010 ::

« Charles-Henri Sanson, la Terreur à travers les yeux du bourreau - 1 »

:: Histoire contemporaine, 1793

Ce billet fait partie d’un sujet qui en comporte neuf :
1ère partie – 2ème partie3ème partie4ème partie5ème partie
6ème partie7ème partie8ème partie9ème partie


Royaliste obligé de tuer son Roi, ayant exécuté dans sa jeunesse des gens pour blasphème, et devant maintenant exécuter des pleines charrettes de prêtres réfractaires qui n’avaient que le tort d’être prêtres, de nobles qui n’avaient que le tort d’être nobles, et de citoyens qui n’avaient que le tort de dire tout haut ce que beaucoup de monde – y compris lui - pensait tout bas, ayant accompli 2918 exécutions durant sa carrière, on comprend que Charles-Henri n’a pas eu la vie facile ! Mais, faisant fi de tous les paradoxes, il continua à faire sagement son « devoir », jusqu’à ce que trop de sang versé finisse par avoir raison de ses nerfs.





27/08/1792 : Mort accidentelle de Gabriel Sanson

C’est la neuvième exécution à Paris avec la guillotine, celle de trois faux-monnayeurs, Sauvade, Vimal et Guillot. Après la mise à mort, Gabriel, le deuxième fils de Charles-Henri, se tue en tombant de l’échafaud alors qu’il montrait les têtes au public.[1]

En 1789, l’état français est au bord de la banqueroute et a un furieux besoin d’argent sonnant et trébuchant. Le 2 novembre 1789, à l’initiative notamment de Talleyrand, l’assemblée nationale vote la confiscation des biens du clergé. Pour faire rentrer l’argent plus vite, on imagine ensuite le système des assignats : pour acheter des biens nationaux (parmi lesquels, bien entendu, beaucoup d’anciens biens du clergé), les particuliers doivent acheter des assignats auprès de l’état avec de l’argent, et c’est ensuite seulement qu’ils peuvent acheter les biens avec les assignats.

Mais cette opération tourne rapidement à la catastrophe, pour plusieurs raisons :
- Les assignats sont faciles à contrefaire. A l’étranger, souvent avec le soutien de l’Angleterre, éternelle ennemie de la France, et grâce au financement de royalistes émigrés, la production de faux-assignats devient presque industrielle, et on inonde le marché français de ces faux pour précipiter la crise économique.
- L’Etat a tendance à mettre en circulation beaucoup plus d’assignats qu’il n’a de biens à vendre. Il a aussi tendance à ne pas détruire les assignats qui lui reviennent, ce qui était la règle au départ, mais plutôt à les remettre en circulation.

Entre 1790 et 1793, les assignats perdent 60 % de leur valeur. Ils seront purement et simplement abandonnés en 1797.

Durant la période de la Terreur, la « justice » se montrera particulièrement impitoyable pour soutenir la politique des assignats. Ainsi, parmi les motifs les plus fréquents de peine de mort notés par le bourreau Charles-Henri Sanson dans son journal, on trouve "fabrication de faux-assignats", "mise en circulation de faux assignats" ou "distribution de faux assignats", mais aussi bientôt "refus d’être payé en assignats", ou encore "discours tendant à discréditer les assignats" !


Un assignat - Un faux assignat




21/01/1793 : Louis XVI

La veille de l’exécution, Sanson revient chez lui désespéré, ayant appris qu’il n’y aurait aucun sursis à l’exécution. L’y attendent de nombreuses lettres, la plupart anonymes, qui lui disent que les dispositions sont prises pour libérer le Roi sur le trajet entre le Temple et la Place de la Révolution et qui l’enjoignent de ne pas résister aux libérateurs, voire de leur prêter main forte, le menaçant de mort s’il ne s’exécute pas, c’est le cas de le dire.
Sanson ne dort pas cette nuit-là, pas plus que sa femme qui passe son temps à prier. Au matin, aidé de deux de ses frères, armés jusqu’aux dents comme lui, le bourreau a le plus grand mal à s’arracher aux pleurs de son épouse qui pressent le pire.

Son fils et futur successeur font partie des soldats de garde autour de l’échafaud, de même que des Marseillais qui ont braqué leurs canons sur le lieu du supplice.
Ils voient bientôt arriver la berline du Roi tirée par deux chevaux. Le monarque descend. La famille Sanson attend avec impatience les libérateurs annoncés, mais rien ne se passe. C’est la consternation.[2]

L’un des frères du bourreau s’avance, retire son chapeau et fait observer à Louis XVI qu’il faudrait qu’il retire son habit.
- C’est inutile, répond Capet, on peut en finir comme je suis.
Mais Martin Sanson insiste et ajoute même qu’il faut lui lier les mains.
- Eh quoi ! Vous oseriez poser la main sur moi ? Tenez, voici mon habit, mais ne me touchez pas !
L’autre frère Sanson, Charlemagne, vient en aide à Martin et ajoute :
- C’est absolument nécessaire. L’exécution est impossible sans cela.
C’est le bourreau Charles-Henri qui intercède enfin auprès de l’Abbé pour qu’il obtienne du Roi qu’il se laisse attacher les mains.
- Sire, dit l’Abbé, résignez-vous à ce dernier sacrifice par lequel vous ressemblerez davantage au Dieu qui va vous en récompenser.
Le Roi présente alors ses mains pendant que son confesseur lui fait embrasser une image du Christ. Aidé par le prêtre, il monte ensuite lentement les marches de l’échafaud, sous des roulements de tambours.
- Est-ce que les tambours ne vont pas cesser ? demande le Roi à l’un des aides, qui lui fait signe qu’il n’en sait rien. Arrivé sur la plateforme, le Roi s’avance vers le côté qui lui paraît le plus peuplé, et fait de la tête un signe aux tambours suffisamment convaincant pour qu’ils s’arrêtent un moment.
- Français, s’écrie-t-il, vous voyez votre roi prêt à mourir pour vous. Puisse mon sang cimenter votre bonheur ! Je meurs innocent de tout ce dont on m’accuse…
Il allait sans doute continuer, mais les tambours, sur l’ordre de l’état-major, recommencent leurs sinistres roulements et auraient couvert sa voix.
Son confesseur l’accompagne jusqu’au dernier instant, et après que le couperet soit tombé, il dit :
- Fils de Saint-Louis, montez au ciel !

Jusqu’au bout, Sanson le royaliste a espéré une intervention de la foule pour empêcher l’exécution, comme à Versailles cinq ans auparavant avec le parricide Jean-Louis Louschart, mais rien n’est venu.

S’il a accepté de tuer le Roi malgré ses convictions personnelles qui s’y opposaient, le bourreau refusera par contre de laisser salir la mémoire du souverain. Quand le Journal « Le Thermomètre du Jour » publiera quelques jours après un article calomnieux prétendant que Capet s’était notamment montré couard devant le supplice, Sanson demandera et obtiendra un droit de réponse dans le même journal, qui sera publié le 21 février suivant, relatant les événements comme décrits ci-dessus, et se terminant par :
«  Et pour rendre hommage à la vérité, il a soutenu tout cela avec un sang-froid et une fermeté qui nous a tous étonnés. Je reste très convaincu qu’il avait puisé cette fermeté dans les principes de la religion dont personne plus que lui ne paraissait pénétré, ni persuadé. »

Cette lettre a été adjugée 120 000 € dans une vente aux enchères à Londres en 2006.


Exécution de Louis XVI (d'après une gravure allemande de 1793)


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1. Autre accident de travail : le 20/11/1829, en exécutant Pierre Joly à Chalon-sur-Saône, le bourreau Pierre Roch perdit trois doigts en essayant de maintenir le condamné dans la lunette. Anecdote montrant que décidément, les condamnés bourguignons n’étaient pas commodes : Claude Montcharmont, exécuté le 10/05/1851 à Chalon-sur-Saône également, pour l’assassinat d’un gendarme et d’un garde-champêtre : il se débattit tellement que l’exécution dut être reportée du matin à l’après-midi !

2. De fait, une tentative eut bien lieu pour faire évader le Roi, mais fut un fiasco. Elle se produisit rue de Cléry, à l’initiative du baron de Batz. Sur les 300 conjurés, beaucoup avaient été dénoncés et seuls quelques uns se présentèrent. Trois conjurés furent tués par la garde, mais le baron de Batz parvint à s’échapper. Le bourreau pas plus que le Roi n’eurent connaissance de cette tentative.

draleuq, 11h41 :: :: :: [4 haineuses invectives]