Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

Je suis
fait comme
un rat !
Dans ton cul
En vérité je vous le dis, l'esprit noie inévitablement l'intelligence. Par là même, la perfidie s'amenuise, immobile depuis l'enfer de l'individualisme
La Piscine ::
Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

21 Février 2011 ::

« C'est grave docteur ? - 4ème partie »

:: Baratin

Ce billet fait partie d'une série qui en comporte quatre :

1. C'est grave docteur ? - 1ère partie
2. C'est grave docteur ? - 2ème partie
3. C'est grave docteur ? - 3ème partie
4. C'est grave docteur ? - 4ème partie


Mon pauv’bébé chéri roudoudou d’amour

Evidemment, j’ai fait transmettre la nouvelle à Samira par ma mère le temps d’avoir le téléphone dans ma chambre. Dès que c’est possible, je l’ai au bout du fil :
- Oh mon chéri, ça va ?
- Oui oui, c’est pas grave, c’est qu’une appendicite.
- Et dire que t’es à l’hôpital et que je ne suis même pas là pour m’occuper de toi !
- C’est pas grave. Je ne vais pas y rester des semaines. Et puis j’ai de la visite. Ne t’inquiète pas pour moi.
- Oui mais quand même, chuis trop dégoûtée de pas être là !
- Mais c’est pas de ta faute, tu bosses à 600 km d’ici, tu ne peux pas annuler tous tes rendez-vous et te casser, quand même ! Arrête de te flageller je te dis. Tu viens samedi soir comme prévu, c’est mon père qui ira te chercher à la gare, je serai rentré chez moi et ce sera beaucoup mieux pour tout le monde.
- Oui mais quand même, chuis dégoûtée, c’est même pas moi qui ai diagnostiqué ton appendicite (sic)
- (…)

Un bon conseil : s’il vous arrive de sortir avec un médecin, ne faites pas diagnostiquer votre cancer par un autre que lui/elle, il/elle pourrait être extrêmement vexé(e) !

Préposé aux stagiaires

Comme je le disais beaucoup plus haut, être un peu trop sympathique et convivial avec les infirmières peut parfois jouer de vilains tours. Ainsi, cet après-midi là, je vis débarquer la jeune blondinette de service :
- Bonjour, ça va aujourd’hui ?
- Oh ben oui, si j’excepte la partie de rugby de ce matin avec les ASH, c’est nickel !
- Dites-moi, vous savez que je suis stagiaire, n’est ce pas ? Je suis encore à l’école d’infirmières.
- Oui, c’est ce que j’ai cru comprendre. Faut bien commencer un jour, hein…
- Oui. Justement… J’ai un soin à faire, c’est mon évaluation de fin de stage. En présence de mes deux formateurs. Donc il faut que je demande aux gens s’ils sont d’accord. Alors je vous demande à vous en premier, parce que vous voyez, le vieux d’à coté, euh, moyen (petit rire), et les autres, bof. Enfin voilà, quoi. Vous voulez bien ?
- Mais bien sûr, bien volontiers ! J’ai pleine confiance en vous ! (glups)

Vient l’heure du « soin de fin de stage ». Les deux formateurs sont là, ils ont l’air assez cool. Je trouve étrange que dans un corps de métier formé à 90% de femmes, il y ait 100% d’hommes sur deux formateurs. Mais soit.

J’ai droit à un beau plateau argenté avec tout plein de ciseaux, pinces, compresses, bain de bétadine. Je songe à quelques scènes de l’inquisition, que je chasse vite de mes pensées.

Elle approche ses pinces, le stress est tangible. Avec les deux ostrogoths debout à côté, muets comme des carpes et prenant des notes derrière leur petite planche, il pourrait difficilement en être autrement. La main tremble, oscillations saccadées d’au moins un cm à droite et à gauche. Oh oh ! On se détend, ça va bien se passer !

Finalement, après un ou deux coups de flippe, je m’en sors relativement bien… Mais ce n’était que le début.

V’là le plombier

- Bon, maintenant je vais retirer votre drain. A mon signal, vous allez souffler en continu sans vous arrêter. Il se peut que ce soit un peu douloureux.

Il est un fait que lorsqu’on a un tuyau dans le bide, on n’a en fait aucune idée de sa longueur, en tous cas pour sa partie immergée. Pour ma part, sans trop y penser, je pensais qu’il y en avait euh… 3 cm ? Allez, 5, grand max.

Bon, elle me dit de souffler, donc je vais docilement souffler :
- Allez, vous êtes prêt ? 1,2,3, soufflez !
- Fffffffffffffffffff (couic) argggggh gnuuuuuuuuuuuuh
MAIS C’EST L’HORREUR VOTRE TRUC !
- C’est de votre faute, vous avez arrêté de souffler !
- Souffler, souffler, j’aimerais bien vous y voir !

Ah ! Comment décrire, comment qualifier, comment expliquer cette sensation ? La longueur de tuyau qu’il y avait là dedans, je ne saurais le dire, mais on était loin, bien loin des 5 cm. Plus que la douleur, certes désagréable, c’est l’impression proprioceptive (j’oserai même le néologisme introceptive) qui émane de tout cela.
Je vois aux yeux de merlan frit de certains qu’ils ne voient pas du tout de quoi je veux parler.
Bon, essayons dans un langage plus courant.
Disons que ça fait un peu comme si on vous sodomisait à l’envers, mais avec une anguille de 2 m. de long.
Ou mieux, c’est un peu comme si on vous aspirait le trou de balle par un orifice pratiqué dans le nombril. Ou comme si on vous remontait l’anus à travers 7 m. d’intestin avec un hameçon barbelé.
C’est plus clair, maintenant ?

Il est vraiment trop moignon !

Tout a une fin, même les soins d’évaluation de fin de stage. Ils s’en vont donc. Mais fausse alerte, ils reviennent. L’un des formateurs montre ma perfusion à la stagiaire :
- Tu vois là, la ligne rouge qui remonte jusqu’à l’avant-bras ?
- Argh ouais, j’avais pas vu !
- Ben oui, c’est un premier signe de lymphangite. Il faut toujours vérifier la perf’ avant de partir, et si tu vois ça, il faut la retirer.
La pauvre était toute rouge. J’eus pitié d’elle.
- Une lymphangite ? dis-je, goguenard. Mais ça préfigure la gangrène, ça, dites-moi.
- Tout à fait, me répond le formateur aguerri (ce qui est particulièrement utile pour un formateur infirmier, huhuhu), d’ailleurs nous pensons vous amputer aujourd’hui même.
- Bah, je ne suis pas rancunier. Vous viendrez me serrer le moignon avant que je sorte ?
- Je n’y manquerai pas ![1]

Ultime torture

Toutes les bonnes choses ont une fin, comme je disais, donc je finis par sortir. Je dirai même qu’ils m’ont foutu à la porte alors que je pouvais à peine arquer. Ça devait pousser au portillon.

Incapable de m’auto gérer dans un premier temps, je fus recueilli par mes géniteurs, loués soient-ils.

Cloué sur un pieu tout l’après-midi, je ne tardais pas à m’ennuyer. Aussi papa vint à mon secours :
- J’ai acheté toute la série des Charlie Chaplin en vidéo. J’ai regardé « le dictateur » hier, c’est excellent. Tu veux que je te le mette ?
- Oui, pourquoi pas ! (quel inconscient !)
Tout a bien été pendant quelques dizaines de secondes (le générique du début en fait). Et puis au premier gag…
- Ah ah ah ah aaaaaaaaaaaaïe
Ne pas rire, surtout ne pas rire
- Gngngngngngngngn aaaaaaaaaaïe
Ne pas se retenir de rire, surtout ne pas se retenir.
- Au secouuuuuuuuurs ! Eteignez-moi çaaaaaaaaïe
Ne pas crier, surtout ne pas crier.
Alors que faire ? Fermer les yeux… Heureusement, c’est un film muet.
Merci papa !

Epilationlogue

Le lendemain, je me fais ramener chez moi. Au moment où la crise d’appendicite m’avait pris brusquement, 6 jours plus tôt, elle ne m’avait pas prévenu. Elle ne m’avait pas envoyé de mail ou de sms : « tu ferais pas mal de faire le ménage à fond mon bonhomme, parce que je vais t’envoyer à l’hosto pour une semaine et quand tu reviendras, tu ressembleras à une descente de lit. »

Aussi, comme il se doit, suite à cette impolitesse notoire, je retrouvai un appartement pas propre et pas bien rangé, pour faire dans l’euphémisme.

Ma mère, qui me ramenait, eut pitié de moi :
- Je ne peux pas te laisser comme ça. Je vais faire le ménage pendant que tu te reposes.
Un peu gêné mais infiniment reconnaissant, j’acceptai. D’autant que Samira devait arriver le soir, et que Samira aimait les apparts propres et bien rangés, pour faire encore une fois dans l’euphémisme.

Elle arriva donc. Je me posais déjà moultes questions depuis un bout de temps sur le devenir de cette relation. La psychorigidité en particulier me posait de graves problèmes.
Mais là je me disais : « allez, carpe diem ! Sans prétendre pour autant à se faire bichonner comme un prince, avec toutes les excuses mielleuses et les salamalek (c’est le cas de le dire) que j’ai entendus pendant une semaine au téléphone, on peut quand même supposer qu’elle va être plutôt bien disposée »

Elle arrive donc, et moi toujours inapte à décoller du pieu.
- Bonjour, mon chéri, ça va un peu mieux ?
- Eh bien en fait…
- …oh mais dis donc (regard circulaire), c’est rudement propre et bien rangé ici. C’est quand même pas toi qui as fait ça ?
- Non, j’aurais eu du mal. C’est ma mère.
- QUOI ! TU AS LAISSE TA MERE FAIRE LE MENAGE A TA PLACE !!! MAIS T’AS PAS HONTE ?!!
Bon, on a dit : ne pas gueuler.
Mais on va faire une exception là, tant pis si je m’éventre.
- DEGAAAAAAAAAAAGE !!! [2]

Fin (des haricots)


Copyrat draleuq 2007
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1. Je n’avais plus de fièvre à ce moment là. L’authenticité de cette conversation est donc confirmée :)

2. Malheureusement, l’authenticité de cette conversation n’est pas plus contestable que la précédente.

draleuq, 17h29 :: :: :: [3 vilénies]

20 Février 2011 ::

« C'est grave docteur ? - 3ème partie »

:: Baratin

Ce billet fait partie d'une série qui en comporte quatre :

1. C'est grave docteur ? - 1ère partie
2. C'est grave docteur ? - 2ème partie
3. C'est grave docteur ? - 3ème partie
4. C'est grave docteur ? - 4ème partie


Un brin de hiérarchie hospitalière

Un matin, les ASH ont débarqué à trois. J’ai tout de suite trouvé ça louche : d’habitude, elles n’étaient que deux.

Mais ceci nécessite une petite explication de texte : qui sont donc les ASH ?
En haut de la hiérarchie des dames en blanc qu’on croise régulièrement (en dehors donc des médecins qu’on ne croise guère, car ils sont appelés à de hautes responsabilités et à de bas charcutages), nous avons les infirmières dont j’ai déjà parlé.
Juste en dessous, nous avons les aides soignantes, assignées à des tâches de soins subalternes. Elles parlent déjà beaucoup moins et sont donc beaucoup moins drôles.
Et puis tout en bas, nous avons les ASH, acronyme d’Agent du Service Hospitalier, qui s’occupent du ménage, du changement de draps, de la bouffe et de ramasser toutes les déjections hélas si fréquentes dans ce sympathique endroit qu’est un hôpital, ou une clinique en l’occurrence.

Il est bien sûr facile d’identifier les ASH par l’étiquette qu’elles portent sur leur blouse, et par le boulot qu’elles font. Mais un observateur aiguisé comme moi peut largement convenir d’autres points de convergence qui permettent de les reconnaître :
- Leur circonférence, en moyenne beaucoup plus élevée que celle de leurs homologues infirmières et aides soignantes
- Leur « franc-parler », et le fait qu’elles parlent très fort, à l’inverse des infirmières qui ont généralement une voix douce
- Le fait que le matin, quand elles s’adonnent à leurs tâches journalières, elles parlent, mais seulement entre elles, et généralement de sujets tout à fait captivants, exactement comme elles feraient s’il n’y avait pas de patient dans la pièce.
- Le fait qu’elles détestent leur travail : un jour, l’une d’entre elles me dit que c’était bien pour moi, que ça me faisait des congés supplémentaires. Louable effort pour changer de « y fait beau aujourd’hui, hein ? ». Je lui répondis que j’aimais mon métier et que ça ne m’arrangeait pas du tout en ce moment. Devant sa figure effarée, je compris tout de suite que cette notion lui était non seulement étrangère, mais était bien au-delà de sa compréhension.

Association des Sadiques Honteuses

Donc, ce matin-là, les ASH vinrent avec une troisième grosse en renfort.
- Allez M’sieur ! Faut vous lever ce matin ! dit l’une d’entre elles d’une voix tonitruante, faisant trembler les murs.
Du fait que je ne parvenais même pas à passer tout seul de la position couché à la position assis dans mon lit, j’avoue que l’idée de me lever ne m’avait pas même effleuré l’esprit.
- Euh… Vous êtes sûre ? osai-je timidement.
- Oui oui, c’est aujourd’hui !
Je comprenais par là qu’il s’agissait là d’un impératif pour ma santé. Etant assez bon en langues étrangères, et les ayant écoutées pendant trois jours, je réussissais sans problème à comprendre le langage ASH, à l’instar de Kevin Costner qui finit par comprendre le Sioux. Je prenais donc mon courage à deux mains et tentais de m’extirper du pieu.

Uuuuuune jambe… Aaaaaaïe
L’auuuuutre jambe… Aaaaaaaaaaïe
Se redress… AAAAAAAAAAAIE. Non. Non non non, ça va pas être possible aujourd’hui, mesdames, repassez dans trois semaines, ça ira beaucoup mieux, je danserai même la rumba en faisant des claquettes pour vous faire plaisir, mais là y’a pas moyen.
- Si si M’sieur faut vous lever. Allez, on va vous aider. Tiens Josette, pousse-le. Et toi Marie-Pierre, tire-le.
- Nan nan nan, nan merciiii… Je vais réessayer tout seul.

Imaginez cette scène pitoyable, chers lecteurs ! Votre serviteur incapable de se lever par ses propres moyens, malmené par une armée de brutasses à la carrure de talonneurs, aussi délicates que Mike Tyson avec son punching-ball, perdant patience assez rapidement devant leur incapacité à m’arracher du lit.
Pour sûr, je faisais moins le malin !
- Quand même, vous êtes chochotte ! Regardez ce petit gamin qui déambule en sautillant dans le couloir… Il a été opéré d’une appendicite le même jour que vous !
- Et gnagnagni et gnagnagna.

A toute chose malheur est bon. Mais ça fait chier quand même !

C’est vrai qu’il était prodigieusement agaçant ce gosse, à se promener comme ça avec sa perf' comme si de rien n’était, genre « même pas mal ! »
S’il n’y avait ma sympathie proverbiale à l’égard des moutards, et mon incapacité notoire à me mouvoir, je l’aurais bien tarté histoire de lui apprendre la politesse, à cet impudent qui venait se pavaner d’un air narquois sur le seuil de ma porte.
- Bonjour Monsieur, ça va aujourd’hui ?
- Bonjour, p’tit con, grmbbblgrrrrrrrr. OUI, ÇA VA !!!

Le toubib a eu beau me dire que c’est normal, qu’à trente ans on est déjà plus de la toute première jeunesse et qu’on se remet des opérations avec beaucoup plus de difficulté qu’à vingt ans, et à plus forte raison à 8 ans, c’était quand même rageant d’être aussi alerte qu’un centenaire poly arthritique.
Intéressante expérience en définitive, ça fait un peu réfléchir, sur le handicap et tout ça.

On dit qu’il faut essayer de ne jamais revoir ses ambitions à la baisse. Mais quand le simple fait de changer de calcife devient une grande victoire sur l’adversité, c’est qu’on a forcément ravisé ses prétentions.

Promis, je ne ferai plus jamais de blague débile sur les handicapés !..
En tous cas, je n’en ferai plus pendant au moins deux ou trois ans !..
Tout au moins, je n’en ferai plus jusqu’à ce que je sois remis sur pieds

Note : toutes mes excuses aux ASH qui liraient cela et qui ne se retrouveraient pas dans ma description. J'ai, bien entendu, conscience qu'il y a des exceptions. D'ailleurs, ne dit-on pas qu'elles confirment la règle ? :)

Copyrat draleuq 2007

draleuq, 19h43 :: :: :: [0 observation emphatique]

19 Février 2011 ::

« C'est grave docteur ? - 2ème partie »

:: Baratin

Ce billet fait partie d'une série qui en comporte quatre :

1. C'est grave docteur ? - 1ère partie
2. C'est grave docteur ? - 2ème partie
3. C'est grave docteur ? - 3ème partie
4. C'est grave docteur ? - 4ème partie


S’il vous plait, Madame l’infirmière,
Donnez-moi un peu d’espoir !
Moi j’ai si peur dans le noir !
(et euh… j’ai oublié la suite)

Elmer Food Beat


Un cas d’école

- Mmmmmh, je vois, je vois, vive douleur à la palpation au niveau de la fosse iliaque droite, démarche penchée en avant vers la droite. C’est une appendicite que vous avez … Et un cas d’école !
- Déformation professionnelle, sans aucun doute. Ma vocation est telle que même mes maladies sont des cas d’école.
- Bon, on va vous garder ce soir, et je vous opère demain matin.
- Qu’est ce que vous allez me faire exactement ?[1]
- Oula !
- Vous n’allez quand même pas me couper la jambe ?
- Avec la gangrène, c’est tout à fait possible.
- Noooooon, pitiééééé ! Ne me coupez pas la jambe ! Je préfère encore mourir !
- Oh, rassurez-vous, l’un n’empêche pas l’autre…

Ainsi me voilà cloué dans un nouveau lit. Une fois perfusé aux antibiotiques (dans ce cas précis, c’est automatique !) et aux calmants, Morphée a pitié de moi et m’accueille enfin dans son giron.

Complot chirurgical

Ainsi donc, après une nuit plutôt moyenne, me voilà, je n’irai pas jusqu’à dire frais et dispos, mais prêt à passer sur le billard.

Alors que le brancardier me pousse vers le bloc, je ne peux m’empêcher de songer à cette très vieille histoire du chirurgien bourré qui doit opérer son patient d’une appendicite et dont le scalpel dérape et coupe un de ses testicules, erreur fâcheuse qu’il répare comme il peut en remplaçant l’attribut par une petite pomme de terre, d’où l’étonnement du patient durant sa visite post opératoire : « je comprends pas, avant j’avais des morpions, maintenant j’ai des doryphores ».
Me voilà sur la table.

- « Bonjour Mr Draleuq ! » dit l’infirmière chef de bloc avec un grand sourire.
Je la scrute : sont-ce les manières très pro dans cette clinique qui obligent les infirmières chef de bloc à appeler tous les patients par leur nom ? Ou alors connais-je cette brave dame ? Et si oui, d’où la connais-je ?
- Vous ne me reconnaissez pas ? Je suis Madame Truc, vous savez, la maman d’Alice Truc.
Et là d’un seul coup, je comprends. Oui, LA Alice Truc, l’élève fille de Madame Truc, infirmière chef de bloc, et de Monsieur Truc, PDG de la firme Truc.
La Alice Truc que j’ai prise de nombreuses fois à attendre ses parents pendant une demi-heure et plus, à la sortie de l’école, non loin des clochards, fait que j’ai signalé par courrier à ses parents qui l’ont très mal pris, me répondant qu’il était inqualifiable pour un directeur d’école de laisser entendre qu’ils s’occupaient mal de leur fille, me demandant si je ne voulais pas aussi appeler la DDASS, tant que j’y étais. Parce que voyez-vous, Monsieur et Madame Truc ne voulaient pas payer la garde périscolaire, vu que c’est calculé au quotient familial, ça leur faisait trop cher.

Alors que je sombrais dans la nuit anesthésique, je vis le large sourire de Madame Truc se muer en rictus sarcastique, et je crus la distinguer en train de faire claquer ses gants chirurgicaux sur ses mains avant de les frotter l’une contre l’autre.
Je voulus crier : « Au secours ! Elle va me tuer ! », mais en vain, aucun son ne sortit de ma bouche.
Puis plus rien.

Les petites infirmières

Lorsque j’émergeai du coltard, je m’assurai aussitôt d’être entier et de ne trouver aucun doryphore. A priori, tout allait bien. Je ne savais pas ce que Madame Truc m’avait fait, mais j’y avais survécu.

Une bizarre tuyauterie raccordée à une sorte de réservoir en plastique sortait de mon ventre.
- C’est quoi ça ? dis-je au chirurgien lorsqu’il vint me voir
- C’est un drain. On va vous le laisser quelques jours le temps que toutes les saletés sortent.
- Un drain ? Mais alors, j’avais une PERITONITE !
- Hola hola, tout de suite les grands mots ! Disons juste que c’était une appendicite bien avancée ! Mais rassurez-vous, le pronostic vital n’est pas engagé ! Et puis voyez le bon côté des choses, vous allez être très bien ici avec toutes ces femmes à s’occuper de vous ! (clins d’œil)
- Eh oh ! Si tu veux ma place, prends mon handicap !

Parlons-en des petites infirmières. Pour commencer, il est notoire qu’elles ne sont pas toutes petites. Il y en a même qui sont plutôt grandes. Il y a un point en tous cas sur lequel leur réputation n’est pas galvaudée : elles sont vraiment charmantes, souriantes, et à vos petits soins. Sauf quand vous êtes lourdingue bien évidemment, mais il se trouve que je suis d’ordinaire plutôt bon malade. Gamin, même avec une grippe carabinée, je voulais me lever. Et quand j’avais fait une méningite virale, j’en avais marre de l’urinal et j’avais voulu me lever pour aller aux lieux d’aisance. A presque 42 de fièvre, j’avais pas été loin, et une infirmière m’avait ramassé par terre.

Du coup, parfaitement installé, régulièrement visité, et shooté comme il se doit par moulte pharmacopée intraveineuse, je devisais et déconnais gaiement avec ces charmantes infirmières. L’une d’elle, stagiaire, me prit tout particulièrement en sympathie, ce qui allait me coûter cher par la suite, comme vous le verrez.

Copyrat draleuq 2007
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1. On peut encore une fois douter de l’authenticité de la conversation à partir de ce point. J’avais de plus en plus de fièvre.

draleuq, 19h54 :: :: :: [0 soupir de satisfaction]

18 Février 2011 ::

« C'est grave docteur ? - 1ère partie »

:: Baratin

Ce billet fait partie d'une série qui en comporte quatre :

1. C'est grave docteur ? - 1ère partie
2. C'est grave docteur ? - 2ème partie
3. C'est grave docteur ? - 3ème partie
4. C'est grave docteur ? - 4ème partie


Sortant à peine des affres d'une GEA (c'est ce qu'il y a de marqué sur mon arrêt de travail, et je me suis demandé un moment ce que ça voulait dire, avant de comprendre que non, ce n'était pas le dernier fusil d'assaut de la firme Heckler & Koch, mais bien une Gastro-Entérite Aiguë), je me suis souvenu de ce petit feuilleton...

Vie de couple par procuration téléphonique

A cette époque-là, je tentais désespérément d’accorder mes violons avec une jeune médecin que nous nommerons Samira. Elle habitait loin (à moins que ce ne fût moi) et nous ne nous voyions pas plus d’une fois par mois en moyenne, et pour quelques jours.

Pourtant, elle m’imposait quotidiennement de longues conversations téléphoniques, histoire de faire « couple qui communique », conversations qui commençaient déjà sérieusement à me peser à l’époque, d’autant qu’il était essentiellement question de ses patients du jour.

Or, même si ma culture médicale était loin d’être complètement nulle, comme elle le disait fréquemment (c’est d’ailleurs un des seuls compliments dont je peux me souvenir), ça finissait quand même par devenir rengaine, surtout quand ça durait trois plombes.

Un cas unique dans les annales de la science : une appendicite infligée par téléphone !

Ce soir-là – c’était un dimanche, je m’en souviens fort bien – elle m’expliquait qu’elle avait diagnostiqué trois appendicites dans la journée, qu’après avoir appelé le chirurgien, on lui avait donné confirmation qu’elle ne s’était pas trompée, et que, décidément, qu’est-ce qu’il pouvait y avoir comme appendicites en ce moment, c’est pas croyable, la veille et l’avant-veille c’était déjà pareil !

Au détour d’une de ses phrases, alors que je l’écoutais patiemment en rongeant mon frein, debout et accoudé sur la télévision, je fus pris d’une légère nausée accompagnée d’un vertige.

J’ai cru qu’elle avait fini par m’incommoder avec son monologue médical. Je lui fis part du fait que je ne me sentais pas très bien, ce qui était vrai, et je pris congé pour aller aussitôt me coucher sans dîner, en me disant que le lendemain ça irait beaucoup mieux.

Vomira, vomira pas ?

Cette dernière pensée pré nocturne, comme beaucoup de mes pensées, qu’elles soient pré ou post nocturnes ou pré ou post diurnes, fut une funeste erreur de jugement. Hélas, je ne suis qu’un Homme. Pire que ça, je ne suis qu’un homme.
Aussi, loin de trouver le soulagement, je fus au contraire assailli de douleurs abdominales assez désagréables, de nausées et d’autres phénomènes digestifs sur lesquels je ne m’étendrai pas par respect pour les rares lecteurs de ces lignes ineptes. En tous cas, impossible de dormir.

Plus ou moins accoutumé aux désagréments de la tristement célèbre gastro-entérite (le moins souvent possible, mais comme chacun sait, on ne choisit pas), j’attribuai ces symptômes somme toute assez banaux à un tel virus, ou à une indigestion, tant il est vrai que ce n’était pas la saison de la gastro-entérite.
Mais je ne fermai pas l’œil de la nuit. Pas une heure, pas même une minute d’accalmie. « Voilà une gastro-entérite particulièrement couillue ! », me disais-je, hagard.

Vers 8 h 30 du matin, je devais me résoudre à appeler le travail pour leur dire qu’il ne fallait pas compter sur moi ce matin. Je pensais encore, alors, que ça allait enfin se calmer et que j’allais pouvoir un peu dormir dans la matinée, d’autant que j’avais dû absorber tous les Doliprane et Spasfon humainement possibles. Que nenni !

Allons allons, un gars robuste comme vous dans les pommes !?

Les heures passaient, et Morphée me refusait obstinément ses bras, ce sans-cœur !
A la fin de la matinée, je commençai enfin à me dire qu’il y avait anguille sous roche, et même, on peut le dire, petite fleur bleue sous tas de fumier. Je m’extirpai de mon pieu et traînai ma fièvre jusqu’au téléphone.

Oooooh putain, ça tourne…
Oooooooooh putain, je vais tomber…
Ooooooooooooooh putain, vite, s’asseoir…

Un instant plus tard, la lumière se rallume. J’accomplis mon intention initiale et téléphone à mon médecin traitant, ou plutôt à son aimable secrétaire filtreuse. J’obtiens un rendez-vous pour la soirée, en insistant un peu quand même. J’ai pas assez de pêche pour me battre contre elle et lui suggérer que c’est peut-être une urgence. Et pis je vais quand même pas appeler le SAMU !

Je regagnai donc mon lit et regardais ensuite passer les minutes, longues, très longues. Obligé une fois encore d’aller en certains lieux, je remarquai que la douleur s’était déportée, mais nettement. Une heure avant encore, ça diffusait à partir du creux de l’estomac, et là, ça avait bougé de 15 cm vers en bas à droite, comme si la bestiole qui me vrillait le bide avait brutalement décidé de déménager. Marcher complètement déplié était insupportable, il me fallait me pencher en avant, légèrement vers la droite.
Oh oh !

Au s’cours Môman !

Que faire dans ces cas-là ? Attendre jusqu’au soir ? Quand bien même je l’aurais fait, je n’étais pas sûr d’être apte à conduire.
Je n’avais plus qu’une solution, malgré mes 30 balais bien sonnés, appeler Maman à la rescousse !
« Allô Maman ? Euh, tu peux venir pour m’emmener chez le toubib ? Je suis plié en deux depuis hier soir et tu sais quoi ? Je crois bien que j’ai l’appendicite ! Fun, non ? »

Transportée par son atavique instinct, elle jaillit chez moi un quart d’heure plus tard. Le médecin consentit à ne pas attendre 18 h 00. Après un bref examen, tomba la sentence :
- C’est grave, Docteur ?
- Oh ça, mon brave, l’autopsie vous le dira ![1]
En attendant, il faut vous faire hospitaliser. Vous préférez l’hôpital ou la clinique ?
- Euh ? Que me conseillez-vous ?
- Eh bien, si vous allez à l’hôpital, vous irez aux urgences, ils vous prendront quand ils pourront. Si vous allez à la clinique, j’appelle le chirurgien tout de suite et il vous recevra en arrivant.
- Euh… La clinique alors.

copyrat draleuq 2007
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1. Je ne suis plus très sûr de l’authenticité de cette phrase. J’avais de la fièvre, voyez-vous.

draleuq, 15h19 :: :: :: [1 intervention abstruse]

9 Février 2011 ::

« Les Phéniciens : splendeurs et infanticides »

:: Histoire - Inclassable

Splendeurs

Les Phéniciens étaient les habitants de l'Antique Phénicie (territoire actuel du Liban, à peu de choses près). Ce pays était organisé en "cités-état" dont les plus célèbres étaient Tyr, Sidon et Byblos. Tyr s'imposa cependant progressivement comme la capitale.
Peuple de commerçants et de navigateurs, ils se firent connaître à partir de 3000 avant J.C. en fondant des comptoirs commerciaux sur toutes les côtes méditérranéennes : à Chypre, en Sicile, en Sardaigne, en Libye, à Malte (dont le nom actuel vient du mot phénicien "malat" qui signifie "lieu sûr"... Les luzzus, bateaux du port maltais de Marsaxlokk, conservent dans leur apparence la tradition phénicienne).

Ces comptoirs avaient une vocation commerciale, et non coloniale. Il existe en fait un seul exemple de colonie phénicienne, c'est la célèbre Carthage, fondée en 814 avant Jésus-Christ.





Les yeux peints sur les "luzzus", bateaux de pêche traditionnels au port maltais de Marsaxlokk,
sont un héritage des phéniciens (photo draleuq)


Avec leurs "vaisseaux noirs" (ils avaient cette couleur car les bougres maîtrisaient déjà le calfatage des navires au bitume), les Phéniciens remontaient les fleuves comme ils traversaient les mers, s'orientant grâce à la Petite Ourse que les Grecs appelèrent d'ailleurs "la Phénicienne."

Ce furent les Grecs qui les appelèrent Phéniciens car c'est grâce à eux qu'ils connurent la pourpre ("phoinix" en Grec). Les historiens leur attribuent également rien moins que l'invention de l'alphabet, et certains autres l'invention du verre, bien qu'il est plus probable qu'ils ne furent que ceux qui le diffusèrent dans tout le bassin méditerranéen.

La Phénicie résista à de multiples attaques : les Peuples de la mer, les Athéniens, les Assyriens, les Babyloniens de Nabuchodonosor, les Perses de Darius III. Elle succomba finalement à l'invasion d'Alexandre le Grand, en 332 avant J.C.

Mais Carthage, indépendante de la mère patrie depuis très longtemps (en fait pratiquement depuis son origine), continua à prospérer, jusqu'aux trois guerres puniques contre Rome qui finirent par entraîner sa chute[1].
A noter que le terme "punique" vient du fait que les Romains appelaient les Carthaginois "punicii", dérivé du Grec "phoinix". Leurs origines phéniciennes étaient donc bien loin d'être ignorées.



Ruines de Carthage rattrapées par la végétation (photo draleuq)



Masques Phéniciens retrouvés à Carthage,
exposés au musée National tunisien du Bardo (photo draleuq)


Infanticides

Parmi les innombrables coutumes et rites que les Carthaginois avaient conservé de leurs ancêtres Phéniciens, il y avait le très décrié sacrifice d'enfants.

Ce sacrifice, appelé moloch, consistait à ce que chaque famille jette son premier né dans un brasier pour s'attirer les faveurs du Dieu Baal. Il est parfois dit à tort, que Moloch est le Dieu au nom duquel le sacrifice est fait, alors que c'est bien le nom du sacrifice lui-même.

Baal donna lieu à de nombreux dérivés, parmi lesquels Baal-Bek (ville phénicienne devenue ensuite Héliopolis sous les Romains, aujourd'hui située au Liban et classée patrimoine mondial de l'UNESCO, tout comme Tyr et Byblos) , Baal-Zebbub (qui a dérivé ensuite vers Belzébuth), et Baal-Hammon, qui était précisément adoré à Carthage comme Dieu des moissons et des récoltes, avec sa parèdre, une Déesse femme nommée Tanit, bien que Baal-Hammon fût lui-même hermaphrodite.

On voit bien que ce rite barbare a très tôt entraîné la diabolisation, c'est le cas de le dire, de la religion de Baal et de ses dérivés, par les juifs tout d'abord (Belzébuth, Baal et Moloch sont trois termes désignant des faux-dieux ou des démons dans la tradition hébraïque et dans la Torah), puis par les Romains qui s'en servirent notamment, entre autres prétextes, pour justifier la Troisième Guerre Punique, guerre d'agression destinée à raser Carthage.



"Le sacrifice d'Elie et le sacrifice des Prêtres de Baal"
(vitrail du début du XVIIème siècle, cloître de l'Eglise St Etienne du Mont à Paris - photo draleuq)


Ils prouvèrent pourtant, notamment par la suite avec les chrétiens, qu'ils n'avaient pas de leçons à donner en matière de barbarie.

La pratique de l'infanticide est cependant incontestable dans la grande cité de Carthage, car on en a retrouvé des traces archéologiques convaincantes.

Il semble cependant que les derniers temps, les couples Carthaginois préféraient substituer à leur propre enfant, pour le moloch, un jeune esclave qu'ils adoptaient pour l'occasion, avant de donner naissance à leur premier enfant. Un détournement du rite religieux dû sans aucun doute à la montée du sentiment d'amour parental.


A gauche : urnes ayant contenu les cendres d'enfants sacrifiés (ruines de Carthage - photo draleuq)
A droite : armure punique représentant le Dieu Baal'Hammon (Musée de Carthage)

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1. Voir ici les articles de finipe pour un topo complet sur les trois guerres puniques

draleuq, 11h14 :: :: :: [7 éclaircissements pompeux]

3 Février 2011 ::

« Histoire de la baïonnette »

:: Histoire - Inclassable

Les origines

Cocorico ! Vous l’aurez deviné, les Américains n’ont pas la primeur de toutes les inventions en matière d’assassinat, puisque la baïonnette est une invention française et bien française.
Son nom vient en fait de la région de Bayonne, où des paysans avaient eu l’idée d’emmancher une pointe acérée au bout d’un long bâton dans le but d’en faire une arme. Ceci n’est pas daté avec précision, mais remonterait sans doute au Moyen-Age.



La Rue des Faures, corporation des ferroniers au Moyen-Age, les inventeurs de la baïonnette (photo draleuq)


Sous Louis XIV

Dès 1642, le principe fut repris par l’armée de Louis XIV. En effet, à l’époque de son père, Louis XIII, l’infanterie se divisait en deux catégories de soldats, les piquiers et les mousquetaires. Les premiers, étant deux fois plus nombreux que les seconds, avaient pour mission d’arrêter les charges de cavalerie.
Sous Louis XIV, le fusil remplaça le mousquet, ce qui accrût fortement la cadence de tir des soldats, mais ne suffisait pas encore à repousser à coup sûr la cavalerie. Afin de rendre les troupes plus polyvalentes, on leur donna donc une baïonnette, pointe de métal avec un embout en bois que l’on enfonçait dans le canon pour recevoir la cavalerie une fois que le fusil avait tiré. Ce dispositif mit donc fin à l’ère de la pique en 1642.
En 1689, la chose fut encore améliorée par l’invention (toujours française) de la baïonnette à douille. La pointe de métal était maintenant fixée à une bague que l’on enserrait autour du canon du fusil, ce qui permettait de tirer alors que la baïonnette était en place.
Cette invention, avec celle de la grenade[1], contribua fortement à faire de l’armée du Roi Soleil la meilleure du monde...


Baïonnette française à douille modèle 1764


Première guerre mondiale

La baïonnette à douille devait être adoptée par toutes les armées du monde, et rester l’arme de corps-à-corps principale de tous les conflits jusqu’à la fin de la première guerre mondiale, avec des variantes...
La baïonnette anglaise adaptée au fusil modèle 1907 était une petite épée qui faisait passer la longueur totale de l’arme de 1,10 m. à 1,50 m. La baïonnette allemande était à peu près semblable, bien que la longueur totale soit supérieure car le fusil Mauser était plus long. La baïonnette française, elle, était différente : ce n’était pas une lame, mais une pique cruciforme qui faisait passer la longueur totale du fusil Lebel de 1,32 m. à 1,83 m. Sa forme « ergonomique » était prévue pour que le combattant fasse un quart de tour vers la gauche avec son fusil avant de ressortir la baïonnette du corps de son ennemi. Ceci était censé provoquer une hémorragie interne qui ne laissait aucune chance de survie à l'adversaire. Il faut dire que la doctrine de guerre française en 1914 était : « seul le mouvement en avant porté jusqu’au corps-à-corps est décisif et irrésistible ». Une doctrine qui allait vite prendre du plomb dans l’aile, c’est le cas de le dire, en face des redoutables « machines à coudre » prussiennes.


"Sword Bayonet" britannique Lee Enfield modèle 1907



Baïonnette française Lebel modèle 1886


Nos ennemis d’outre-Rhin ne furent pas en reste, d’ailleurs, des variantes « imaginatives » de la baïonnette. En effet, on constata avec horreur que les redoutables « Stösstruppen » (troupes d’assaut) avaient pris l’habitude de cranter le dos de la lame de leur instrument, ce qui avait pour effet très visuel de faire ressortir toutes les tripes de la pauvre victime en même temps que la lame. Les alliés intervinrent auprès de la Convention de Genève (qui avait déjà été bafouée à coups de gaz toxiques et de lance-flammes) pour faire interdire ce procédé barbare et obtinrent gain de cause. Les petits malins qui étaient faits prisonniers alors qu’ils se trimbalaient avec une « scie à tripes » étaient tout simplement fusillés sur le champ. Les allemands abandonnèrent donc cet ustensile de cuisine sans se faire prier.[2]
Mais même dans les corps-à-corps (épreuve redoutée entre toutes par les soldats même vétérans, dont les témoignages rapportèrent que l’angoisse était presque insupportable quand retentissait le fameux ordre de « baïonnette au canon ») la baïonnette ne tarda pas à montrer ses limites dans l’environnement confiné des tranchées de la guerre 14. Les soldats mettaient trop de temps à la sortir du corps de leur ennemi, et c’était prendre un gros risque au milieu d’une mêlée générale. De plus, arrivés dans la tranchée, les fantassins avaient le plus grand mal à manoeuvrer un objet aussi long. La baïonnette française était inutilisable à la main. Les versions anglaise et allemande l’étaient à la rigueur, mais manquaient considérablement de maniabilité. C’est donc tout naturellement que les vétérans remplacèrent progressivement les baïonnettes par des outils portatifs comme les pelles de tranchée et des casse-tête de bois ferré appelés « massues de tranchées ».

Quant aux troupes d’assaut spécialisées dans le « nettoyage de tranchées », qui se créèrent dans toutes les armées belligérantes à partir de 1915, elles optèrent pour le revolver, la grenade et le couteau de tranchée, qui était en fait un poignard beaucoup plus court que la baïonnette.

Seconde guerre mondiale et après

Pendant la seconde guerre mondiale, la plupart des armées possédaient encore la baïonnette réglementaire adaptable au canon du fusil (on ne se détache pas si facilement des « bonnes habitudes »), mais celle-ci s’était souvent raccourcie pour que le fantassin puisse l’utiliser à la main. Et dans les faits, ils ne l’utilisèrent presque plus que de cette manière.
Par exemple, le fusil semi-automatique français MAS 36 (modèle 1936) mesurait 1,02 m. seul, et 1,32 m. avec la baïonnette.


Baïonnette allemande Mauser modèle 98k (2ème guerre mondiale)


Aujourd’hui encore, le FAMAS, fusil d’assaut composite entièrement automatique en service dans l’armée française depuis 1979, possède une baïonnette adaptable au canon. Bien entendu, étant donnée la très faible longueur du FAMAS, ce n’est qu’une arme d’apparat qui ne sert que pour les défilés officiels, pour faire joli. La baïonnette elle-même est toutefois assez courte pour constituer un redoutable couteau de combat...


Cette photo (source : ECPAD, site de l'armée française) nous montre une "ravissante" fusilier marin dans sa tenue d'apparat, avec l'incontournable FAMAS et sa non moins incontournable baïonnette.


La charge de Twin Tunnels

Elle est réputée être la dernière charge à la baïonnette officielle de l'armée française. Elle eut lieu pendant la Guerre de Corée, le 1er février 1951.

A la fin de la seconde guerre mondiale, la Corée fut libérée de l'occupation japonaise par les Américains au sud et par les Russes au nord. Il en résulta une partition du pays en deux états, l'un communiste, l'autre capitaliste, comme en Allemagne. La frontière était sur le 38ème parallèle. Mais le 25 juin 1950, l'armée du Nord envahit la Corée du sud. Deux jours plus tard, la toute jeune Organisation des Nations Unies décide une intervention armée pour aider la Corée du sud contre cette agression. Une coalition de 21 pays, de l'Australie à la Turquie en passant par les Pays-Bas et la Colombie, dirigée par l'armée U.S., sous le commandement du célèbre général Mac Arthur, va aller soutenir l'armée du sud mal en point. Les Coréens du nord, d'abord malmenés par cette riposte, rétablissent ensuite l'équilibre avec l'aide de nombreuses divisions chinoises envoyées en renfort par Mao.
Durant 3 ans, cette terrible guerre, considérée par les historiens comme la dernière guerre d'infanterie de l'histoire, va mettre aux prises 5 millions d'hommes, provoquer la mort de 2,5 millions d'entre eux, et se terminer par un status quo sur le 38ème parallèle.



Massacre de Taejon, commis par des soldats nord-coréens en retraite


La France envoya en Corée un Bataillon composé de 1 017 volontaires en provenance de toutes les armes. Intégré à la 2ème "Indian Head" U.S Infantry Division, le BF/ONU sera de tous les coups durs pendant 3 ans. Au fur et à mesure que les pertes seront comblées (280 morts, 1 350 blessés, 12 prisonniers et 7 disparus), c'est finalement 3 421 hommes qui auront pris part à ce bataillon, commandé au départ par Raoul-Charles Vernerey, dit Monclar.

Le parcours de Monclar mérite qu'on s'y attarde quelques instants : né en 1892, il entre à St Cyr en 1912 (après avoir fugué à 15 ans pour se rendre... à la Légion Etrangère !). Blessé 7 fois durant la première guerre mondiale, il la termine au rang de capitaine, réformé à 90 % pour ses blessures. Dans l'entre deux-guerres, il intègre pourtant la Légion Etrangère (son rêve de jeunesse) où il brille notamment durant la campagne du Maroc en 1927. En juin 1940, il commande une demi-brigade et s'offre la seule victoire incontestable des français sur l'armée allemande, à Narvik en Norvège. Vue la situation calamiteuse au pays, il ne peut l'exploiter et s'enfuit en Angleterre avec 500 hommes où il forme immédiatemment un bataillon des Forces Françaises Libres. Après le débarquement en Afrique-du-Nord, il ridiculise l'armée Italienne en Erythrée où 14 000 soldats de Mussolini sont capturés. En 1950, à la veille de la retraite, il est général de corps d'armée, lorsqu'il se porte volontaire pour commander le BF/ONU en Corée. Pour ce faire, il n'hésite pas à être rétrogradé au grade de lieutenant-colonel ! Un an plus tard, frappé par la limite d'âge, il doit (à regret, on l'imagine) céder son commandement. Gouverneur de l'Hôtel des Invalides en 1962, lui-même invalide à 100 %, Chevalier de la Légion d'Honneur, titulaire de 17 citations à l'ordre de l'armée, de la Military Cross britannique, de la Silver Star américaine, et de N autres décorations étrangères, il meurt en 1964. Ouf.
Quant au Bataillon de Corée, sans même prendre le temps de rentrer au bercail, il paiera également de sa personne en Indochine et en Algérie, où il sera rebaptisé 156 ème régiment d'infanterie avant d'être dissous dans les années 60.


A gauche, le lieutenant-colonel Monclar, commandant du BF/ONU. A droite, le Général américain Douglas Mac Arthur, commandant des forces de l'ONU en Corée.



Insignes du BF/ONU et de la 2ème division US "Indian head" dont il faisait partie


Le 1er février 1951, le BF/ONU se retrouve encerclé à Twin Tunnels, près de Chipyong Ni, par la 125ème division de volontaires chinois, à près de 30 km en avant de la ligne de front des alliés.
Après avoir repoussé un grand nombre d'attaques ennemies, les français déclenchent une contre-attaque victorieuse à la baïonnette pour se dégager de leur encerclement. Cette charge met la 125ème division chinoise hors de combat. Les pertes françaises à Twin Tunnels sont de 32 tués et 180 blessés.

Ce fait d'armes eut un retentissement international, tout particulièrement aux USA où il fut porté aux nues par la presse. Il valut d'ailleurs au BF/ONU une "citation présidentielle" outre-atlantique.


Le général Ridgway, commandant la 2ème division US "Indian Head", passe en revue le BF/ONU
en février 1951, après la victoire de Chipyong-Ni



Ordre du jour du Général Ridgway, Commandant la 2° D.I. (février 1952) :

"Sujet : la baïonnette"
"La baïonnette n’est peut-être pas la dernière arme secrète de l’armée des Nations-Unies, mais elle a un pouvoir agressif indiscutable. J’ai entendu parler deux fois de la baïonnette dans la guerre de Corée, une fois par les Turcs, une autre fois par les Français.
Il sera rappelé à toutes les unités que cet instrument n’a pas été inventé uniquement pour ouvrir les boîtes de conserves."

Signé : Ridgway.


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1. Les premières grenades n'étaient rien d'autre que des boules de terre cuite remplies de poudre auxquelles on ajoutait une mèche. Aussi dangereuses pour le lanceur que pour la cible.

2. Cette anecdote est notamment relatée dans l'excellent "A l'ouest rien de nouveau" d'Erich Maria Remarque.

draleuq, 22h26 :: :: :: [1 méditation grotesque]

2 Février 2011 ::

« Comment faire pour prendre perpet' ? »

:: Paparatzi

On a tous un jour ce qu’on mérite.

C. Eastwood ("Impitoyable")


Comme le meurtrier de Laëtitia va, cette fois-ci, prendre le maximum (perpet' avec seulement 22 ans de sûreté), du moins on peut raisonnablement l'espérer, c'est le moment de ressortir ce petit billet.
C'est fou comme c'est intéressant de rééditer des articles. Outre le fait que ça ne demande pas trop d'efforts, ça permet aussi de se rendre compte qu'année après année, les problèmes restent toujours les mêmes !


L’actualité de ces derniers jours a été riche en peines de réclusion criminelle à perpétuité pour des multirécidivistes coupables de viols et de meurtres. Ceci m’a rappelé une anecdote de 2006 qui m’avait pour le moins interloqué.
Un collectif de détenus de la Centrale de Clairvaux, dans l’Aube, prison réservée à des « très longues peines », avait écrit à l’AFP (ou s’était fait écrire) une lettre poignante et déchirante demandant à ce qu’on rétablisse « la peine de mort pour eux-mêmes », puisqu’ils n’avaient « pas d’espoir de sortie ».

Ceci pouvait donner foi au bruit qui a longtemps couru comme quoi les condamnés à perpétuité préféreraient la peine de mort plutôt que de moisir en taule toute leur vie. Or, les abolitionnistes d’Amnesty International (dont je soutiens le combat) nient formellement cette idée reçue, s’appuyant sur les témoignages convaincants des condamnés à mort dont ils s’occupent, qui disent quasiment tous qu’ils signeraient immédiatement pour une commutation de leur peine en prison à vie.

Il paraît donc évident que cette lettre pathétique des « emmurés vivants » de Clairvaux n’était qu’une tentative de manipulation de l’opinion, et qu’ils ne l’ont écrite que parce qu’ils savaient très bien que la réponse ne pouvait être que négative.

Je sais que c’est impossible, mais j’aurais bien aimé que, pour vérifier mon hypothèse, on s’amuse à accepter leur requête, rien que pour voir la tête qu’ils auraient perdue faite. Ensuite, on aurait ajouté que bien entendu, il s’agissait d’une blague, et que la Constitution française interdisait de revenir en arrière sur ce sujet.
En aparté, on aurait pu aussi préciser qu’après tout, si la vie leur était à ce point insupportable, il leur restait toujours la possibilité d’y mettre un terme de leur propre initiative, ce qui aurait eu le mérite de soulager les contribuables du coût exorbitant de leur entretien. Enfin une bonne action.
« Comment ? » auraient-ils répondu innocemment. Les faits divers montrent pourtant bien qu’un détenu qui est réellement décidé à se foutre en l’air y parvient sans problème. Mais allez savoir pourquoi, ceux qui y arrivent sont rarement des condamnés à perpét’…

Je ne pense pas être particulièrement cruel, ni manquer de la plus élémentaire des humanités, mais j’avoue bien volontiers que ma compassion envers ce genre d’individus est plus que limitée. Il faut dire que l’actualité judiciaire et criminelle est là pour nous rappeler régulièrement à quel point il est difficile, dans ce pays, de se faire mettre hors d’état de nuire une bonne fois pour toutes lorsqu’on est un danger public.
Y’a pas à dire, pour prendre perpét’, il faut vraiment y mettre du sien ! Ça s’improvise pas, ça se travaille, c’est toute une discipline de vie, toute une philosophie existentielle, toute une manière de voir les choses. Faut s’accrocher, travailler d’arrache-pied, ne pas avoir peur de faire des sacrifices, savoir persévérer, ne pas se laisser décourager par les échecs. Seuls les meilleurs y parviennent… et ils sont rares, les heureux élus !

Cette lettre fut donc l’occasion d’une conversation msn déjantée entre mon con-frère finipe et moi-même, sur ce thème épineux : que faudrait-il faire, a minima, pour être vraiment, mais alors vraiment sûr de prendre perpét’ ?
Evidemment, le résultat est particulièrement cynique et à prendre au 38ème degré. Je vous aurai prévenus.

draleuq - Tiens, lis cette dépêche que je viens de choper sur le web :
Dix détenus de la centrale de Clairvaux dans l’Aube, condamnés à perpétuité, réclament le « rétablissement effectif de la peine de mort » pour eux-mêmes.
« Assez d'hypocrisie ! Dès lors qu'on nous voue en réalité à une perpétuité réelle, sans aucune perspective effective de libération à l'issue de notre peine de sûreté, nous préférons encore en finir une bonne fois pour toute que de nous voir crever à petit feu, sans espoir d'aucun lendemain après bien plus de 20 années de misères absolues », écrivent les dix détenus dans une lettre adressée à l’AFP.
« Nous, les emmurés vivants à perpétuité du centre pénitentiaire le plus sécuritaire de France (...), nous en appelons au rétablissement effectif de la peine de mort pour nous ».
« Après de telles durées de prison, tout rescapé ne peut que sortir au mieux sénile et totalement brisé. En pareil cas, qui peut vraiment se réinsérer socialement ? En fait, pour toute alternative, comme avant 1981, ne nous reste-il pas mieux à trouver plus rapidement dans la mort notre liberté? », ajoutent les dix signataires.

d - les pauv' chéris
d - plaignons les ces caliméros
d - c'est vraiment trop inzuste
finipe - pauvres, pauvres PÔÔÔVRES violeurs d'enfants, meurtriers de vieilles dames...
d - oui c'est vrai
d - je suis désappointé par cette sévérité inhumaine
f - et moi donc
d - je vois en tous cas qu'en prison ils ont appris à écrire
f - huhuhu
d - ils sont trop négatifs
f - faut voir le bon côté des choses
d - ben voilà
f - nourris, logés blanchis
d - C’est pas la prison qui tue, c’est le pessimisme
f - du temps pour lire et tout
d - et la mort, aussi, elle tue... c’est bien connu
f - c'est bien
f - faudra que j'aille violer une petite fille

d - mmh pour prendre perpét avec 28 ans de sûreté, il te faudra plus que ça
f - et puis ils connaissent l'amour ! Les gros tatoués qui les enculent sous les douches
d - il faudra aussi la séquestrer et la torturer pendant quelques jours
f - ah ben ouais
d - voire quelques semaines
d - et bien entendu
d - la tuer
d - ça va de soi
d - de la manière la plus sale qui soit
f - oui, et abandonner son corps dans une décharge aussi
d - la re-violer post mortem sera un bonus apprécié à sa juste valeur par les jurés
f - bleuarrrf
d - dans une décharge oui, mais après l'avoir découpée en morceaux pour la rendre méconnaissable
d - sinon, ils seraient foutus de trouver que tu l'as fait exprès pour te faire serrer
d - donc que t'es fou et qu'il faut te relaxer
f - ah oui merde
f - je sais pas ce qui est le mieux : rester enfermé dans un asile en bavant sur sa camisole ou être en QHS

d - j'enregistre cette conversation
f - huhu
d - ça servira de preuve aux flics quand ils viendront prendre l'unité centrale
d - comme ça ils seront sûrs que c’était prémédité
f - gnuhuhuhu

Copyrat draleuq 2007

draleuq, 20h34 :: :: :: [1 assertion inepte]