Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

On a souvent besoin d'un plus petit que soi
C'est ce qu'on dit
Parfois, l'ignorance assassine joyeusement le règne animal. C'est ainsi que l'Histoire s'amenuise, se précipitant vers le silence du post-modernisme
Confunius ::
Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

3 Février 2011 ::

« Histoire de la baïonnette »

:: Histoire - Inclassable

Les origines

Cocorico ! Vous l’aurez deviné, les Américains n’ont pas la primeur de toutes les inventions en matière d’assassinat, puisque la baïonnette est une invention française et bien française.
Son nom vient en fait de la région de Bayonne, où des paysans avaient eu l’idée d’emmancher une pointe acérée au bout d’un long bâton dans le but d’en faire une arme. Ceci n’est pas daté avec précision, mais remonterait sans doute au Moyen-Age.



La Rue des Faures, corporation des ferroniers au Moyen-Age, les inventeurs de la baïonnette (photo draleuq)


Sous Louis XIV

Dès 1642, le principe fut repris par l’armée de Louis XIV. En effet, à l’époque de son père, Louis XIII, l’infanterie se divisait en deux catégories de soldats, les piquiers et les mousquetaires. Les premiers, étant deux fois plus nombreux que les seconds, avaient pour mission d’arrêter les charges de cavalerie.
Sous Louis XIV, le fusil remplaça le mousquet, ce qui accrût fortement la cadence de tir des soldats, mais ne suffisait pas encore à repousser à coup sûr la cavalerie. Afin de rendre les troupes plus polyvalentes, on leur donna donc une baïonnette, pointe de métal avec un embout en bois que l’on enfonçait dans le canon pour recevoir la cavalerie une fois que le fusil avait tiré. Ce dispositif mit donc fin à l’ère de la pique en 1642.
En 1689, la chose fut encore améliorée par l’invention (toujours française) de la baïonnette à douille. La pointe de métal était maintenant fixée à une bague que l’on enserrait autour du canon du fusil, ce qui permettait de tirer alors que la baïonnette était en place.
Cette invention, avec celle de la grenade[1], contribua fortement à faire de l’armée du Roi Soleil la meilleure du monde...


Baïonnette française à douille modèle 1764


Première guerre mondiale

La baïonnette à douille devait être adoptée par toutes les armées du monde, et rester l’arme de corps-à-corps principale de tous les conflits jusqu’à la fin de la première guerre mondiale, avec des variantes...
La baïonnette anglaise adaptée au fusil modèle 1907 était une petite épée qui faisait passer la longueur totale de l’arme de 1,10 m. à 1,50 m. La baïonnette allemande était à peu près semblable, bien que la longueur totale soit supérieure car le fusil Mauser était plus long. La baïonnette française, elle, était différente : ce n’était pas une lame, mais une pique cruciforme qui faisait passer la longueur totale du fusil Lebel de 1,32 m. à 1,83 m. Sa forme « ergonomique » était prévue pour que le combattant fasse un quart de tour vers la gauche avec son fusil avant de ressortir la baïonnette du corps de son ennemi. Ceci était censé provoquer une hémorragie interne qui ne laissait aucune chance de survie à l'adversaire. Il faut dire que la doctrine de guerre française en 1914 était : « seul le mouvement en avant porté jusqu’au corps-à-corps est décisif et irrésistible ». Une doctrine qui allait vite prendre du plomb dans l’aile, c’est le cas de le dire, en face des redoutables « machines à coudre » prussiennes.


"Sword Bayonet" britannique Lee Enfield modèle 1907



Baïonnette française Lebel modèle 1886


Nos ennemis d’outre-Rhin ne furent pas en reste, d’ailleurs, des variantes « imaginatives » de la baïonnette. En effet, on constata avec horreur que les redoutables « Stösstruppen » (troupes d’assaut) avaient pris l’habitude de cranter le dos de la lame de leur instrument, ce qui avait pour effet très visuel de faire ressortir toutes les tripes de la pauvre victime en même temps que la lame. Les alliés intervinrent auprès de la Convention de Genève (qui avait déjà été bafouée à coups de gaz toxiques et de lance-flammes) pour faire interdire ce procédé barbare et obtinrent gain de cause. Les petits malins qui étaient faits prisonniers alors qu’ils se trimbalaient avec une « scie à tripes » étaient tout simplement fusillés sur le champ. Les allemands abandonnèrent donc cet ustensile de cuisine sans se faire prier.[2]
Mais même dans les corps-à-corps (épreuve redoutée entre toutes par les soldats même vétérans, dont les témoignages rapportèrent que l’angoisse était presque insupportable quand retentissait le fameux ordre de « baïonnette au canon ») la baïonnette ne tarda pas à montrer ses limites dans l’environnement confiné des tranchées de la guerre 14. Les soldats mettaient trop de temps à la sortir du corps de leur ennemi, et c’était prendre un gros risque au milieu d’une mêlée générale. De plus, arrivés dans la tranchée, les fantassins avaient le plus grand mal à manoeuvrer un objet aussi long. La baïonnette française était inutilisable à la main. Les versions anglaise et allemande l’étaient à la rigueur, mais manquaient considérablement de maniabilité. C’est donc tout naturellement que les vétérans remplacèrent progressivement les baïonnettes par des outils portatifs comme les pelles de tranchée et des casse-tête de bois ferré appelés « massues de tranchées ».

Quant aux troupes d’assaut spécialisées dans le « nettoyage de tranchées », qui se créèrent dans toutes les armées belligérantes à partir de 1915, elles optèrent pour le revolver, la grenade et le couteau de tranchée, qui était en fait un poignard beaucoup plus court que la baïonnette.

Seconde guerre mondiale et après

Pendant la seconde guerre mondiale, la plupart des armées possédaient encore la baïonnette réglementaire adaptable au canon du fusil (on ne se détache pas si facilement des « bonnes habitudes »), mais celle-ci s’était souvent raccourcie pour que le fantassin puisse l’utiliser à la main. Et dans les faits, ils ne l’utilisèrent presque plus que de cette manière.
Par exemple, le fusil semi-automatique français MAS 36 (modèle 1936) mesurait 1,02 m. seul, et 1,32 m. avec la baïonnette.


Baïonnette allemande Mauser modèle 98k (2ème guerre mondiale)


Aujourd’hui encore, le FAMAS, fusil d’assaut composite entièrement automatique en service dans l’armée française depuis 1979, possède une baïonnette adaptable au canon. Bien entendu, étant donnée la très faible longueur du FAMAS, ce n’est qu’une arme d’apparat qui ne sert que pour les défilés officiels, pour faire joli. La baïonnette elle-même est toutefois assez courte pour constituer un redoutable couteau de combat...


Cette photo (source : ECPAD, site de l'armée française) nous montre une "ravissante" fusilier marin dans sa tenue d'apparat, avec l'incontournable FAMAS et sa non moins incontournable baïonnette.


La charge de Twin Tunnels

Elle est réputée être la dernière charge à la baïonnette officielle de l'armée française. Elle eut lieu pendant la Guerre de Corée, le 1er février 1951.

A la fin de la seconde guerre mondiale, la Corée fut libérée de l'occupation japonaise par les Américains au sud et par les Russes au nord. Il en résulta une partition du pays en deux états, l'un communiste, l'autre capitaliste, comme en Allemagne. La frontière était sur le 38ème parallèle. Mais le 25 juin 1950, l'armée du Nord envahit la Corée du sud. Deux jours plus tard, la toute jeune Organisation des Nations Unies décide une intervention armée pour aider la Corée du sud contre cette agression. Une coalition de 21 pays, de l'Australie à la Turquie en passant par les Pays-Bas et la Colombie, dirigée par l'armée U.S., sous le commandement du célèbre général Mac Arthur, va aller soutenir l'armée du sud mal en point. Les Coréens du nord, d'abord malmenés par cette riposte, rétablissent ensuite l'équilibre avec l'aide de nombreuses divisions chinoises envoyées en renfort par Mao.
Durant 3 ans, cette terrible guerre, considérée par les historiens comme la dernière guerre d'infanterie de l'histoire, va mettre aux prises 5 millions d'hommes, provoquer la mort de 2,5 millions d'entre eux, et se terminer par un status quo sur le 38ème parallèle.



Massacre de Taejon, commis par des soldats nord-coréens en retraite


La France envoya en Corée un Bataillon composé de 1 017 volontaires en provenance de toutes les armes. Intégré à la 2ème "Indian Head" U.S Infantry Division, le BF/ONU sera de tous les coups durs pendant 3 ans. Au fur et à mesure que les pertes seront comblées (280 morts, 1 350 blessés, 12 prisonniers et 7 disparus), c'est finalement 3 421 hommes qui auront pris part à ce bataillon, commandé au départ par Raoul-Charles Vernerey, dit Monclar.

Le parcours de Monclar mérite qu'on s'y attarde quelques instants : né en 1892, il entre à St Cyr en 1912 (après avoir fugué à 15 ans pour se rendre... à la Légion Etrangère !). Blessé 7 fois durant la première guerre mondiale, il la termine au rang de capitaine, réformé à 90 % pour ses blessures. Dans l'entre deux-guerres, il intègre pourtant la Légion Etrangère (son rêve de jeunesse) où il brille notamment durant la campagne du Maroc en 1927. En juin 1940, il commande une demi-brigade et s'offre la seule victoire incontestable des français sur l'armée allemande, à Narvik en Norvège. Vue la situation calamiteuse au pays, il ne peut l'exploiter et s'enfuit en Angleterre avec 500 hommes où il forme immédiatemment un bataillon des Forces Françaises Libres. Après le débarquement en Afrique-du-Nord, il ridiculise l'armée Italienne en Erythrée où 14 000 soldats de Mussolini sont capturés. En 1950, à la veille de la retraite, il est général de corps d'armée, lorsqu'il se porte volontaire pour commander le BF/ONU en Corée. Pour ce faire, il n'hésite pas à être rétrogradé au grade de lieutenant-colonel ! Un an plus tard, frappé par la limite d'âge, il doit (à regret, on l'imagine) céder son commandement. Gouverneur de l'Hôtel des Invalides en 1962, lui-même invalide à 100 %, Chevalier de la Légion d'Honneur, titulaire de 17 citations à l'ordre de l'armée, de la Military Cross britannique, de la Silver Star américaine, et de N autres décorations étrangères, il meurt en 1964. Ouf.
Quant au Bataillon de Corée, sans même prendre le temps de rentrer au bercail, il paiera également de sa personne en Indochine et en Algérie, où il sera rebaptisé 156 ème régiment d'infanterie avant d'être dissous dans les années 60.


A gauche, le lieutenant-colonel Monclar, commandant du BF/ONU. A droite, le Général américain Douglas Mac Arthur, commandant des forces de l'ONU en Corée.



Insignes du BF/ONU et de la 2ème division US "Indian head" dont il faisait partie


Le 1er février 1951, le BF/ONU se retrouve encerclé à Twin Tunnels, près de Chipyong Ni, par la 125ème division de volontaires chinois, à près de 30 km en avant de la ligne de front des alliés.
Après avoir repoussé un grand nombre d'attaques ennemies, les français déclenchent une contre-attaque victorieuse à la baïonnette pour se dégager de leur encerclement. Cette charge met la 125ème division chinoise hors de combat. Les pertes françaises à Twin Tunnels sont de 32 tués et 180 blessés.

Ce fait d'armes eut un retentissement international, tout particulièrement aux USA où il fut porté aux nues par la presse. Il valut d'ailleurs au BF/ONU une "citation présidentielle" outre-atlantique.


Le général Ridgway, commandant la 2ème division US "Indian Head", passe en revue le BF/ONU
en février 1951, après la victoire de Chipyong-Ni



Ordre du jour du Général Ridgway, Commandant la 2° D.I. (février 1952) :

"Sujet : la baïonnette"
"La baïonnette n’est peut-être pas la dernière arme secrète de l’armée des Nations-Unies, mais elle a un pouvoir agressif indiscutable. J’ai entendu parler deux fois de la baïonnette dans la guerre de Corée, une fois par les Turcs, une autre fois par les Français.
Il sera rappelé à toutes les unités que cet instrument n’a pas été inventé uniquement pour ouvrir les boîtes de conserves."

Signé : Ridgway.


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1. Les premières grenades n'étaient rien d'autre que des boules de terre cuite remplies de poudre auxquelles on ajoutait une mèche. Aussi dangereuses pour le lanceur que pour la cible.

2. Cette anecdote est notamment relatée dans l'excellent "A l'ouest rien de nouveau" d'Erich Maria Remarque.

draleuq, 22h26 :: :: :: [1 jubilation]