Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

Patience et longueur de temps
J'ai
faim
Ces temps-ci, la Femme ignore amoureusement la démocratie. Par là même, l'amitié s'enfuit en évitant le futur de l'existence
La Rochefaucud ::
Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

26 Mai 2012 ::

« Brigade Spéciale de Répression de l'Ecole Buissonnière - 4 »

:: Professorat

Ce billet fait partie d'un sujet qui en comporte quatre :
1. Brigade Spéciale de Répression de l'Ecole Buissonnière - 1
2. Brigade Spéciale de Répression de l'Ecole Buissonnière - 2
3. Brigade Spéciale de Répression de l'Ecole Buissonnière - 3
4. Brigade Spéciale de Répression de l'Ecole Buissonnière - 4


Cette époque est désaxée.
W. Shakespeare ("Hamlet")


Flash back : une filature à haut risque

C’était donc il y a quelques années, par un matin d’hiver. Nous avions hérité il y a peu d’un charmant enfant de CM2 du nom de Ryan, qui avait été retiré à sa famille et mis dans un foyer, et qui avait été retiré de son école d’origine car il séchait les cours pour aller traîner avec les dealers de son quartier.

Ce matin-là, j’étais de garde d’accueil dans le hall de l’école, et j’avais un lumbago, je m’en souviens très bien car c’est le seul que j’ai eu de ma vie. Malheureusement, le détail du lumbago allait avoir une importance toute particulière, comme vous allez le découvrir.

Le jeune Ryan était accompagné d’un éducateur qui avait la particularité d’être handicapé : il marchait avec une béquille et avait une jambe raide. De mon regard perçant, je remarquai immédiatement que Ryan et son éducateur s’étaient heurtés durant le trajet. L’éducateur continuait d’ailleurs de ce pas à l’enguirlander, tandis que Ryan avait sa tête renfrognée des mauvais jours, et ceci n’était guère pour me plaire.
Lorsqu’il eut fini de sermonner le gamin, l’éducateur le planta dans le hall et sortit ensuite sans se retourner, ne remarquant pas (ou faisant semblant de ne pas remarquer) que l’autre lui avait emboîté le pas pour ressortir de l’école et partir en sens inverse.
Cet exemple illustre d’ailleurs à merveille qu’être handicapé n’empêche nullement d’être con.

Mais revenons à nos moutons : ma réaction se devait d’être immédiate. En, temps normal, je l’aurais hélé et lui aurais intimé l’ordre de rentrer dans l’école séance tenante. Et s’il avait eu le malheur de ne pas obtempérer, voire le culot de partir en sprint en espérant me semer, j’aurais mis moins de 50 mètres à lui mettre la main au collet et à le ramener par la peau des fesses.
Car aucun de ces nabots, même le plus véloce, ne pouvait prétendre me battre au cent mètres, et je peux d’ailleurs encore m’enorgueillir de cela aujourd’hui, ce qui n’est pas le cas de tout le monde hu hu hu… Profitons-en, cela ne durera pas, hélas.
Heureusement d’ailleurs, cette compétence ne me sert pas tous les jours, la situation n’est pas si désespérée.
Mais ce jour là, en l’occurrence, elle m’aurait bien servi. Et comme nous l’avons vu plus haut, c’était précisément le jour où j’avais un lumbago.

Le connaissant un peu, je me doutais que si je l’appelais, il partirait en courant, et vu mon pitoyable état digne de la maison de retraite d’en face, je n’étais pas près de le revoir. Je résolus donc de le filer discrètement, et de réussir à marcher suffisamment vite pour le rattraper et lui mettre la main au collet. Je n’eus le temps de prévenir personne, et me voici à ses trousses. Mais le bougre avait littéralement le feu au cul : il ne courait certes pas, mais marchait d’un pas très décidé. J’accélérais du mieux que je pouvais, sans faire de bruit pour ne pas qu’il se retourne, mais je ne me rapprochais de lui que tout doucement et j’étais déjà à 200 mètres de l’école, serrant les dents sur mon impression de semer une vertèbre lombaire à chacun de mes pas.

Attention ! Chien enragé !

Enfin, à 300 mètres de l’école et après des efforts surhumains, je lui posais une main ferme sur l’épaule. Je m’attendais à une réaction pas piquée des vers, mais j’étais encore loin du compte !
Déjà sévèrement ravagé en temps ordinaire, ce brave Ryan fut en plus, surpris et effrayé d’être ainsi happé en pleine rue, ce qui peut se comprendre.

Dès qu’il me vit, il sombra littéralement dans une crise de fureur incoercible : « Enculé de ta mère ! Espèce de fils de pute ! Sale bâtard ! Lâche moi ! T’as pas le droit de me toucher ! Tu m’connais même pas, lâche moi bâtard ! » Tout en me servant ces mots savants, cet enragé se débattait, me balançait des coups de pieds dans les tibias, des coups de poings dans les côtes. Fort heureusement, il n’était pas particulièrement grand pour son âge et je réussis, avec mon allonge, à me mettre à distance de lui en le plaquant à bout de bras contre le grillage d’une maison qui bordait le trottoir sur lequel je l’avais alpagué. Mais il continuait à essayer de m’atteindre, les coups continuant à fendre l’air désormais vide de mon corps meurtri.

J’attendis d’abord qu’il se calme, estimant qu’il ne disposait plus de son autocontrôle. Mais trois minutes après, il était à peine moins vigoureux et les insultes fusaient toujours avec autant de prodigalité. Quant à moi, je commençais vraiment à souffrir le martyre avec mon putain de dos, ce qui n’améliorait pas, loin s’en faut, l’exaspération qui était la mienne de me faire traiter de tous les noms par un branleur de dix ans sans pouvoir répliquer.
Ce n’est pas ma chemise en effet, mais toute ma penderie, que j’aurais donné pour pouvoir lui mettre une fois, rien qu’une fois ma main à travers la gueule. Vous savez, une de ces tartes à cinq doigts salvatrices qui vous remettent les neurones en place en vous dévissant la moitié de la tête. Une de ces paluchées aux vertus sédatives qui vous laissent sur la figure une empreinte rouge plus qu’amplement méritée…

Mais la petite voix était là qui me disait : non non non non, ne fais pas ça mon ami, tu te feras peut-être un grand plaisir sur l’instant, mais tu le regretteras amèrement… Car outre mes principes – ici sévèrement mis à mal - au milieu de ses obscènes imprécations, une de ses phrases ne m’avait pas échappé et résonnait en moi comme un avertissement : « t’as pas le droit de me toucher ».
A l’évidence, ce n’est pas le genre de chose qu’il avait pu apprendre tout seul. Tenez, moi par exemple, il ne me serait pas venu à l’idée, à son âge, de dire ça à la morue ou à mon père quand elle/il venait de me mettre une trempe. Je pensai à ce flic de 50 ans au bout du rouleau, que j’avais vu une fois à la télé, et qui disait que quand il chopait un gamin de 10 ans à faire des conneries dans la rue et qu’il avait le malheur de le tutoyer (il avait quand même l’âge d’être son petit-fils, précisait-t-il à juste raison), le morveux lui disait : « z’y va, t’as pas l’droit d’me tutoyer ! »

D’autre part, il est de notoriété publique que ce n’est pas parce que des parents sont reconnus totalement incapables, au point de se voir retirer la garde de leurs enfants, qu’ils ne porteront pas plainte contre un instit’ qui, dans un moment d’exaspération, a eu le malheur de mettre à leur chérubin la tannée dont ils auraient dû eux-mêmes se charger depuis fort longtemps… Au contraire, ce sont précisément ces mêmes cas sociaux qui manifesteront la plus grande promptitude à se rendre au commissariat pour s’offusquer du comportement indigne de cet enseignant. Faut dire qu’ils connaissent souvent bien les lieux et s’y sentent parfois pour ainsi dire comme chez eux, puisqu’il leur est fréquemment arrivé d’y dormir…

Un coup de main providentiel

Toutes ces réflexions me menaient à la même conclusion : il ne fallait pas que je cède à la légitime tentation de lui mettre une torniole.

Mais en attendant, je n’étais pas plus avancé. Car même s’il avait un peu cessé de se débattre, sans doute épuisé par ce déploiement d’énergie, il refusait catégoriquement de se laisser ramener à l’école et s’accrochait au grillage comme une bernique à son rocher.
En temps normal, je l’aurais pris sous le bras et ramené de force… Mais dans mon état, il fallait se rendre à l’évidence, je n’y arriverais jamais.
J’avais bien mon téléphone portable, mais je ne pouvais pas téléphoner au dirlo, le dirlo c’était moi…

C’est là que passa sur le même trottoir le grand-père d’un de mes élèves, que je connaissais bien car il l’amenait tous les jours à l’école. En désespoir de cause, je lui expliquai rapidement mon embarras et lui demandai de me prêter main forte, ce qu’il accepta bien volontiers.
Bien évidemment, au moment où il se sentit embarqué par plus fort que lui, Ryan recommença à se débattre, à crier, et du coup c’est le pauvre petit grand-père qui s’en prit à son tour plein son grade.
Je le vis rougir de colère et faillis espérer secrètement qu’il lui mette la trempe que je ne pouvais pas lui mettre, mais il se contint lui aussi, avec une admirable abnégation, et dit seulement :
- Tu sais mon gars, tu as l’âge de mon petit-fils, et je peux te dire que lui, il n’aurait pas intérêt à me parler comme tu le fais-là !
- Comme je vous comprends ! lui dis-je dans un souffle.

Je songeai avec amusement que le comble serait que les flics passent par là et qu’ils nous prennent pour des kidnappeurs d’enfants…

Enfin, au bout d’une éternité, nous passâmes les portes de l’école. J’étais de classe ce jour-là et n’eus d’autre ressource que de le garder avec moi en cours.
Il refusait de rester assis et allait vers la porte à chaque fois que je le lâchais. Je fermai donc la porte à clef. Pendant cinq minutes au moins, il essaya de l’ouvrir quand même. Je lui dis qu’il perdait son temps, qu’elle était fermée à clef. Il sortit alors de sa poche des clefs, sans doute celles de chez lui, et les essaya une à une dans la serrure, pendant de longues minutes. Les élèves étaient morts de rire, faut dire qu’il y avait de quoi !
Puis finalement nous l’oubliâmes et nous mîmes à travailler… Jusqu’au moment où :
- M’sieur ! Regardez ! Ryan il dort devant la porte !

Epilogue

Peu après cette mésaventure, je téléphonai tout d’abord au foyer pour expliquer l’incident et pour leur demander si leurs éducateurs ne pourraient pas être un peu plus vigilants par rapport à ce gamin. Voici ce qu’on me répondit :
- Vous savez, tous les éducateurs vous le diront : un gamin qui veut fuguer réussira toujours à fuguer. Nous ici ça nous arrive tous les jours, on est habitué et surtout très bien assuré ! Ca fait partie de la prise en charge éducative, s’ils veulent se barrer on les laisse se barrer, et après quand on les récupère, on travaille ça avec eux.

Voyant qu’il n’y avait rien à attendre de ce côté, j’appelai ensuite mon vénéré chef l’inspecteur pour lui faire part du problème, du risque élevé de récidive (la Loi Dati de rétention de sûreté n’existait pas encore à l’époque), et pour lui demander conseil.
Voici ce qu’il me répondit :
- Eh bien monsieur Draleuq, je vous parlerai sans ambages : non seulement votre responsabilité est engagée si cet élève fugue et qu’il lui arrive quoi que ce soit dehors, mais elle est même d’autant plus engagée que vous êtes parfaitement au courant qu’il est susceptible de fuguer et que vous venez d’en porter témoignage par ce coup de fil. Vous êtes donc sensé prendre toutes les dispositions nécessaires pour l’empêcher de s’enfuir à nouveau.
- Bien. Merci de votre aide. Je vous dis à bientôt, je vous verrai quand vous viendrez en tant que témoin à mon procès en correctionnelle.

Copyrat draleuq 2008

draleuq, 17h07 :: :: :: [7 divagations]

23 Mai 2012 ::

« Brigade Spéciale de Répression de l'Ecole Buissonnière - 3 »

:: Professorat

Ce billet fait partie d'un sujet qui en comporte quatre :
1. Brigade Spéciale de Répression de l'Ecole Buissonnière - 1
2. Brigade Spéciale de Répression de l'Ecole Buissonnière - 2
3. Brigade Spéciale de Répression de l'Ecole Buissonnière - 3
4. Brigade Spéciale de Répression de l'Ecole Buissonnière - 4


On dit d'un fleuve emportant tout qu'il est violent, mais on ne dit jamais rien de la violence des rives qui l'enserrent.

Bertholt Brecht


Ladies and gentlemen, après cette pause publicitaire, vous ne serez pas fâchés de retrouver votre série favorite sur les exploits de la Brigade Spéciale de Répression de l’Ecole Buissonnière.
L’épisode d’aujourd’hui est, en quelque sorte, un épisode hors série, qui vous fera visiter les méandres glauques et les tractations occultes de ce tristement célèbre organe politico véreux intitulé « Conseil de Sécurité d’Ecole ». Mais je ne vous ferai pas saliver plus longtemps !


Damned, vlà les bœufs carottes !

Ç’avait donc été une affaire rondement menée que cette histoire de chasse à l’élève resquilleur. Comme aiment à dire les inspecteurs (parfois), c’était tout à l’honneur du service public que d’avoir si brillamment expédié cette enquête.
Mais je ne me doutais pas, alors, que cette affaire allait être fourbement exploitée par les bœufs carottes, et récupérée par des politiciens peu scrupuleux.

Quelques semaines après, en effet, devait se tenir le conseil d’école, où siègent, outre ma modeste personne, les enseignants, les élus (là bas, à gauche, dans les chaises vides, c’est là qu’ils devraient être), et surtout, surtout, les très respectés et respectables représentants de parents d’élèves, candidats uniques élus à l’unanimité moins tous ceux qui n’ont toujours pas compris que c’est un scrutin par liste et qu’ils n’ont pas le droit de rayer ou d’entourer des noms. Bref.
Ces parents ont essentiellement un rôle de transmission de message et un rôle consultatif, de même qu’un rôle de pression sur les municipalités pour obtenir moyens et sécurité matérielle quand ils manquent, ce qui est très bien.. En aucun cas ils ne peuvent influer sur les projets pédagogiques ou la méthode d’apprentissage, c’est ce qui fait précisément la différence, entre autres, avec l’école privée et son O.G.E.C. (ne croyez pas que je les insulte, au contraire je les plains : j’ai un pote qui a abandonné son poste de directeur d’une école privée car il ne supportait plus le diktat de son président d’O.G.E.C., un routier qui passait son temps, quand il n’était pas en déplacement, à venir lui pourrir sa life avec ses idées pédagogiques de génie.)
C’est comme ça, c’est la Loi, et je n’hésite pas à dire que je m’en félicite chaudement, car quand on entend parfois le discours des parents les « plus actifs » au sein du Conseil d’Ecole, je ne me verrais pas avoir à composer avec cette engeance.

Pour autant, certains s’en ulcèrent. Ils sont la plupart du temps minoritaires, au sein d’une équipée de gens plutôt compréhensifs et disposés à aller dans le même sens que les profs. Mais il n’en demeure pas moins qu’une minorité suffit souvent à nous les hacher menues menues. En ce moment, il s’agit de trois gros relous, trois esprits chagrins du genre à faire une tempête dans un verre d’eau. Ils ont la fâcheuse habitude de nous expliquer, l’air de rien, comment il faudrait qu’on fasse notre boulot. L’un d’eux, en particulier, n’a jamais été vu souriant à quiconque, et ne parlons même pas de rire (un pari est d’ailleurs lancé à celui qui réussira à le faire sourire dans un conseil d’école, mais l’utopie est criante). Quand il arrive le matin, conduisant son gosse à l’école, habillé comme pour le réveillon de la St Sylvestre, il ne regarde personne et ne dit bonjour à personne.
Ne les connaissant pas, en particulier lui, n’importe qui se dirait que ces gars-là doivent travailler dans le privé, à des postes à responsabilités, et faire partie de cette élite laborieuse qui n’a pas attendu Sarkozy pour travailler plus et gagner plus. A priori, ce sont eux qui méprisent le plus ces enc… (non, ils ne disent pas ces mots-là) bons à rien de fonctionnaires surpayés et engraissés par leurs impôts à eux, les vrais bosseurs, et qui se piquent en plus d’être tout le temps en grève et de se refuser à faire garderie pour leurs gamins.

Eh bien non. Rien de tout ça. Effectivement, ces trois emmerdeurs, ces trois chercheurs de poux dans la tête, ces trois empêcheurs de bosser en rond, ces trois enculeurs de mouches (moi je m’autorise à dire ces mots-là, parce que ça me détend, d’abord), sont certes tous de la même profession, mais sûrement pas celle que vous attendiez.

Ils sont… ils sont…

Profs.

Dans le secondaire.

Ça vous la coupe, ça, hein ? Ces corporatistes sectateurs d’enseignants qui se tirent dans les pattes… Avouez, vous ne le soupçonniez pas. Il y a d’ailleurs bien d’autres choses que vous ne soupçonnez pas, ah ah ah, et un jour j’y reviendrai, mais pour le moment, chut. Hors-sujet.

Délire sécuritaire

Dans les colonies nouvelles, les Espagnols commencent par bâtir une église, les Anglais une taverne et les Français un fort.

Châteaubriand (« Itinéraire de Paris à Jérusalem »)


Parmi les nombreuses lubies de ce boys band de tragiques bouffons en costards, il y a un leitmotiv : la sécurité.
La sacro-sainte sécurité de leurs chérubins adorés (et accessoirement la sécurité des chérubins adorés des autres parents. Ils représentent qu’on vous dit. Ils ont des responsabilités, merde.)
Pas qu’on ne les surveille pas ou qu’on les laisse tout faire, non (quoique…)
« Non, c’est de Sécurité avec un grand S qu’on vous parle, tas de larves informes. C’est quoi cette école où on peut entrer comme dans un moulin ? Où les portes ne sont ni blindées, ni fermées à triple tour et doublement cadenassées ? Et s’il y avait un rôdeur ? Un pédophile qui entrait dans l’école pour enlever un enfant ? Et si l’un d’entre eux fuguait dans la journée, prétextant d’aller aux toilettes ? D’ailleurs, il paraît que ça vous est arrivé. Il m’est venu aux oreilles qu’un élève s’est enfui de l’école pour rentrer chez lui… »

Il parlait de Matteo bien entendu. On lui avait rapporté une rumeur, qui, transformée par le téléphone arabe et par son insondable connerie, venait d’éclater en plein conseil d’école telle une boule puante.
Qu’importe. Cela me fournissait une excellente occasion de lui fermer son claque-merde, puisque si vous avez bien suivi, le gamin n’avait pas fui de l’école, vu qu’il n’y était jamais arrivé. Alors je me suis fait plaisir, et du coup après ça sentait un tout petit peu meilleur.

« Peu importe, poursuivit-il, fi de ce détail, n’empêche que les enfants courent de grands dangers à être scolarisés dans ce moulin. Il faut absolument un gardien à plein temps, ou un interphone. »
Bonne idée tiens… et qui c'est qui n’a plus le droit de bouger parce qu’il doit rester à côté du récepteur ?
Peu importe, Monsieur connaît son sujet et a de la répartie : « il faut un récepteur mobile ! »
Bonne idée tiens, j’ai pas assez dans mes poches entre le téléphone ou le portable, les innombrables trousseaux de clefs, mon agenda et autres conneries d’homme à tout faire. Pis ça m’emmerde pas assez encore d’être dérangé à chaque instant par les livreurs, les représentants qui veulent me présenter leur nouvelle méthode révolutionnaire, les artistes à deux balles qui viennent me proposer leur super spectacle révolutionnaire, les égarés qui cherchent l’école qui porte le nom de la rue où se trouve la mienne, ou l’école maternelle, ou le service éducation de la mairie, ou la boucherie Sanzot, les électriciens, plombiers, gaziers, couvreurs, vitriers, serruriers de la ville qui ont toujours besoin d’une clé ou d’une autorisation, ou d’un cerveau, les agents de sécurité (tiens donc) qui veulent vérifier les blocs alarme ou je ne sais quoi, les syndicalistes en décharge syndicale, les éducateurs, assistants sociaux, parents, grands-parents, tuteurs et autres envoyés de ché pas qui se croyant investis d’une mission de salut public, et j’en passe et des meilleurs… Et tout ce petit monde, bien évidemment, n’hésite pas à venir me quérir, et j’oserai même dire me traquer jusqu’au fond de ma classe, à toute heure de la journée. Et bienheureux encore s’ils sont aimables.
Alors un interphone portable en plus, ah ah ah ! Que du bonheur. J’imagine déjà la scène, vers 15 h 45, à l’heure où certains collégiens rentrent chez eux.
- Biiiip
- Ecole Machin, j’écoute !
- Je t’encule, gros pédé ! (gloussements préadolescents et bruits de course effrénée sur le bitume)

Objection votre Honneur !

Les objections, en effet, ne manquaient pas à son absurde proposition :
- Tout d’abord, si d’aventure un preneur d’otage psychopathe tel que le célèbre HB décidait de pénétrer dans l’école et de prendre une classe en otage, nous serions sauvés par Sarkozy. A l’époque de HB, notre héros national était, par chance, maire de Neuilly, la ville où la prise d’otages avait eu lieu. Mais maintenant qu’il est président de la république, ne doutons pas qu'il irait sauver n’importe quelle classe de France et de Navarre.
- Ensuite, si un groupe de terroristes psychopathes décidait de s’en prendre à une école, quelle qu’elle soit, ce n’est certainement pas une porte fermée à clef, ni même blindée, qui les arrêterait.
- Par ailleurs, l’argument d’empêcher un môme de fuguer ne tient absolument pas, puisqu’en raison des normes de lutte contre les risques d’incendie, les portes principales d’accès devraient alors être des portes de sécurité impossibles à condamner de l’intérieur.
- Enfin, si le fait de s’enfermer à clef et de s’enfoncer la tête dans un trou à la manière d’une autruche permettait d’échapper à tout danger, cela se saurait depuis longtemps.

En vérité je vous le dis, ce délire sécuritaire commence à me brouter grave, particulièrement quand il est relayé par des gens qui militent dans une fédération de parents d’élèves de gauche, et qui de toute évidence ont dû se tromper de bulletin en avril 2007.

Une fugue, une vraie de vraie, je vous en donnerai une dans le quatrième épisode de votre série préférée. Et je vous préviens, ça pique les yeux…

Copyrat draleuq 2008

draleuq, 12h27 :: :: :: [1 vilénie]

19 Mai 2012 ::

« Brigade Spéciale de Répression de l'Ecole Buissonnière - 2 »

:: Professorat

Ce billet fait partie d'un sujet qui en comporte quatre :
1. Brigade Spéciale de Répression de l'Ecole Buissonnière - 1
2. Brigade Spéciale de Répression de l'Ecole Buissonnière - 2
3. Brigade Spéciale de Répression de l'Ecole Buissonnière - 3
4. Brigade Spéciale de Répression de l'Ecole Buissonnière - 4


Quand on se pisse dessus, ça nous tient pas chaud bien longtemps.

Robert Duvall, dans « La nuit nous appartient » de James Gray


14 h 15, Zébra 3, Zébra 3, le suspect est logé

Je me creuse le ciboulot, remontant à ce que l’instit’ a dit de lui : un gosse très timide, impressionnable, un peu pleurnichard, qui a claqué sa petite déprime en début d’année à l’idée de changer d’école. Pas vraiment le profil à faire une authentique fugue.
L’hypothèse la plus plausible est qu’il ait fait demi-tour en chemin et qu’il soit retourné se cloîtrer chez lui, profitant de l’absence de sa mère et escomptant que tout le monde n’y verrait que du feu. Le mobile du crime serait alors évidemment d’échapper aux réprimandes de l’enseignant pour le coup de la cantine.

Fort de cette réflexion, je retente ma chance sur l’interphone. Après avoir appuyé sur les six boutons avec insistance, j’entends décrocher, et puis raccrocher aussitôt derrière. Ah ah, aurais-je ferré mon lièvre ? Je presse à nouveau les boutons, frénétiquement, puis je recule vivement dans la rue, sur le terre-plein central, pour observer les quatre fenêtres dont la plupart sont dénudées de tout rideau.
Je distingue, assez furtivement, une touffe de cheveux châtain disparaître au bas de la fenêtre. L’individu aurait voulu se planquer en me voyant, il ne s’y serait pas pris autrement… Le suspect est donc logé, ou je ne m’y connais pas ! Par contre, gros inconvénient, il m’a repéré et ne semble pas disposé à se rendre.

Guidé par mon empathie puérile et par le souvenir de quelques coups foireux montés par moi-même à son âge, certes de moins grande ampleur, je me mets un instant à la place du suspect. Si c’est vraiment lui qui vient de me voir au milieu de la rue, au pied de son immeuble, il est compréhensible qu’un réflexe d’échappement l’ait poussé à se soustraire à mon regard. Certes, c’est reculer pour mieux sauter, mais essayons un seul instant de nous figurer le grand moment de solitude que ce garnement, habituellement pas très déluré et ne montrant aucun goût pour la rébellion, vient de vivre :
- Oooooooooooh putaaaaaaaaaaiiiiiiin, le dirlo vient me chercher jusque chez moi. Je suis moooort !

Toutes proportions gardées, si l’on veut chercher un équivalent adulte de ce qu’il a pu ressentir, il faudrait imaginer que votre patron vous croise dans un bar alors que vous êtes sensé être en voyage d’affaire à 1 000 kilomètres de là, ou qu’il vous surprend en train de compter fleurette à votre secrétaire dans votre bureau, dans une tenue équivoque.

N’ayant pas de mégaphone, ni une unité de cavalerie sous la main, et Mme Blondas n’arrivant toujours pas, je décide de retenter ma chance avec les voisins de la boutique de fringues pour essayer de m’assurer qu’il est bien là, et surtout qu’il ne va pas faire dans son calcife ou se jeter par la fenêtre tel un clandestin apercevant un poulet.

14 h 25, [signes de main géigéenesques] GO ! GO ! GO !

- Hem, rebonjour Madame. J’ai cru voir une petite tête à la fenêtre du second étage quand j’ai sonné. Savez-vous dans quel appartement habite sa famille ?
- Ah ben non, ils habitent au premier pourtant…
- … (merdeuuuuh, ai-je malencontreusement délogé un authentique clandestin ?)
- Vous voulez qu’on aille frapper à la porte ?
- Euh, au point où j’en suis, pourquoi pas.

La vendeuse m’accompagne dans la cage d’escalier. Arrivés devant la porte du premier étage, nous frappons et essayons d’entrer, mais c’est fermé. Je lui dis de l’appeler, songeant que si je le hèle de ma voix rauque, même avec de gros efforts pour l’adoucir, cela ne pourra que le pousser davantage à la défenestration. Elle ne sait pas son prénom, je le lui donne.
- Matteo ! Matteo ! Tu es là ? Ouvre nous !
Pas de réponse.

C’est là que Madame Blondas, que l’on n’attendait presque plus, fait son entrée sur les chapeaux de roue, montant en renfort les escaliers quatre à quatre, toute essoufflée.
- C’est… pouf pouf… C’est pas là que j’habite… pouf pouf… c’est au deuxième !
Je regarde la vendeuse qui prend un air hébété embêté. Je songe au dernier polar que j’ai vu, où l’enquêteur pète toutes les dents de son indic’ qui s’est révélé être un tuyau crevé. Je chasse cette idée de mon esprit, en même temps que la vendeuse :
- C’est bon, je vous remercie de votre coopération aide.

Nous gravissons le deuxième étage, nous approchant peut-être enfin du dénouement. Mme Blondas tourne frénétiquement sa clé dans sa serrure, s’engouffre comme un ouragan dans son appartement, laissant derrière elle un vent de parfum bon marché. Je ne vois pas la suite, restant poliment sur le palier. Mais à en juger du bruit des talons sur le parquet, parcourant toutes les pièces avec entrain, elle traque son contrevenant de fils jusque sous son lit.

Enfin, elle lui met le grappin dessus et comme on pouvait s’y attendre, il fond en larmes. Elle l’amène enchaîné à mes pieds près du pas de porte et le gratifie devant moi d’une sacrée bonne raclée dans sa gueule de p’tit con pour lui apprendre les bonnes manières d’un sermon amplement mérité. Naturellement, je ne parachève pas son désarroi par des paroles incendiaires. Il n’aura pas même une sanction supplémentaire. Même l’impitoyable salopard que je suis sait parfois se montrer magnanime dans la victoire.

Le suspect bénéficie aujourd’hui d’une liberté surveillée. En tant que juge d’application des peines, j’estime la probabilité de récidive à 0,00 %

Malheureusement, il n’en est pas toujours ainsi. [C’est là que le flash-back survient, sur une musique de fin du monde, alors que l’image prend des teintes fuschia.]
Vous en saurez plus après la pause publicitaire. Profitez-en pour faire pipi, comme c’est l’usage. Moi, j’ai un rapport à remettre au divisionnaire, pour hier.

Copyrat draleuq 2008

draleuq, 12h38 :: :: :: [0 assertion inepte]

16 Mai 2012 ::

« Brigade Spéciale de Répression de l'Ecole Buissonnière - 1 »

:: Professorat

Ce billet fait partie d'un sujet qui en comporte quatre :
1. Brigade Spéciale de Répression de l'Ecole Buissonnière - 1
2. Brigade Spéciale de Répression de l'Ecole Buissonnière - 2
3. Brigade Spéciale de Répression de l'Ecole Buissonnière - 3
4. Brigade Spéciale de Répression de l'Ecole Buissonnière - 4


13 h 30, premier indice

- DrrRrrrRrrring
- Ecole Machin, draleuq j’écoute ?
- Oui, bonjour, Mme Blondas, maman du petit Matteo qui est en CM1. En passant devant l’école en rentrant du travail ce midi, j’ai eu la surprise d’y trouver mon fils en train d’attendre l’ouverture des portes alors qu’il était sensé être à la cantine. J’aimerais avoir des explications.
- Eh bien c’est très simple madame, il n’a pas dû s’inscrire pour la cantine ce matin.
- Mais mon fils mange tous les jours à la cantine !
- Vous l’avez spécifié par écrit à l’enseignant ? Car si tel n’est pas le cas, le système habituel, en vigueur dans toutes les écoles de la ville, s’applique : l’enfant signale lors de l’appel du matin s’il mange ou ne mange pas à la cantine, et nous lui faisons confiance. Le midi, les enfants de plus de six ans qui ne mangent pas à la cantine peuvent rentrer chez eux seuls.
- Ah bon ? Mais nous sommes nouveaux de cette année, et je ne savais pas que ça marchait comme ça.
- Il n’est tout de même pas resté devant l’école depuis 11 h 50 ?
- Non. Il est rentré à la maison, il a sa clef qu’il utilise le soir. Et puis il est retourné à l’école assez vite, et c’est là que je l’ai vu. Du coup je l’ai ramené chez moi pour m’assurer qu’il mange correctement, et je l’ai renvoyé à l’école ensuite…
- Bon. Voulez-vous que je dise à l’enseignant de bien s’assurer tous les midis que Matteo reste bien avec les enfants de la cantine ?
- Oui, je vous en remercie.
- Ce sera fait dès cet après-midi. Au revoir madame.

13 h 45, l’intuition qui mène au crime

Je me dis que je pourrais attendre la récréation de l’après-midi pour aller dire ça à l’instit’ concerné, histoire de ne pas le déranger en pleine classe. Pourtant, une petite voix venue de l’intérieur me dicte d’y aller quand même.
J’y vais donc, je le fais sortir dans le couloir pour lui expliquer à l’abri des oreilles indiscrètes. Il me laisse finir puis me dit :
- Mais il n’est pas là cet après-midi.
- Ah ? (gloups) Bon, eh bien je vais me mettre à sa recherche et je te tiens au courant.

Je téléphone donc au domicile de Mme Blondas. Pas de réponse évidemment. Je téléphone ensuite sur son portable, sans plus de succès. Je laisse un message lui annonçant la « bonne nouvelle » et lui laissant mon numéro de portable (personnel bien entendu, car je pense qu’il faudra attendre le prochain déluge avant que l’on ait un portable professionnel) en lui indiquant que je me lance à sa recherche. Je téléphone à son travail, pas davantage de réponse. Je ne me démonte pas et j’appelle la grand-mère, indiquée sur la fiche comme « personne à joindre en cas d’urgence ». Elle décroche, je lui explique.
- Qu’est ce que vous voulez que je fasse ? conclut-elle.
Je lui dis alors d’essayer de joindre sa fille de son côté, que moi pendant ce temps je fais le chemin inverse entre l’école et le domicile.

J’appelle le chef ensuite, comme il se doit lorsqu’un élève est « dans la nature », et pour le prévenir que je me lance à sa recherche vu que je ne suis pas sensé sortir de l’école et que si jamais il m’arrive quoi que ce soit dehors et que personne n’était prévenu, j’en prendrai pour mon grade.
Le chef me fait tout raconter depuis le début, me questionnant dans les moindres détails, me faisant me demander par moments si c’est moi qui cause pas clair ou quoi, pour finir par conclure :
- Donc l’élève a quitté son domicile et n’est jamais arrivé à l’école ? Donc il n’a pas fugué de l’école ?
- Bien sûr que non, il n’a pas fugué. Notre responsabilité n’est pas engagée.
- Aaaaaaaaaaaaaaah ! (soulagement nettement audible, limite si on attendrait pas en substance un petit : « donc c’est pas notre problème, il peut crever, on n’ira pas en taule… »)
- Je peux quitter l’école pour partir à sa recherche, donc ?
- Euh, oui, bien sûr, faites donc ! Et tenez moi au courant sur mon portable. Je suis en réunion là, mais laissez-moi un message (notez l’habile manœuvre pour faire semblant de s’intéresser à son sort).

14 h 00, la traque commence

Je fais donc le chemin en sens inverse, à pied. Mme Blondas me téléphone en chemin, morte d’inquiétude comme on s’y attend. Elle vient d’avoir le message en arrivant au travail, du coup elle s’apprête à repartir chez elle. Je lui dis que je l’y rejoins.

Pas de trace du môme en route, ni vivant, ni blessé, ni agonisant, ni mort. J’arrive à l’adresse, c’est un petit immeuble de deux étages encadré par deux boutiques, dans une rue commerçante, une de fringues et une de décoration intérieure.
Je me dirige vers l’interphone : pas le moindre nom sur les étiquettes des 6 appartements. Je sonne à tous les appartements, les uns après les autres. Pas la moindre réponse.

Je commence l’enquête de voisinage. La boutique de déco d’abord. Le genre de boutique qui pue l’encens et la lavande, bourrée d’objets dont la laideur n’a rien à envier à l’inutilité, presque toujours déserte et dont tu te demandes comment elle n’a pas encore fait banqueroute. La vendeuse, une blonde peinturlurée et manucurée de frais, visiblement tout étonnée de me voir, vient à ma rencontre. Je lui explique la situation et lui demande si elle n’a pas vu un gamin traîner dans le coin ce midi. Elle est désolée, mais elle ne savait même pas qu’un enfant vivait là.

Je me retourne donc vers la boutique de vêtements pour femmes, dont on devine aisément le style rien qu’à voir l’âge moyen des quelques clientes qui hantent les rayons. Faut dire qu’on est en début d’après-midi et en semaine, et il n’y a guère que les retraités qui peuvent faire du shopping dans ces horaires.
Je répète donc mon histoire, mais évidemment la boutique est exiguë et ma voix porte, donc tout le monde entend et accourt pour apporter non pas son témoignage déterminant, mais ses impressions et sa compassion sincères :
- Oh la la, ben dites donc, c’est inquiétant ça, avec les choses qui s’passent de nos jours, hein…
- Ah, m’en parlez pas ! Et quel âge il a ce p’tit gars ? 9 ans ? Eh beh, c’est quand même un monde ce qu’ils peuvent oser maintenant les enfants. Vous vous seriez imaginée faire ça, vous, quand vous étiez gamine ?
- Cré non !
- Ah pour sûr, vous avez un métier de moins en moins facile, mon brave monsieur. On vous souhaite bien du courage !

Je m’éclipse après les avoir saluées et remerciées pour leur collaboration certes peu productive, puisque naturellement aucune des vendeuses ni des clientes n’avait vu quoi que ce fût. Préoccupé et pensif, je fais les cent pas sur le trottoir tel un gigolo le commissaire Maigret. Mme Blondas n’arrive toujours pas, et j’ai beau être dans une avenue, l’enquête est dans l’impasse…

Copyrat draleuq 2008

draleuq, 18h28 :: :: :: [1 sarcasme grinçant]

8 Mai 2012 ::

« Technicolor »

:: Les dérapages du rat


draleuq, 18h16 :: :: :: [2 éclaircissements pompeux]

6 Mai 2012 ::

« J'm'en fous ch'rai mort, alors ! »

:: Paparatzi

Mission accomplie ! Voici venir la dernière chronique rééditée (tout en étant inédite, que voulez-vous rien n'est simple) de cet interminable quinquennat du Sarko-show... Comme promis, j'ai fini avant (eh oui, quelques heures avant, c'est quand même avant !) sa réélection, et peut-être même avant sa défaite. Je m'explique : en allant voter ce midi, j'ai fait une expérience mystique. Dans l'isoloir, j'ai confectionné un petit avion en papier avec le bulletin Sarkozy. En sortant, je l'ai lancé en l'air en me disant : peut-être que le lieu où il atterrira sera un signe. Et après avoir virevolté quelques instants au dessus de la route, il s'est écrasé tout droit... dans le caniveau. Moi je vous dis, c'est de bon augure !

Pour exécuter de grandes choses, il faut vivre comme si on ne devait jamais mourir.

Luc de Clapiers, Marquis de Vauvenargues.


C’est fou comme parfois certaines actualités du moment, qui n’ont en apparence rien à voir entre elles, se mettent d’elles-mêmes « en réseau », comme on dit maintenant, un réseau qui devrait normalement résonner fort dans les consciences… de ceux qui en ont une.

Tenez par exemple, il y a eu l’échec de la conférence de Copenhague sur le changement climatique. Naturellement, si je peux oser l’adverbe, le moins que l’on puisse dire est que cet échec n’est pas étonnant : les spécialistes n’en attendaient rien, du moins ils s’attendaient à ce que tous les pollueurs restent fièrement campés sur leur position de pollueurs, et ils n’ont pas été déçus, car effectivement il ne s’y est rien passé. On s’est tous quittés bons amis, en partageant le champagne et les p’tits fours, mais le fait est là : on en est au point mort.

Depuis, il y a eu l’échec de la conférence de Durban sur le changement climatique. Naturellement, si je peux oser l’adverbe, le moins que l’on puisse dire est que cet échec n’est pas étonnant : les spécialistes n’en attendaient rien, du moins ils s’attendaient à ce que tous les pollueurs restent fièrement campés sur leur position de pollueurs, et ils n’ont pas été déçus, car effectivement il ne s’y est rien passé. On s’est tous quittés bons amis, en partageant le champagne et les p’tits fours, mais le fait est là : on en est au point mort.
Comment ? Que dites-vous ? Je me répète ? Oops, effectivement.

Toujours est-il que je crains qu’à chaque fois qu’il y aura une conférence sur le changement climatique, naturellement, si je peux oser l’adverbe, ce sera un échec et ce ne sera pas étonnant car les spécialistes n’en attendront rien, si ce n’est que les pollueurs restent fièrement campés sur leur position sus citée, et ils ne seront pas déçus, car effectivement il ne s’y passera rien, on se quittera bons amis en partageant le champagne et les p’tits fours, mais on en restera au point mort.

A moins que d’ici-là une catastrophe naturelle directement et indiscutablement imputable au changement climatique ne fasse quelques millions de morts aux Etats-Unis, en Chine, en Inde… Et encore, je ne suis même pas sûr que cela suffise, car tout le problème est dans l’adverbe « indiscutablement ». Mais nous y reviendrons.

En attendant, revenons à la conférence de Copenhague et à son échec, largement prévisible puisque les spécialistes n’en attendaient rien etc. A peu près au même moment avait lieu la tempête hivernale Xynthia qui a dévasté la côte vendéenne, provoquant une montée des eaux qui a détruit moultes habitations et fait de nombreux morts.
Je ne m’étendrai pas sur les turpitudes qui ont fait qu’autant de maisons avaient pu être construites sur des zones inconstructibles qui par je ne sais quel tour de passe-passe étaient finalement redevenues constructibles. Je n’irai pas jusqu’à dire que ceux qui ont fait construire ces maisons en toute connaissance de cause ont un peu mérité ce qui leur est arrivé. Non non, je ne le dirai pas.

Peu après, juste le temps de la préparer, le magazine télévisuel Thalassa consacrait une émission au changement climatique, ce qui est déjà sujet à caution diront certains, car rien ne prouve que la Tempête Xynthia ne soit liée au changement climatique. Autrefois, il y avait des tempêtes hivernales, déjà, c’est vrai. On était peut-être moins imp(r)udent, un peu plus conscient de la supériorité de la nature, on se permettait peut-être un peu moins de jouer aux apprentis sorciers avec les zones inondables juste pour avoir un beau point de vue…

En tous cas, bien que n’étant nullement un habitué de Thalassa, je suis tombé devant ce soir-là, à tous les sens du terme comme vous allez le voir. Le reportage qui m’a particulièrement marqué était une sorte de micro-trottoir, effectué en été sur une plage de la mer méditerranée, où les journalistes demandaient aux gens qu’ils rencontraient ce qu’ils pensaient du changement climatique. Parmi de nombreuses réponses consternantes, notons-en tout particulièrement deux :
- Tout d’abord, une propriétaire d’un logement de vacances donnant directement sur une plage, qui disait que « toute façon, c’est pas sûr, les scientifiques ils disent qu’il va y avoir le réchauffement climatique et la montée des eaux, mais en vrai ils en savent rien. »
- Ensuite, une plagiste bien bronzée en maillot de bain, d’une bonne cinquantaine d’années, voisinant avec un petit garçon qui doit vraisemblablement être son petit-fils (ce détail est de première importance, comme vous allez le voir). A la question du journaliste, elle rigole et dit : « de toute façon y’a longtemps que je s’rai morte, alors ».

Dans ces deux réponses, il y a un concentré des principaux défauts qui mèneront l’homo sapiens à sa perte :
- Le déni : « ils » disent ça, mais « ils » n’en savent rien, dit le quidam moyen. Sauf que quand on parle de « ils », on parle quand même des plus grands experts mondiaux, qui sont à peu près tous unanimes, sauf exception, pour dire qu’on va droit dans le mur. Et ceux qui ne le sont pas sont généralement vendus aux pollueurs et/ou aux politiciens qui les protègent.
- Le j’m’en foutisme, un phénomène bien connu également. Tant que ça ne les touche pas directement, les hommes se foutent de tout ce que l’univers peut compter de déluges, de guerres et de meurtres en tous genres.
- L’individualisme et l’égoïsme, parallèles obligés du j’m’en foutisme, et qui, plus surprenant, s’appliquent également à l’état du monde qu’on laissera aux générations futures, c’est-à-dire à nos propres enfants. A cet égard, la fréquence avec laquelle on entend la phrase « j’m’en fous ch’rai mort » est particulièrement révélatrice.


Caricature de Cardon dans le Canard Enchaîné du 21/08/2002 que j’avais gardée car je l’avais trouvée vraiment extraordinaire et tout à fait révélatrice de l’état d’esprit des puissants. A l’époque, on pouvait encore parler de « préoccupation nouvelle », sauf que ça fait déjà 10 ans. Et que depuis, je me suis rendu compte que ce n’était pas l’état d’esprit que des puissants.

Copyrat draleuq 2010-2012, inédit.

draleuq, 17h08 :: :: :: [2 pleurnicheries]